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Divers

Steve’s Rag 15 – La Cosmogonie dans The Talisman (Le Talisman) de Stephen King

La Cosmogonie de King dans The Talisman (Le Talisman) de Stephen KIng

(Roland Ernould)


    Les systèmes complexes d’équations établis au XIXème siècle à partir de la géométrie analytique et du calcul infinitésimal ont permis aux mathématiciens d’élaborer des formes qui échappent à l’évidence visuelle. La perception humaine, habituée à une vision euclidienne du réel, n’a pu que reculer devant la représentation des espaces gaussiens à n dimensions, qui entraînèrent comme conséquences des espaces à courbure positive ou négative, à représentations visuelles difficilement concevables. Quand Einstein y ajouta le temps et le relativité, ce fut la panique. Pas pour tous: les savants et les techniciens purent puiser dans ces modèles les moyens qui permirent, entre autres, l’utilisation du nucléaire comme la conquête de l’espace . Pour les littéraires auteurs ou amateurs de science-fiction s’ouvraient aussi de domaines espaces imaginaires nouveaux à explorer.
    King, comme d’autres créateurs de science-fiction2, n’a pas pu échapper à la tentation d’utiliser les champs ouverts par les espaces alternatifs et la multiplicité des mondes, avec toutes les implications imaginaires que cela suppose.
    Mais il apporta en plus à ce choix ce qui lui appartient en propre: une signification spirituelle particulière, dont la plupart des éléments figurent déjà dans THE STAND et qu’il a par ailleurs continué à enrichir jusqu’à DESPERATION. Le roman fondateur de cette cosmodicée à la fois spatio-temporelle et spirituelle fut THE TALISMAN, commencé en 1982 en collaboration avec Peter Straub, terminé et publié en 1984 (durant le même temps, il préparait pour sa fille THE EYES OF THE DRAGON3). Jack Sawyer, douze ans, entreprend une quête qui lui permettra de tester et de développer des qualités physiques, mentales et spirituelles qui le forgeront comme s’est forgé à peu près au même âge Roland de Gilead, surtout avec son maître Cort.
Si le terme, devenu rare, de cosmodicée a été utilisé plus haut, c’est dans la mesure où il apparaît que ce type de héros, au delà du modèle séduisant du jeune qui se construit positivement, est le produit inconscient de l’imaginaire de King, marqué par l’ambiance éducative de la Nouvelle-Angleterre, où la réussite et le succès dans l’action sont la sanction de l’approbation divine et de l’exemplarité de l’existence.
    C’est ce mélange particulier de science-fiction/fantasy moderne et de construction spirituelle sur des schémas plus anciens qui fera l’objet de cette étude.

UN AUTRE ESPACE-TEMPS: LES TERRITOIRES.

Le temps est le même4: les Territoires sont soumis aux cycles solaire et lunaire, d’une durée identique à celle de notre continuum. Lors d’un passage le soir, Jack quitte les Territoires alors que le ciel devient « mauve » (7,194); il se retrouve dans notre continuum « dans la lumière orange du coucher du soleil » (7,200).Mais on n’y reconnaît dans le ciel « ni les constellations de l’hémisphère Nord, ni celles du Sud » (36,808): « Des étoiles inconnues formant des constellations inconnues brillaient dans le ciel au-dessus de sa tête -messages envoyés dans un langage qu’il ne comprenait pas » (15,302).

L’espace n’est pas le même: les dimensions sont plus restreintes: « Dans les Territoires, il avait parcouru une distance de quatre mètres cinquante environ. Et ici il avait fait huit cents mètres » (4,92)5. Pour un observateur, le déplacement se fait à la même vitesse relative dans chacun des deux mondes. Mais tout déplacement dans les Territoires, suivi d’une incursion dans notre continuum, se traduira par un trajet beaucoup plus long effectué dans ce continuum. Les deux espaces sont homothétiques.

La simultanéité des événements.

