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Divers

Steve’s Rag 27 – Interview avec Yves Sarda

Interview avec
Yves Sarda


(Club Stephen King) CSK : Yves Sarda, bonjour. Vous êtes entré dans le cercle fermé des personnes ayant eu le privilège de traduire des histoires de Stephen King. En 1997, vous avez traduit WIZARD AND GLASS / MAGIE ET CRISTAL (quatrième volume de la série THE DARK TOWER / LA TOUR SOMBRE), vous avez aussi corrigé les traductions des trois précédents tomes de cette même série, et vous vous êtes ensuite attelé, quelques temps plus tard, à la traduction de la nouvelle LITTLE SISTERS OF ELURIA / LES PETITES SŒURS D’ELURIE (publiée dans le recueil LEGENDS / LEGENDES). Pouvez nous dire comment cette belle aventure «Kingienne» a commencée ? Quelle a été votre réaction lorsque l’on vous a proposé de traduire un roman de Stephen King ?

Yves Sarda (YS)  :  A vrai dire, la traduction de WIZARD AND GLASS m’est « tombée dessus » un peu par hasard. J’avais contacté les Éditions J’ai Lu à l’occasion de la sortie en poche de L’ARME DU CROCODILE de Carl Hiaasen (« mon » auteur de prédilection depuis 1990) en leur proposant d’améliorer ma traduction sur certains points de détail. A mon grand étonnement, ma demande fut agréée et tout le monde en fut ravi, moi le premier. Quelques mois plus tard, on me proposait de traduire WIZARD AND GLASS. Ceci fut-il une conséquence de cela ? Bien sûr, j’acceptai. Je ne savais pas alors de quel poids écrasant je chargeais mes épaules !

 CSK Comment avez-vous abordé la traduction de MAGIE ET CRISTAL, sachant qu’il est en fait le quatrième tome d’une grande histoire mais aussi, sachant que King précise clairement que la série LA TOUR SOMBRE est la pièce maîtresse de son œuvre et que toutes ses autres histoires gravitent autour. Avez vous lu ou relu l’intégralité des romans et recueils de King pour mieux vous préparer ? Quelles sont vos techniques pour attaquer une traduction aussi importante ? n’aviez pas l’impression d’avoir un poids immense sur les épaules ?

YS A l’époque, de King, je n’avais lu en tout et pour tout que PET SEMETARY (en anglais) et SALEM (en français), mais j’avais vu de nombreux films tirés de ses romans, CARRIE, SHINING, CHRISTINE (pour lequel j’ai une affection particulière), MISERY, STAND BY ME, CHARLIE, LES VAMPIRES DE SALEM… je savais aussi qu’il considérait LA TOUR SOMBRE comme son oeuvre majeure. Je me suis pas préparé à cette traduction, j’y ai plongé d’emblée, car les délais de remise étaient très courts et impératifs, la sortie étant dores et déjà fixée. J’ai bien sûr lu en parallèle de mon travail, les trois premiers volets des aventures de Roland et de son ka-tet , en français d’abord, puis très vite en anglais. C’est là que je me suis aperçu que le texte français souffrait d’avoir été confié à plusieurs traducteurs, qui semblaient avoir travaillé indépendamment les uns des autres avec plus ou moins de bonheur… pour le lecteur. Heureusement, j’ai pu rectifier le tir (discrètement, il ne s’agissait pas de retraduire, mais plutôt de corriger, compléter, modifier et je l’espère aussi, d’améliorer ici ou là) grâce à la reparution en grand format des trois premiers tomes, qu’on m’a alors chargé de relire, entre autres pour unifier le rendu de certains concepts.

CSK Quelles ont été les plus grandes difficultés rencontrées lors de la traduction de MAGIE ET CRISTAL ? Y a-t-il des choses dont vous n’êtes pas vraiment satisfait, des choses que vous aimeriez corriger ?

YS : Je ne me souviens pas de difficultés précises, mais de quelques casse-têtes (les devinettes de Blaine par exemple) et de la nécessité de respecter le mélange ambiance western latino et l’anglais archaïque et dialectal mâtiné d’écossais de certaines expressions (dans la partie SUSAN). Je me rappelle surtout du vertige de se retrouver immergé dans un univers inconnu et imaginativement aussi riche. Mon seul regret concerne l’utilisation de shining  en désespoir de cause pour rendre le touch d’origine. J’ai depuis trouvé l’équivalent français qui convient: le tactile .J’ai même tenté de le faire corriger dans l’édition de poche, mais en vain.

 CSK :  A l’opposé, y a-t-il des passages du livre dont vous êtes particulièrement content ?

YSJe suis assez content dans l’ensemble du résultat et de certaines trouvailles comme « la tramée », « Tonnefoudre » ou « Le Zonzon d’Oz ». Mais ce n’est pas à moi qu’il appartient d’en décider.

