Edito # 9
Le livre : Agonie Virtuelle ?
(Frank « Fox » Berlez)
Est-ce que tout amateur de littérature Fantastique digne de cette appellation se doit d’avoir lu l’intégrale de l’œuvre de Stephen King? Variante : est-il nécessaire d’avoir lu tous ses romans pour s’octroyer justement cette appellation? La réponse à ces questions est aussi évidente qu’indiscutable : Non ! Malheureusement la Société de consommation qui caractérise cette fin de siècle commet souvent l’amalgame douteux entre chiffres de vente et discipline artistique. De par ses tirages records (l’écrivain le plus lu au monde?), King s’est vu affublé de la toujours lourde à porter panoplie du représentant officiel de son art. Un savant cocktail de talent, de chance et de hasard, le tout saupoudré d’un zeste d’opportunisme suffit à faire d’un simple être humain un phénomène de société. Que cela plaise aux puristes ou non, King est en passe de devenir l’écrivain grand public du XXème siècle. Les éditeurs se foutent de savoir s’il en possède réellement les caractéristiques qui, je le rappelle, sont le conformisme, la banalité et un flagrant manque de subtilité. L’important est d’accroître les sacro-saintes ventes. N’est-il pas irritant d’apprendre la sortie d’un nouveau bouquin de King par l’intermédiaire de ses grands-parents qui, comme tous les ancêtres qui se respectent, sont abonnés à ce genre de revues qui leur propose chaque mois une sélection de romans. Dans les castes superficielles de notre société, il est de bon ton d’avoir lu le dernier Goncourt ou Renaudeau, pour les autres classes sociales, LE livre que l’on doit lire dans l’année sera le dernier King. Constat qui prouve, s’il en était encore besoin, que notre mentalité a évolué. Imaginez un peu Stoker ou Lovecraft à leur époque élevés au rang d’écrivain de Best-sellers. Ridicule. L’horreur, le Fantastique, l’Heroic Fantasy, qu’importe le nom, toute cette mouvance de pensée faisait peur, était qualifiée de malsaine. Certes, cela ne simplifiait pas la distribution mais au moins cela conférait à cette littérature un réel pouvoir. D’aucuns voient en cette évolution un signe de maturité, d’autres font le parallèle avec l’apparition d’abord puis l’avènement de médias concurrents. Il n’est pas superflu de rappeler que jusqu’au XIXème siècle le livre a régné en maître puisqu’il était le seul instrument de connaissance. Le Despote bouffi qu’il est devenu au fil des décennies faute de concurrents a eu beau snober sa progéniture : la radio, la télévision et plus tard l’ordinateur, il n’est pas certain que sa primauté incontestable puisse le sauver d’une totale extinction. Soyons lucides : quels sont les médias classés X aujourd’hui? Le cinéma et la musique, pas les romans. La littérature fantastique, si elle recèle une part importante de violence ne peut plus s’aligner avec son homologue visuel. Qui se souvient qu’avant d’avoir été un film, l’Orange Mécanique de Kubrick a été un roman d’Anthony Burgess? A l’exception de Salman Rushdie et de toutes les oeuvres religieuses, où sont passés nos autodafés d’antan, quand nous brûlions encore les livres condamnables à grands coups de flammes salvatrices? La répression, si elle est moralement haïssable, n’en est pas moins garante d’une éternelle contestation synonyme de contre-pouvoir. En 1996, il est possible d’écrire les pires ignominies sans provoquer autre chose qu’un froncement de sourcils. Prenons comme exemple les jeux de rôles confrontés actuellement à la vindicte gouvernementale et parentale. Va-t-on voir la peur injustifiée qu’ils provoquent se propager vers l’écrivain qui a façonné le Monde préféré des premières générations de rolistes : Tolkien? Son cadavre peut reposer en paix. Les Livres, jadis considérés comme le symbole de l’imagination absolue, ont déjà bien entamé leur chant du cygne parce qu’ils ne parviennent plus à choquer. Or, pendant la période où s’installe notre personnalité : l’adolescence, le futur adulte a un réel besoin de choquer, ce qui l’amènera vraisemblablement sur une voie où l’assemblage de lettres noires sur une feuille blanche sera désormais appelé Antiquité. Les paroles ne s’envolent plus vraiment, les écrits restent toujours… mais indiffèrent. Quant aux images, on peut supposer que leur règne ne durera pas très longtemps…
Le 28 février 1996.