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Stephen King : Part 2. Captain Trips – Burton Hatlen, professeur, guide et ami…

VIII – Burton Hatlen, professeur, guide et ami…

 

Burton Hatlen enseigne à l’Université du Maine à Orono (UMO) depuis 1967. La littérature anglaise de la Renaissance est plus particulièrement son domaine. Stephen King fut l’un de ses élèves. King et Burton Hatlen sont petit à petit devenus des amis et continuent encore aujourd’hui à correspondre. Ils se rencontrent régulièrement pour discuter ou aller voir un film au cinéma. Burton Hatlen est actuellement doyen du département d’anglais à l’UMO.

 

Lou Van Hille : Comment était Stephen King lorsqu’il était étudiant ?

Burton Hatlen : Vous avez probablement vu cette photo de lui qui fut publiée dans le  » Maine Campus  » où on le voit, les cheveux longs, un fusil à la main. Il avait l’air, en effet, un peu  » sauvage « . Stephen King était très actif dans la vie étudiante sur le Campus. Il jouait dans des pièces de théâtre ; il a été élu représentant-étudiant ; il écrivait pour le journal de l’Université (The Maine Campus) dans lequel il publiait une colonne régulière intitulée «  Stephen King’s Garbage Truck  » (NDLR : 48 numéros !). Il s’en sortait très bien en cours. Je l’ai eu en cours lors du premier semestre de ma carrière d’enseignant à l’UMO. Je suis arrivé ici en 1967 et c’est en septembre de cette même année que je commençais à enseigner un cours de Littérature Moderne Américaine, ce qui peut surprendre lorsqu’on sait que je suis spécialisé en littérature de la Renaissance. Cependant, on avait besoin de quelqu’un pour donner ce cours et comme j’avais passé mon examen de deuxième année sur le poète du XXème siècle William Carlos Williams, j’avais assez de connaissance sur le sujet pour donner cet enseignement. Steve choisit ce cours. C’était une classe assez chargée : de 50 à 60 étudiants. On ne pouvait que le remarquer. C’était un étudiant très attentif, intéressé et qui posait souvent des questions intelligentes, ou faisait des remarques très intéressantes sur ce que nous lisions. Steve fut le premier étudiant non diplôme à donner un cours dans cette université. Je ne sais même pas s’il y a eu d’autres cas. On avait ce programme qui permettait des genres de cours assez spéciaux où les étudiants choisissaient eux-mêmes le thème des cours. Et Stephen voulait que l’on fasse un cours sur la littérature Américaine Populaire et plus particulièrement la Fiction. Je ne me souviens plus vraiment quel enseignant avait accepté mais pour finir, ce fut Steve qui prit le livre en main et fit le cours ! Nous retrouvons ainsi à la fois un côté sauvage et un côté organisé et discipliné. Sa volonté à l’époque était de lire un livre par jour. Il avait toujours un livre sur lui. Et je crois qu’il a gagné son pari. Il passait aussi plusieurs heures par jour à écrire. Il travaillait aussi à la bibliothèque. C’est difficile d’imaginer comment il pouvait faire tant de choses en même temps. Mais c’est aussi difficile d’imaginer comment il fait pour écrire tant de livres ! Il était très connu sur le Campus…, célèbre parmi les étudiants. Il était cependant aussi assez timide. Cela lui a pris pal mal de temps avant qu’il surpasse sa timidité… Avec les femmes tout particulièrement. Et Tabitha était très importante. Elle est entrée dans sa vie quand il ne s’y attendait pas. Je crois bien d’ailleurs qu’elle fut sa première petite amie. Je ne me souviens pas l’avoir vu avec d’autres petites amies avant elle. C’est un autre phénomène très intéressant.

Lou Van Hille : Lorsque Stephen King était étudiant dans votre cours, pensiez-vous qu’il deviendrait un jour l’un des écrivains les plus célèbres dans le domaine fantastique ?