    Il y a simultanéité entre certains événements des Territoires et ceux de notre continuum, appelé « l’Autre Lieu » par ses habitants. Certains sont de l’ordre du détail, comme des perturbations dans la vie quotidienne et sans conséquences importantes. D’autres sont plus graves, modifications diverses comme l’effondrement d’un immeuble en construction (14,349). Enfin certains sont catastrophiques: après l’assassinat d’un dirigeant par un étranger, une révolte mineure, fomentée par des mécontents cherchant à conquérir le pouvoir, est contrôlée en quelques semaines au prix d’une centaine de morts. Or cette guerre a commencé le 1er septembre 1939, comme notre seconde guerre mondiale: « Ce qui n’était là-bas qu’une échauffourée de trois semaines a en quelque sorte déclenché chez nous une guerre qui a duré six ans et tué des millions de gens » (11,288). Et enfin l’étranger, qui a commis l’assassinat à l’origine des troubles, venait probablement d’un autre espace-temps avec l’intention de créer des désordres par ricochet dans notre continuum.

La géographie des Territoires, « pays sans cartes » (5,117), n’est connue dans le roman que pour la partie correspondant aux U.S.A. Il est fait allusion à des navigateurs (36,808), à un passage effectué à partir du Japon (Interlude III,722) sans que l’on puisse conclure que l’ensemble de la géographie de ce monde est identique à la nôtre.
Les Territoires se composent de trois parties très différentes: « Une vague carte géographique des Territoires, probablement fausse à plus d’un titre, commençait à prendre forme dans l’esprit de Jack. Il y avait les Territoires, qui correspondaient à l’Est américain; les Avant-Postes, lesquels coïncidaient avec le Midwest et ses grandes plaines (Ellis Breaks? Illinois? Nebraska?) et les Terres Dévastées qui équivalaient à l’Ouest Américain » (34,746).
    Les « Terres Peuplées » (17,400), où se trouvent la majorité des habitants, leurs lieux de production, d’échanges et de gouvernement, constituent la partie vitale du pays et sont « fondamentalement bénéfiques » (13,327). Les Avant-Postes sont utilisés pour l’élevage, effectué par des loups-garous qui gardent les troupeaux. Ce sont des régions qui ne sont pas polluées par la civilisation industrielle, et on y perçoit l’odeur d’un radis arraché à des dizaines de mètres! (3,60). Par contre les Terres Dévastées sont de vastes déserts produits par des expériences nucléaires faites dans notre continuum et constituent un « monstrueux gâchis » (34,747). Peuplées par une végétation et des créatures aberrantes produites par la radio-activité6, elles sont la terreur des habitants. S’y promènent notamment des boules de feu d’origine nucléaire »projetant des étincelles et grésillant avec une ardente énergie » (35,777).

Les habitants des Territoires.
La plupart sont semblables aux humains de notre planète (morphologie, taille). Il y a au moins deux groupes raciaux: blancs et noirs (dits « à la peau sombre » (7,165). Les autres sont les loups-garous dont il a été question plus haut. La plupart des plantes et des animaux sont les mêmes, d’autres des hybrides y ressemblant comme les « monstrons » (16,390). Mais on rencontre des paradoxes: hommes volants (13,332), hommes-gargouilles ressemblant à celles des cathédrales de notre Moyen-Age (25, 581), animaux à deux têtes: perroquet7 qui se parle et se pose des devinettes (13,323), cheval (7,167); des plantes mi-sapin, mi-fougère, qui ont des racines qui agrippent et capturent (7,193).
    L’alimentation est à peu près la même -un long passage est consacré à la bière préférée de King: de la Kingsland…(7,177). Le niveau de civilisation équivaut à celui du Haut Moyen-Age (vers 900/1000)8 et les lunettes y sont inconnues (12,310). Les sources d’énergie sont celles de cette époque (pas de civilisation industrielle ni énergie moderne). L’armement médiéval se compose de poignards, de courtes épées, de lances, d’arcs et de flèches9.
    Le langage, « idiome harmonieusement fluide et légèrement flûté des Territoires » (42,973) est parlé sans problèmes et sans apprentissage par les Etrangers10 dès leur passage.