CSK :  Quels délais vous avaient été donnés pour traduire l’ouvrage ? Quels étaient les impératifs imposés par votre maison d’éditions ? Selon vous, pour ce genre d’ouvrage, quel est le délai le plus réaliste pour le traducteur et pour qu’il se sente dans les meilleures conditions pour effectuer sa traduction ?

YS : J’ai répondu plus haut. J’ai disposé d’environ dix mois pour effectuer ce travail. Il n’y a pas de délai « réaliste » en matière de traduction: tout dépend de la disponibilité, de l’implication, je dirais même plus, de l’inspiration de celui qui traduit. Par ailleurs la traduction n’est pas une  science exacte, comme l’a dit si justement l’un de mes amis traducteurs.

CSK :  Comment avez-vous procédé pour les corrections apportés aux trois précédents tomes ? Êtes-vous entré en contact avec leurs traducteurs respectifs ? Comment se passe ce genre de retouches sur le texte d’un autre traducteur ? Ne faut-il pas trop ménager les susceptibilités ?

YSJ’ai déjà répondu plus haut. Il s’agissait plutôt d’un toilettage discret, en toute modestie. C’est la raison pour laquelle j’ai refusé que mon nom soit cité à côté de ceux des traducteurs d’origine, comme on me l’avait proposé.

CSKLES PETITES SŒURS D’ELURIE… Pouvez-nous parler de comment s’est passée la traduction de cette nouvelle ? Revenir dans l’univers de Roland, le pistoléro, après le travail titanesque de MAGIE ET CRISTAL, cela fut il pénible ?

YSElle s’est passée très bien et très rapidement. J’étais ravi de retourner dans l’univers du PISTOLERO pour une oeuvre bien plus légère (en nombre de pages, s’entend). Il me semble même me souvenir d’avoir quasiment enchaîné les deux textes.

CSK :  Comment avez vous réagi lorsque vous avez découvert que les éditions ALBIN MICHEL avaient demandé, à leur traducteur « spécialisé » dans les romans de King, de retraduire le texte de la nouvelle pour son insertion dans le recueil EVERYTHING’S EVENTUAL / TOUT EST FATAL ? Pensez-vous qu’il s’agissait d’une demande de la part du traducteur de traduire l’intégralité de l’ouvrage ? S’agissait-il simplement d’un but financier (monsieur William Olivier Desmond est traducteur chez ALBIN MICHEL depuis un certain nombre d’années. Vous êtes plutôt lié à J’AI LU / EDITIONS 84 si je ne m’abuse. Peut-être les éditions ALBIN MICHEL ont préféré faire appel à leur propre traducteur plutôt que de financer les services d’un traducteur d’une maison d’éditions concurrente pour une seule nouvelle) ?

YSJe n’ai guère été étonné, car cela m’est déjà arrivé pour une autre nouvelle (de James Crumley) qui avait d’abord été publiée dans une anthologie MEURTRES ET PASSIONS, avant d’être reprise dans un recueil de nouvelles de l’auteur chez son éditeur attitré. Dans les deux cas, la nouvelle a été retraduite. Peu importe, il existe deux versions françaises. Abondance de biens ne nuit pas.

CSK :  En toute objectivité, qu’avez vous pensé de la traduction faîte par monsieur Desmond ?

YS : Je ne l’ai pas lue.

CSK : William Olivier Desmond a un jour déclaré que les textes de King ne sont pas très littéraires, qu’ils ne sont pas écrits dans un anglais extraordinairement bon et que son rôle de traducteur est de rehausser le texte original à une culture littérairement plus exigeante que celle des États-Unis. Qu’en pensez-vous ? N’est-ce pas, quelque part, trahir le texte d’origine et être à la limite (voir même la dépasser) de la surtraduction ? Nous avons comparé plusieurs de ses traductions avec les textes originaux de King et nous avons pu déceler un nombre impressionnant de faux sens, de contresens, d’erreurs dans les noms des personnages, de passages entiers simplement tronqués, ou de pertes de significations de certains passages car le traducteur est passé à côté de certaines références à la culture américaine qui ont toute leur importance dans les romans de King… Pensez-vous que dans ce cas là, il soit correct de parler de rehausser le niveau d’un livre au détriment de sa fidélité au texte d’origine ?

YSJe n’ai pas d’opinion là-dessus. William Olivier Desmond a l’avantage (?) sur moi d’être américain d’origine, donc d’être mieux à même de juger de la qualité littéraire du texte de départ. Quant au texte d’arrivée, c’est au lecteur français de trancher.

CSK :  Plus généralement, comment définiriez vous le rôle du traducteur ? Vous n’aimez pas l’appellation « traducteur professionnel ». Pourriez vous nous dire ce qui vous dérange dans cette appellation ?