Burton Hatlen : Je me doutais qu’il allait faire quelque chose d’épatant. Mais je ne savais pas quoi (Rires). Surtout parce qu’à l’époque, il n’écrivait pas trop d’histoires d’horreur. Ses premiers livres sont basés sur des histoires de Science-Fiction. THE LONG WALK (MARCHE OU CREVE) par exemple. (…). Plusieurs semaines après le début du premier semestre, Steve est venu me voir un jour, après le cours, et m’a dit :  » j’ai écrit un roman. Aimeriez-vous le lire ? « . Je lui ai répondu positivement. Il s’agissait du manuscrit de THE LONG WALK. Il ne l’a d’ailleurs quasiment pas corrigé depuis. C’est peu commun de voir un étudiant venir vers vous et vous dire  » j’ai écrit un roman. Aimeriez-vous le lire ? « . Cela ne m’est plus jamais arrivé depuis. Beaucoup d’étudiants écrivent mais très peu terminent un roman… surtout à cet âge. J’ai alors apporté le manuscrit chez moi et mon épouse a vu la pile de feuilles sur la table, l’a prise et l’a lue entièrement. Pour moi, cela voulait dire beaucoup ! Puis, à mon tour, je l’ai lu. Ce qui m’a surtout frappé, c’est ce sens de la narration qui implique complètement le lecteur. Je ne pense pas qu’il s’agit d’une faculté que l’on peut apprendre. Il s’agit d’un don (…). De plus, THE LONG WALK est un livre très réfléchi, surtout concernant la façon de vivre américaine, ses bons et ses mauvais côtés, l’obsession de la réussite et la société américaine tout entière (…). Je savais qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire là-dedans (…). THE LONG WALK est dédié à trois de ses anciens professeurs à Orono, moi y compris. Les deux autres sont Ted Holmes, qui est aujourd’hui à la retraite et habite à Winterport (un peu au sud de Bangor) et Jim Bishop. Ted Holmes fut le second à lire le livre. Il était aussi écrivain et a mis Steve en contact avec un agent à New York… L’agent a lu ses histoires mais a décrété qu’elles étaient trop locales… trop situées dans le Maine. L’histoire n’intéresserait personne d’autres que les habitants du Maine alors il a laissé tomber. Je me souviens encore du jour où j’ai rencontré Ted, dans un couloir juste après qu’il ait lu le manuscrit. C’est là qu’il m’a dit  » je crois que nous avons affaire avec un véritable écrivain « . Je pensais que The Long Walk était simplement une véritable réussite. Mes goûts, aussi bien ceux de l’époque que ceux d’aujourd’hui, ne vont pas véritablement vers la littérature populaire, même si ma relation avec Stephen King a fait que maintenant, je lis des choses que je n’aurais jamais lues auparavant. Je sais que d’une certaine façon, il a changé ma façon de vivre. J’ai publié quelques articles sur  » DRACULA « , par exemple, que j’ai lu parce que j’avais lu  » ‘SALEM’S LOT  » et que Steve avait déclaré que son livre était influencé par  » DRACULA  » (…). Steve parlait aussi beaucoup de Lovecraft et son influence est aussi visible dans ses premiers romans. Ray Bradbury a lui aussi son importance. Mais je crois que Shirley Jackson est à mettre en tête. Stephen avait une grande admiration pour elle. Lorsqu’il était étudiant à l’UMO, il était sous influence à la fois du sens social, que l’on peut trouver dans une histoire telle que  » THE LOTTERY  » et le genre classique des romans d’horreur, tout comme  » THE HAUNTING OF HILL HOUSE « . Je pense qu’elle lui a appris énormément. Je pense aussi que la Nouvelle Angleterre a toujours eu une grande importance pour lui. Jetez un coup d’œil à  » DARK SHADOWS  » (si vous le pouvez) et vous en apprendrez encore sur les influences de Steve. Il regardait très souvent cette émission télévisée, dont l’action se situait sur la côte du Maine. Pour revenir à Lovecraft, ce dernier est aussi un écrivain de la Nouvelle Angleterre, plus exactement de Providence dans le Rhode Island (…).

Lou Van Hille : Vous saviez qui était Richard Bachman. Ne fut-ce pas une surprise pour vous de voir THE LONG WALK publié sous ce nom ?