Politiquement, le pays est « une monarchie agraire », où « la magie remplace la physique » et « la science » (3,56). Mais la monarchie est en péril, la reine se meurt et le royaume est en proie à des dissensions fomentées par les agents du mal.
    Les habitants ne sont ni meilleurs, ni pires que les habitants de notre continuum: il y a les gentils, les industrieux, mais aussi les avides, les profiteurs, les voleurs et les lâches. Des sadiques, des ivrognes et des catins. La morale des Territoires est codifiée dans le Livre du Bon Fermier, sorte de Bible qui se trouve souvent citée sous forme de principes ou de préceptes et qui sert de référence à la plus grande partie de la population.

Portes et passages.

    Les Territoires et notre continuum sont des « mondes géminés » (Interlude IV,756): entre ces mondes, des portes sont ouvertes et des passages possibles.
    Si les êtres particuliers des Territoires ne peuvent pas les quitter, par contre d’autres peuvent passer dans l’espace parallèle qu’est notre continuum: certains habitants géminés avec des « Étrangers » (16,389) de « l’Autre Lieu » et des loups-garous (16,386), qui ont une apparence sensiblement humaine, mais dont il faut accompagner le passage, appelé aussi « Migration » (37,836). Ils peuvent éventuellement rester dans notre continuum11.

Les doubles.
    « Il y a des gens ici, qui ont leur double dans les territoires (…). Pas beaucoup, car ils sont moins nombreux là-bas -environ un sur cent mille » (4,81). Ces doubles peuvent s’habiter mutuellement, avec cependant un élément dominant, à la manière de notre cerveau: « Orris était encore là à l’intérieur de sa tête, et lui parlait à la manière dont l’hémisphère cérébral droit parlait au gauche pendant les rêveries: à voix basse, mais distinctement (…). Quand quelqu’un émigrait et s’introduisait dans le corps de son double, le résultat était une sorte de possession bénigne » (Interlude III,715)
    Le possesseur d’un double réapparaît obligatoirement à l’intérieur du double, et à l’endroit où ce double se trouve: « Sloat atterrissait toujours là où se trouvait Orris, c’est-à-dire aussi bien à des kilomètres de distance de là où il voulait être » (Interlude III,716).
    Enfin il y a des doubles qui s’ignorent et n’ont jamais « habité » leur jumeau, « comme la mère de Jack, profondément apparentée à une personne des Territoires mais inconsciente de cette parenté si ce n’est au tréfonds de soi » (21,517).

Les uniques.
    Ce sont ceux dont le double a disparu, pour diverses raisons: « Il n’y en a pas deux comme toi. Tu es unique » (4,82). Grâce à « l’ahurissante simplicité de sa nature », quand l’unique passe d’un monde à l’autre, il se retrouve homothétiquement « toujours dans l’endroit équivalent à celui qu’il avait laissé » (Interlude III,716).
    Les loups-garous paraissent également uniques, puisqu’il n’est nulle part question d’équivalents dans notre continuum12.
    Enfin une particularité: il y a aussi dans les Territoires la possibilité pour certains de se rendre « vagues »: « Par ce mot, ils désignent quelqu’un qu’on a peine à voir, même en le cherchant du regard. L’invisibilité reste impossible (…), mais on peut se rendre vague à condition de connaître l’astuce »13 (34,750).