YS : Je vous renvoie à Godard et à ses « professionnels de la profession » et à la phrase citée plus haut de mon ami Philippe Delranc sur la science inexacte qu’est la traduction. Je préfère, de très loin, me positionner comme amateur et même dilettante.

CSK :  Comment avez vous appris que vous ne traduiriez pas le tome 5 de la série LA TOUR SOMBRE ? Comment se fait-il que votre maison d’éditions ne vous ait pas contacté alors que vous aviez traduit le tome 4 et corrigés les trois premiers tomes ?

YSJe ne l’ai pas appris, je l’ai déduit des rares informations en ma possession. L’équipe qui s’occupe désormais du secteur SF chez Flammarion/84/J’ai Lu a changé et je ne la connais pas. Je pense que le fait qu’il y ait eu quatre traducteurs différents jusque là a joué en ma défaveur ainsi que ma discrétion concernant mes « corrections » des trois premiers volumes.

CSK :  Quels sont vos projets actuels ?

YS : Je termine la traduction d’un roman de Christopher Buckley (c’est le cinquième ouvrage de lui sur lequel je travaille) qui paraîtra à la rentrée chez Buchet-Chastel. C’est un roman politico-satirique qui imagine le procès pour meurtre de la Première Dame des États-Unis. Je m’amuse beaucoup. Puis j’enchaînerai avec un thriller de James Patterson pour les Editions Lattès.

CSK :  Allez-vous faire une demande pour que l’on vous attribue la traduction des deux derniers tomes de la série (ce qui rassurerait beaucoup de fans de LA TOUR SOMBRE, en toute honnêteté) ?

YSNon. Désolé de vous décevoir et merci d’avoir apprécié mon travail. Je suis aussi scénariste et parolier et je craindrais en me réembarquant dans LA TOUR SOMBRE de me couper de tout trop longtemps. En revanche, j’attends avec impatience de lire – en anglais – la suite et le terme de l’aventure.

CSK :  Vous qui avez contribué à la diffusion de LA TOUR SOMBRE en France et qui vous êtes penché de très près sur les romans de la série, quels sont vos pronostiques pour la suite des événements ? Qui atteindra la Tour Sombre et qui ne l’atteindra pas ? La Ka-Tet de Roland va-t-il réussir sa quête ?

YS : Je n’aurais pas aimé être à la place de Stephen King pour imaginer (sans décevoir) la fin de cette histoire. A moins qu’il ne l’ait en tête depuis le début. Je ne vois pas comment elle pourrait être autre que décevante… pour certains des lecteurs. Deux fins possibles (par pur plaisir): si l’on considère que La Tour Sombre a pour lointain modèle les Romans de la Table Ronde, Jake devrait être celui qui perce le secret de la Tour (située, on nous l’a soufflé, dans le terrain vague de New-York dont Jake est originaire), étant le plus jeune et le plus « pur », Roland, tel Perceval, l’accompagnant jusqu’à l’avant-dernier stade. La Tour Sombre serait l’équivalent du Graal et sans doute vide. L’important de la quête étant de participer. Autre fin (sans aucune garantie), plus désinvolte, calquée sur LE MAGICIEN D’OZ (la fin du volume 4 servant de répétition générale) où New-York / le Kansas serait retrouvé par Jake qui se réveillerait. Mais j’ai conscience que tout doit être bien plus compliqué (surtout, si comme je l’ai lu, Stephen King fait intervenir de nombreux personnages de ses autres livres dans les péripéties à venir). Ce qui nous donne une autre fin possible, conceptuelle celle-là : LA TOUR SOMBRE devenant la métaphore de l’univers de l’auteur où toutes ses créatures viendraient se fondre dans une immense Tour de Babel enfin réconciliée. Ce qui serait une très belle sortie pour l’auteur qui a annoncé (une fois de plus) sa décision d’arrêter d’écrire. Mais j’espère que la solution de King est plus belle et plus large. Il en semble satisfait, si l’on en croit ses déclarations.

CSK :  Maintenant et pour finir, une question un peu plus intéressée… Selon vous (et vos connaissances des délais de publications), quand aurons nous une chance de voir WOLVES OF THE CALLAH, le cinquième tome de la série, disponible dans toute bonne librairie ?

YS : Si l’on se base sur la sortie américaine du tome 5, prévue pour novembre 2003, précédée d’une reparution du tome 1 dans une version plus étoffée (et qui, selon toute logique devrait être publié en premier), le printemps 2004 semble plausible pour la sortie française des LOUPS DE LA CALLAH.

Merci d’avoir bien voulu répondre à ces quelques questions. Faisons confiance au Ka et croisons les doigts pour que l’on vous propose de vous charger des traductions des deux derniers tomes de LA TOUR SOMBRE… En tous cas, si nous pouvions forcer le Ka, nous pourrions même nous arranger pour que l’on finisse par vous remettre tout de même le tome 5…

 

A très bientôt.





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