Burton Hatlen : Je savais que King allait le publier et on m’avait demandé de garder le secret. Je ne sais cependant pas pourquoi il a fait cela. Je pense qu’il a dédié The Long Walk à Ted, Jim et moi-même car nous l’avions aidé et soutenu lorsqu’il était étudiant. Il a d’ailleurs déclaré que je l’avais influencé. Dans une interview faite par Douglas Winter, il a parlé d’un cours sur  » SOUL AND ICE  » que je donnais dans ma classe de littérature moderne américaine.  » SOUL AND ICE  » est un roman de Eldridge Cleaver. Un livre que je voulais pour mon cours car c’était un livre  » sombre  » et qui ouvrait beaucoup de portes. C’est lors d’un de ces cours que Steve me dit  » Et pourquoi pas une âme claire ?  » ( » SOUL AND ICE  » serait plutôt un livre sur une âme sombre). Puis il ajouta :  » Je veux écrire quelque chose sur une âme claire « . Il déclare que je l’ai influencé mais je pense qu’il a tort. Ces idées venaient de lui et non de moi. La seule influence que j’ai pu avoir sur lui fut de lui faire aimer la Littérature avec un grand L. Et je prenais son travail au sérieux. Et cela, je crois, lui a fait comprendre que l’on peut aussi bien être un grand écrivain tout en étant un écrivain de grande audience (…). Je n’ai, cependant, jamais compris pourquoi il voulait que l’identité du Richard Bachman reste un secret. Il était vraiment très en colère lorsque la vérité éclata (…).

Lou Van Hille : Et votre participation à PET SEMATARY (SIMETIERRE) ?

Burton Hatlen : Steve a loué durant un moment une maison à Orrington, près de la route 15 (…). Je vivais moi aussi à Orrington à l’époque, à mi chemin entre Snowscorner road et Center Drive (…) et quand j’habitais là, nous avions beaucoup d’animaux et un bon nombre d’entre eux ont trouvé la mort sur cette route. Et j’ai commencé un genre de cimetière pour animaux dans notre jardin. J’ai eu, au moins, 4 ou 5 chats qui ont été tués, un chien qui a été écrasé par une voiture. Il avait le dos brisé et un voisin a dû venir l’abattre… deux… deux chiens. C’est un lien sanglant. Steve savait tout cela (…). Je pense qu’il a pris conscience du genre de carnage qui s’était produit là-bas. Il y a aussi un bon nombre d’animaux écrasés dans le livre, mais je ne suis pas celui qui a influencé la création du personnage principal du livre. Ce qui s’est passé, c’est que l’année où Steve et Tabitha habitaient dans cette maison, il enseignait ici et où l’on retrouve les lieux de l’université dans le livre… On peut m’y retrouver à certains endroits. Je crois que PET SEMATARY est vraiment un roman marquant cette époque. Dans le livre, le personnage principal arrive tout juste à l’université du Maine tout comme Steve arrivait à l’UMO pour enseigner après une longue absence remontant à 1977 ou 78… 5 ou 6 ans ! (…). Il a publié CARRIE, ‘SALEM’S LOT, THE SHINING quand ils habitaient à Orrington… Si vous remontez Center Drive, vous trouverez une école ainsi que la Bibliothèque Municipale (…), j’y ai organisé une conférence quand il habitait encore là. Il n’était pas encore très connu à l’époque… C’était peu de temps après CARRIE. On le connaissait un peu mais pas au point d’ameuter tous ses fans dans cette petite ville. Si mes souvenirs sont bons, il devait y avoir 20 ou 25 personnes. La plupart étaient des gens du coin. Il a lu des extraits de PET SEMATARY (…). Voilà, c’était mon histoire sur PET SEMATARY.

Lou Van Hille : D’après vous, quel roman le représente le mieux ?

Burton Hatlen : J’ai, depuis longtemps, été un fervent admirateur de  » ‘SALEM’S LOT « . Je crois bien que c’est sa première véritable réussite complète. J’aime beaucoup THE STAND (LE FLEAU)… mais ce roman me semble parfois un peu moins soutenu, surtout du point de vue esthétique. Autrefois, je lisais ses romans sous le format de manuscrit, avant leur diffusion. IT (CA) fut le dernier que j’ai lu en manuscrit. J’en ai fait une critique détaillée, qu’il a ignorée. Mais j’ai toujours eu l’intime conviction que l’araignée géante et sa crédibilité étaient le problème majeur du roman. La véritable crédibilité du livre était que le monstre apparaît toujours sous la forme des choses que vous craignez le plus et il aurait dû garder cela comme ça jusqu’à la fin. L’écriture de IT (l’image d’un groupe d’enfants et de leurs rapports) est une véritable réussite, digne de Mark Twain. J’aime beaucoup aussi THE SHINING. J’ai publié un essai sur ce roman en 1991. Ce roman ne m’avait pas beaucoup attiré avant que je ne relise pour mon essai. C’est un bon livre avec une sorte d’unité classique entre les 4 personnages principaux. Le film, par contre, sort du cadre parfois. Je n’aime pas vraiment le film. Kubrick est un très bon réalisateur et Nicholson est un très bon acteur et le film a parfois tendance à éclipser le roman. J’ai dû faire abstraction du film pour apprécier le roman à sa juste valeur.