Les passages humains.
    Entre les deux mondes, il y a un « purgatoire vide et insensible » (36,722) qui est franchi par divers moyens, la projection désirée étant le plus courant. Elle s’accompagne d’un phénomène physique: « Une bulle d’air gigantesque se ridait et ondulait à un mètre du sol, donnant l’impression de se tordre et de se déchirer (…). « Quelque chose déchire l’espace -quelque chose le traverse comme une blessure » » (17,406).
    Psychologiquement le passage est moins traumatisant: « Il y eut un instant d’apesanteur… rien qu’un instant… puis il perçut sous lui une sensation de mouvement (…). Il rouvrit les yeux dans la peau de Morgan d’Orris. Comme toujours, sa première réaction tenait du pur ravissement » (Interlude III,717). Le passage s’accompagne de modifications physiques: « Sa poitrine était plus étroite, son poids moindre. Le cœur de Morgan oscillait entre quatre-vingt-cinq pulsations/minute et cent vingt en cas de contrariété. Celui d’Orris dépassait rarement soixante-cinq »(Interlude III,714). Y compris le pied-bot dans le cas présent…(Interlude III,715).
    Pour l’apprentissage du passage, Jack utilise d’abord un désagréable élixir approprié (4,84), puis apprend à émigrer avec de plus en plus d’aisance. Car « la plupart des gens qui vont là-bas n’en ont pas besoin » (4,83).
    Il est possible de passer accompagné, ce que Jack fait à plusieurs reprises avec un loup-garou (17,414), procédé qui est à différencier de celui du passage dans le double. De même font les « méchants »: Gardener passe des individus qui travailleront dans ses mines, Morgan des équipes importantes pour mettre en place du matériel roulant.
    Les interférences peuvent être aussi politiques. On se souvient que c’est un assassin de notre continuum qui est intervenu pour fomenter les troubles dans les Territoires qui ont amené chez nous par synchronie la seconde guerre mondiale. Des criminels peuvent ainsi supprimer les doubles des deux mondes pour éviter toute continuité dans l’action d’un monde à l’autre. Quelquefois ça rate pour l’un d’entre eux: dans ce cas-là, le survivant des jumeaux devient unique (voir plus haut).

Les passages de matériaux.
    « L’acte d’Émigrer semblait impliquer une forme de translation » (37.836). Aux passages, les vêtements des humains sont spontanément adaptés à leur nouvelle situation: « Il portait à la place de ses jeans en velours côtelé un gros pantalon de drap rude. Au-dessus de la ceinture, il était vêtu d’une espèce de veste ajustée en étoffe bleue très douce. Un justaucorps peut-être?, se dit Jack. La veste était fermée non par des boutons, mais par une rangée d’agrafes et d’œillets. L’ensemble, à l’évidence, cousu main » (6,140)14.
    D’autres objets se transforment: un miroir devient une bille (13,321), des dollars des « jonchets » en bois, « évidemment monnaie d’échange » (13,313) calculée au plus juste….

Les mondes.

La multiplicité des mondes.

« Les Territoires ne sont pas le seul monde parallèle » (11,289) avait affirmé, avant sa mort, le père de Jack, lui-même double d’un Prince des Territoires.
    Lors d’un tremblement de terre Jack a la vision15 de cette multiplicité des mondes: « Les événements le transportaient. En un sens, il ne se trouvait pas du tout à l’Azincourt, ni à Point Venuti, ni dans le comté de Mendocino ni en Californie, pas plus que dans les Territoires américains que dans ces autres Territoires, mais il y était quand même, ainsi que dans une infinité d’autres mondes, et en tous à la fois. Jack n’occupait pas non plus un seul endroit de tous ces mondes; il était partout en eux parce qu’il était ces mondes (…). Jack Sawyer était partout; Jack Sawyer était tout. Sur un monde à cinquante mille mondes de la Terre, un brin d’herbe mourait de soif dans une plaine quelconque au centre d’un continent dont la position correspondait grosso modo à celle de l’Afrique, et Jack mourait avec ce brin d’herbe. Dans un autre monde, des dragons copulaient au milieu d’un nuage loin au-dessus de la planète, et au contact de l’air froid leur haleine enflammée par l’extase provoqua un déluge et des inondations sur la terre en dessous (…). Aux confins de l’éther à un million d’univers de distance, trois atomes de poussière flottaient les uns près des autres dans l’espace interstellaire; Jack était l’espace comme la poussière. Des galaxies se dévidaient autour de sa tête tels de longs rouleaux de papier, et le destin perforait chacune d’elles suivant des motifs aléatoires, les transformant en bandes de pianola macroscopique qui jouerait n’importe quoi du ragtime aux hymnes funèbres. Les dents fortunées de Jack mordaient dans une orange; la chair infortunée de Jack hurla quand les dents la déchirèrent (…). Son cœur bondit et mille soleils flamboyèrent en autant de novæ. (…) » (44, pages 989/990).