Lou Van Hille : Et MISERY ?

Burton Hatlen : J’aime beaucoup ce roman. Quand Steve a terminé MISERY, il a dit  » c’est mon meilleur livre « . Et je pense qu’il le croit toujours.

Lou Van Hille : Et les romans que vous n’aimez pas ? Et pourquoi ?

Burton Hatlen : FIRESTARTER (CHARLIE). Ce livre ne m’a vraiment jamais attiré (…). Lorsque Steve a publié THE STAND, il m’a dit : « c’est mon dernier effort pour écrire un roman comme un véritable écrivain. Si les critiques le prennent au sérieux, alors je serai ce genre d’écrivain ». Tout cela, c’est de la paraphrase. Pas exactement ce qui a été dit mais cela en est proche. Je lui ai demandé : « et si jamais, ils ne le prennent pas au sérieux, quel genre d’écrivain seras-tu ? ». Ce à quoi il répondit « je serais un écrivain de merde ». Comme vous le savez peut-être les critiques ne l’ont pas pris au sérieux. Il n’y a eu aucun commentaire dans le magazine THE NEW YORK TIMES BOOK REVIEW, ni dans d’autres revues similaires. Le roman se vendait bien mais n’était pas considéré comme partie intégrante de la Littérature Américaine lors de sa première diffusion. Steve était très déçu… Ce qui en ressorti fut les romans THE DEAD ZONE et FIRESTARTER. Il me dit à cette époque :  » Si j’étais Graham Greene, ces livres seraient des divertissements « . A ce moment, il pensait vraiment qu’il était capable d’écrire aussi bien d’écrire des livres sérieux que de la merde, le genre de best-sellers qui n’a qu’un seul but : faire de l’argent.

Lou Van Hille : D’après ce que Stephen King a déclaré au Bangor Auditorium en septembre 1995, il considère THE DEAD ZONE comme l’une de ses meilleures réussites.

Burton Hatlen : Ce que je pense, c’est qu’il l’a bien écrit comme un livre de divertissements puis il l’a aimé. Beaucoup de gens lui ont dit que c’est son meilleur livre, mais je ne suis pas d’accord. Je pense qu’il y a un gros problème avec THE DEAD ZONE. Steve ne comprend pas tout à fait le système politique et sa tentative pour présenter une carrière politique aux Etats-Unis ne me semble pas du tout convaincante. Il y a cependant des points forts dans THE DEAD ZONE. J’ai dit à Steve que je considérais THE DEAD ZONE comme un roman autobiographique et il m’a regardé avec une colère non cachée. Il n’a pas aimé cette remarque. Mais je pense toujours que c’est vrai… Le personnage principal est damné par son pouvoir. Stephen King lui ressemble un peu dans ce sens. Il y a aussi un bon nombre d’histoires dans lesquelles il travaille avec l’écrivain comme personnage central de la problématique. Il y a d’abord ‘SALEM’S LOT où l’écrivain est celui qui peut tout comprendre mais ne peut pas arrêter les choses. Mais, dans THE DEAD ZONE l’écrivain est cette personne qui a ce don qu’il ne peut pas vraiment contrôler et qui fait de lui un personnage qui obsède les autres. C’est l’histoire de sa vie, non ? C’est la raison pour laquelle je pense qu’il s’agit d’un livre autobiographique, et cela continue, de MISERY à THE DARK HALF. J’aime beaucoup CUJO et son côté réaliste. Ce n’est ni de la Science-Fiction, ni du Fantastique ou quoique ce soit. Il montre ici qu’il peut écrire des livres réels. Il l’a aussi montré avec THE BODY (LE CORPS) ainsi qu’avec des romans plus courts. Mais je crois que le réel dans CUJO fonctionne vraiment bien. Steve ne l’aime pas vraiment. Lorsque les films de Cujo et THE DEAD ZONE furent diffusés sur grands écrans, il trouvait que le film CUJO était meilleur que le livre mais pensa l’inverse de THE DEAD ZONE. Moi, je dirai plutôt que Cujo est un meilleur roman que THE DEAD ZONE, et que le film de THE DEAD ZONE est meilleur que celui de CUJO.

Lou Van Hille : Y-a-t’il d’autres romans que vous considérez comme  » faible  » ?

Burton Hatlen : Je n’aime pas THE TOMMYKNOCKERS est celui qui me dérange le plus car il s’agissait d’une tentative de faire un pavé ; il est trop long. Il y a de bons passages mais la structure de base me semble mauvaise (…). THE DARK HALF n’est pas l’un de ces pavés. Ni un point fort dans la carrière de Steve, même s’il s’est bien vendu. THE DARK HALF fait parti des courts romans de Steve, un peu comme THINNER (LA PEAU SUR LES OS), un autre livre que j’aime beaucoup.

Lou Van Hille : King a écrit qu’il vous considérait comme un  » lecteur de poésie à l’esprit assez ouvert « .

Burton Hatlen : J’ai participé à un projet d’atelier de poésie durant les années où Steve était étudiant. Pour cet atelier, je demandais aussi bien la participation des étudiants et du sérieux. Il doit sûrement faire référence à cela. Ce cours avait lieu une fois par semaine et cela dura plusieurs mois. Le but de cet atelier était de faire de la poésie, puis de photocopier notre travail et de le diffuser. Steve et Tabitha étaient très actifs dans cet atelier.

Lou Van Hille : Etiez-vous proche de Stephen King lorsqu’il était étudiant ?

Burton Hatlen : L’année qui a suivi cette première année de cours, Jim Bishop et moi-même avions prévu de mettre en place un cours de poésie contemporaine Américaine. J’écrivais de la poésie et ce projet m’intéressait (…). Steve s’est inscrit dans ce cours. Il devait y avoir une douzaine d’étudiants, je crois. Cette classe fut un élément moteur pour la naissance d’un groupe de créatif qui dura environ 3 ans. Les étudiants qui participaient à ce cours écrivaient beaucoup et surtout de la poésie. L’atelier de poésie dont je vous ai parlé un peu plus tôt est né à cette période (…). Cette année était très importante dans les études de Steve (…) ; petit à petit, l’atelier de poésie contemporaine Américaine. Je voyais dons Steve beaucoup hors des cours. Nous nous sommes même retrouvés dans des soirées. Il venait assez souvent me voir à mon bureau et nous partions de ses écrits (…). J’ai de nombreux souvenirs de ces rencontres avec Steve lorsqu’il était étudiant.

Lou Van Hille : Vous avez mentionné un peu plus tôt le fait que Steve était  » sauvage « . Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Burton Hatlen : Avant tout, il faut dire que Steve avait une incroyable présence, ici. De plus, il devait travailler tout en continuant ses études. Il venait d’une famille assez pauvre. Je me souviens d’un certain jour où il est venu me voir pour m’expliquer que pour une raison ou pour une autre, il avait dû faire une demande d’aide financière. Mais on lui avait répondu qu’il s’y était pris trop tard et qu’il lui faudrait attendre un an avant d’avoir cette aide. Cela le perturbait énormément et il me dit qu’il ne pourrait pas continuer ses études s’il obtenait pas cette aide financière. Il me demanda si je pouvais faire quoi que ce soit, ce à quoi je répondis positivement, je verrais ce que je pourrais faire. Je me suis donc rendu au bureau des aides financières et je leur ai dit qu’il y avait un étudiant assez exceptionnel et qu’il fallait tout faire pour le garder à l’UMO. Et ils lui ont donné son aide financière. Je crois que cela montre bien combien il ne roulait pas sur l’or. Cela ne faisait aucun doute qu’il venait d’un milieu très pauvre ; ses vêtements et tout. Mais, il avait, en contrepartie, une personnalité très forte. Il était très actif, comme je vous l’ai déjà dit plus tôt (…). Il était aussi très actif politiquement. Je crois bien que tout ceux qui étaient sur le Campus à cette époque là se souviennent de lui. Et il y avait cette photo de lui en première page du Maine Campus. Il avait les cheveux longs, jusqu’aux épaules et une barbe imposante. C’était à peu près à la même époque de la sortie du film  » DELIVRANCE  » et il devait s’agir d’une parodie. Steve avait un fusil à la main sur cette photo et le pointait vers l’appareil de façon à ce que les deux canons du fusil soient au premier plan. Et il vous regardait avec un regard  » sauvage « . Sous la photo, on pouvait lire les mots  » Study, damn it !  » (NDT : Etudiez, bon dieu !). Cette photo a été réutilisée en diverses occasions.

Lou Van Hille : Pensez-vous qu’il aurait pu y avoir (ou y-a-t’il eu) d’autres Stephen King ? Pourquoi King a-t-il réussi ?

Burton Hatlen : Je pense que Steve brillait (N.D.T. : il y a ici un jeu de mots intraduisible. Nous avons en anglais  » I think he did shine « , en référence au roman THE SHINING). Il savait exactement ce qu’il voulait faire. Il voulait devenir écrivain et il savait quel genre d’écrivain il voulait devenir. Il y donnait le meilleur de lui-même et c’est assez rare. Cela ne m’a pas trop surpris qu’il ait fini par y arriver… Ce qui m’a surpris, c’est comment il y est arrivé et de façon si spectaculaire ! Mais quelque part, pour moi, il est resté le jeune étudiant que j’ai connu à l’époque (…). Stephen King écrit d’ailleurs très bien sur les jeunes, et particulièrement l’adolescence. Lorsque It est passé à la télévision, Steve m’a téléphoné et m’a demandé si j’aimerai venir le voir chez lui. Quand son nom est apparu à l’écran, il m’a dit  » tu ne peux t’imaginer comment ça fait bizarre de voir son nom comme une marque publicitaire  » (…). Les médias ont tendance à effacer la personne qui se trouve derrière le nom (…). C’est quelque chose que je n’arrive pas à comprendre (…). En 1990, la chaîne télévisée Fox préparait une émission sur Steve et est venu me voir pour une interview, que j’ai acceptée. Ils ont enregistré une heure d’interview durant laquelle ils n’ont cesser d’essayer de me faire révéler quelques secrets ; ils voulaient un scandale, quelque chose de chaud dont ils pourraient se servir. Je trouvais cette expérience très déplaisante et j’ai pris la décision de ne plus faire d’interviews publiques sur King. Le problème est que ces gens n’ont aucune reconnaissance, ni aucun respect pour le côté humain de l’amitié qu’il y a entre Steve et moi. Pour eux, cela ne les concerne pas. Steve a refusé de les voir et cela m’a fait plaisir.

Lou Van Hille : Pensez-vous que le fait de grandir dans le Maine a eu une certaine influence sur l’écriture de Stephen King.

Burton Hatlen : King n’a pas passé toute son enfance dans le Maine. Le paysage de son roman IT/CA en est la preuve. La ville de Derry est un mélange de Bangor et d’une ville de Pennsylvanie où il a habité. Tous ses séjours hors du Maine furent très importants pour lui. J’aimerais aussi ajouter quelque chose qui me semble très intéressant. Lorsque Steve était étudiant dans ma classe, nous avons étudié les romans de Faulkner et de Steinbeck. Ces deux écrivains ont eu une très grande influence sur lui et Steve continue à s’intéresser de près à leurs ouvrages aujourd’hui. Steve a écrit plusieurs livres dont les histoires se passent hors du Maine mais je pense qu’il se sent plus à son aise dans notre état car il le connaît mieux. Dans certains romans, tels que THE STAND/LE FLEAU, même si les personnages centraux quittent rapidement le Maine, de nombreuses scènes très importantes s’y passent. Le Maine a une très bonne influence sur Steve. Je crois qu’il a lui même soufflé le chaud et le froid à l’Université mais être étudiant dans le Maine fut une très bonne chose pour lui. Les gens lui ont apporté beaucoup de reconnaissance ici et il a été beaucoup moins critiqué pour sa recherche d’intérêts d’un certain genre littéraire. Bien moins que s’il avait vécu ailleurs. Toute institution académique se doit de s’intéresser à la grande littérature et la dissocier des  » déchets  » littéraires. King s’amusait d’ailleurs avec cette idée de  » déchets « . C’est pour cela qu’il a écrit sa colonne KING’S GARBAGE TRUCK (N.D.T. : LE CAMION POUBELLE DE KING) dans le journal universitaire. Comment a-t’il pu trouver un titre de la sorte ? Il l’a bien entendu tiré des  » déchets  » littéraires. Il s’agit d’un titre sans prétention et je crois qu’il s’agissait de l’endroit exact où il devait se trouver. Je dirais même que King a eu de très bonnes influences aussi au lycée. Un de ses professeurs avait remarqué qu’un certain talent sommeillait en Steve et l’aida à trouver la voie. C’est probablement pour cela que l’on trouve beaucoup de professeur de lycées dans ses romans. Ils lui ont beaucoup apporté et c’est probablement aussi pour cela que Steve voulait lui même devenir professeur. Il faut aussi prendre en compte le fait que Steve n’avait pas de père et avait tendance à rechercher un substitut paternel. L’homme le plus important pour lui fut, je crois – bien que je ne l’ai jamais rencontré – le professeur de lycée qui donna à Steve l’idée du personnage Matthew Burke dans ‘SALEM’S LOT/SALEM. Je crois aussi que le Maine fut un lieu idéal pour sa vie d’adulte et sa vie d’écrivain. Ici, à Bangor, il peut vivre une vie normale. Les gens le laissent en paix. C’est un peu la façon de faire des habitants du Maine et c’est un très grand avantage pour tout écrivain. Le seul incident notable fut l’entrée par effraction d’un individu dans la maison des King. Ce fut un événement assez troublant et j’ai bien peur que désormais Steve et sa famille savent qu’ils ne pourront pas vivre une vie normale… Et c’est bien dommage !

Lou Van Hille : Pour revenir aux influences de Steve. Croyez-vous que King sera le nouveau William Faulkner ?

Burton Hatlen : Je vais essayer de répondre à votre question mais sans y répondre réellement. Parlons de William Faulkner et de l’un de ses plus récents ouvrages, qui fit de lui un véritable écrivain. Parlons de politiques de canonisation littéraire. La raison de ce livre vient du fait que durant les années qui ont juste suivi la Seconde Guerre Mondiale, en partie pour des raisons de nationalisme culturel, les États-Unis avaient besoin d’un grand écrivain. Pour de nombreuses raisons, Faulkner fut choisi par ces critiques littéraires très influentes, qui avaient des relations dans les États du Sud (Robert Penn Warren et Alan Tate). Un groupe de critiques littéraires classa Faulkner comme l’écrivain numéro UN. Ce mouvement eut un intérêt similaire en France. On peut sans problème établir arbitrairement que tel ou tel écrivain sera un grand auteur et commencer une campagne politique pour le promouvoir. Je pense que Faulkner est un écrivain très intéressant et puissant. Je pense aussi -et là, je parle du point de vue de Steve – que Steve dirait de John Steinbeck qu’il est aussi un grand auteur. Steinbeck n’a pas été canonisé au même rang que Faulkner (…). Un problème engendré par les études scolaires est que l’on se laisse prendre par les apparences des choses. L’erreur fréquente est d’assimiler le nombre de lignes écrites, dans une encyclopédie, sur un auteur à une vérité objective concernant la qualité littéraire de ses ouvrages. Ainsi, il est aberrant de dire que Faulkner est un écrivain huit fois meilleur que Steinbeck du simple fait qu’il y a huit fois plus de commentaires sur lui dans certaines encyclopédies. En ce qui concerne Steve, je dirais la chose suivante. Il s’est imposé un but : essayer d’établir un pont entre la culture de masse et la littérature traditionnelle et sérieuse. Il ne voulait pas se limiter ni à l’une, ni à l’autre. C’était très courageux de sa part. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il est le seul à faire cela. Steinbeck, lui aussi, l’a fait. Tout comme Hemingway. Ce qui diffère avec Steve, c’est qu’il a intentionnellement choisi des sujets qui n’avaient jamais réellement été acceptés par la littérature de  » qualité « . La notion de littérature sérieuse établie dans un mode réaliste pris ancrage au XIXème siècle et c’est cette notion qui eu tendance à dominer les débuts du fantastique tout au long du XXème siècle. La véritable littérature était centrée sur un mode réaliste. Ceux qui écrivent de la Science Fiction ou du Fantastique écrivent en fait de la Fiction Extra-littéraire. Lorsqu’il était étudiant, ces dichotomies commençaient déjà à s’effondrer, en partie grâce à Tolkien. Tolkien a eu aussi une grande importance sur l’écriture de King. Il n’a jamais beaucoup parlé de Tolkien, mais il m’a un jour dit que THE STAND/LE FLEAU était assez fortement basé sur THE LORD OF THE RINGS/LE SEIGNEUR DES ANNEAUX de Tolkien. D’une façon ou d’une autre, Tolkien fut pris au sérieux par la littérature, et devint largement connu, durant les années soixante et septante. Pourtant, Tolkien écrivait de la Fiction ! On pouvait alors, une fois de plus, considérer la Fiction comme véritable littérature. Entre temps, Steve s’était aussi intéressé à des écrivains de masse, des écrivains de best-sellers. Des livres qui suivent des règles d’écriture. Si, par exemple, vous lisez un livre de Robert Ludlum, vous avez la formule typique de chacun de ses romans. Les histoires policières et de science-fiction dépendent beaucoup de ces règles d’écriture. Mais c’est différent chez Steve. Il n’établit jamais de schéma de base valable pour plusieurs romans. Comparez-le à d’autres auteurs, qui ont eu des carrières fulgurantes en tant qu’écrivains de best-sellers lors des trente dernières années (Jacqueline Susann, Robert Ludlum, Danielle Steele, Tom Clancy et d’autres). Ce sont exactement des écrivains de  » romans à formules « . Pas Steve. Pour moi, c’est là que réside la différence principale. Chaque modèle de base est revu et repensé… Sauf pour THE TOMMYKNOCKERS, le premier roman qui, selon moi, ne suit plus cette optique d’écriture. Le fait qu’il ne se répète pas est de très bonne augure pour son avenir au sein du monde de la littérature. Dans l’anthologie FEAR ITSELF (N.D.T.: Recueil d’essais dans lequel on retrouve ON BECOMING A BRAND NAME, par Stephen King)., King se compare à Charles Dickens et cela me semble être une comparaison très intéressante car Dickens était lui aussi très célèbre et repensait la forme de base de chacun de ses romans. L’autre écrivain auquel Steve s’est comparé de temps à autre est Jack London, ce qui est aussi très intéressant. Je pense que le rôle que Steve joue dans la culture américaine a beaucoup de points communs à celui joué par Jack London. Ce dernier est un personnage étrange de la littérature américaine car il n’a jamais vraiment suivi les règles de la littérature américaine, même si dans d’autres pays, il est considéré comme l’un de nos plus grands écrivains.

Lou Van Hille : Stephen King semble beaucoup s’intéresser à la Littérature en général, mais pas uniquement à celle Anglo-saxonne. Il s’intéresse aussi à la Littérature Française. Stephen King fait aussi de nombreuses références à la langue française dans ses romans. Une rumeur circule sur le fait qu’il aurait en projet l’écriture d’un roman en Français. En avez-vous entendu parler ?

Burton Hatlen : (Rires) Je crois bien qu’il s’agit d’une rumeur non fondée. Steve ne maîtrise vraiment pas très bien le français. Sa femme, Tabitha, elle, lit le français, mais pas lui. Tabby est d’ailleurs d’origine française. Son nom était, il y a plusieurs générations, LePin. Nombreuses sont les familles d’origines françaises ici dans le Maine, et surtout à Old Town, où habitait la famille de Tabitha. Les communautés françaises étaient (et le sont toujours) considérées comme des minorités et ne correspondaient pas au standard américain. Afin de corriger ce problème, de nombreuses familles ont américanisé leur nom… Ainsi, Lévêque est devenu Bishop, Rossignol est devenu Nightingale… Et tant d’autres. Il suffit de parcourir l’annuaire téléphonique pour s’en rendre compte. Les ancêtres de Tabby ont ainsi transformé LePin en Spruce. Mais Steve, lui, ne connaît que très mal le français !

Lou Van Hille : Nous lui envoyons chaque numéro du Steve’s Rag, même si nous savons qu’il n’aime pas trop l’idée des Newsletters. Il y a donc très chances qu’il puisse le lire…

Burton Hatlen : En effet ! Tabby pourrait le lire, mais pas lui.

 





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