L’axe des mondes.
    Le « lien de tous les mondes possibles »16, c’est le Talisman, hyperforce bénéfique que ne peuvent s’approprier les méchants, qui ne peuvent qu’en défendre l’accès (41,939). « C’était le Talisman. L’essieu de tous les mondes possibles17. Combien de mondes? Dieu seul savait. Les Territoires américains; les Territoires eux-mêmes; les hypothétiques Territoires des Territoires, et ainsi de suite (…). Un univers de mondes, un macrocosme de mondes multidimensionnels… et en tous un objet qui restait identique; une force unificatrice qui se révélait indéniablement bonne, même si celle-ci se trouvait actuellement prisonnière d’un endroit néfaste: le Talisman, essieu de tous les mondes possibles » (37, 861). « Les méridiens et les parallèles » (44,998) ceinturent ce globe reflet de tous les autres et »doté d’un pouvoir infini » (43,970): « Mondes après mondes, certains magnifiques, d’autres diaboliques, chacun momentanément illuminé par la chaude lumière blanche de cette étoile que constituait le globe de cristal gravé de traits fins » (42,974).
    Ces mondes sont interdépendants et vivent en synchronie: « Dans tous les mondes, quelque chose bougea et se réinstalla en une position légèrement différente… mais à Point Veneti la bête logeait dans la terre; elle gronda parce qu’on l’avait réveillée et ne se rendormit pas avant soixante-dix-neuf secondes selon l’Institut de Séismologie de Cal/Tech » (44,988). « L’épicentre de cataclysmes similaires courait de cet endroit à travers tous les mondes, comme poinçonnée par la sonde creuse d’un géomètre » (44,992).
    Conséquence de cette interdépendance: « Il n’y a pas que des doubles, parce qu’il y a plus de deux mondes. Il y a des triplés… des quadruplés… qui sait? » (37,862). Quant à l’ unique, comme Jack, il peut se trouver partout « parce qu’il [a] sa place dans tous ces mondes », mais il ne peut évidemment exister « simultanément en tous » (42,960).

Le lieu de rencontre des mondes.
    C’est l’Hôtel l’Azincourt18, « vieil hôtel magique et sinistre »19 (38,871) à Point Veneti en Californie du Nord, encore appelé l’Hôtel Noir à cause de sa couleur. « Il y a quelque chose dans ce lieu. Il disait que c’était là depuis des lustres » (37,860). « Il fait sombre ici parce que tous ces mondes s’entassent, se chevauchent comme une [multiple] impression sur un même film » (39,894). Nulle part ailleurs les Territoires -et les autres mondes- ne sont aussi « proches » (38,875), au point que des éléments de l’un peuvent se trouver subrepticement dans l’autre, comme les arbres aux racines tueuses (42,958). « Les Territoires suintaient littéralement à Point Veneti » (39,880).
    Il y a ainsi dans le cosmos « des douzaines d’hôtels noirs… sauf que dans certains mondes, c’est peut-être un parc d’attraction noir… ou un camping-caravaning noir…ou je ne sais quoi » (37,862). Un peu plus loin, Jack passe d’un lieu à un autre (tente, gréement, talus gardé par un serpent géant): « L’intention restait partout la même, et les différences avaient aussi peu d’importance que les accessoires de prototypes rivaux » (42,961). Le lieu correspondant à l’Hôtel Noir dans les Territoires est un château moyenâgeux20, de style gothique, aux portes protégées par des herses (41,940).
    Seuls les uniques peuvent entrer dans l’Hôtel Noir: ces personnes « sont pareilles que lui… le Talisman. De nature unique » (37,863)21.

L’ordre de la lumière.

    Si la reine meurt, « alors nous aurons une horreur noire dans les deux mondes. Une horrible noirceur » (40,905). Seule la possession du Talisman peut éviter ce désastre.
    Le Talisman sera donc l’objet de « la quête » de Jack (42,974), qui a compris que la marche du cosmos vient du conflit duel entre des « personnages opposés, comme des statues allégoriques et symétriques, personnifiant le JOUR et la NUIT, la LUNE et le SOLEIL-l’obscurité et la lumière » (3,51). Ces personnages sont les enjeux de forces cosmiques qui les dépassent infiniment.

Le Grand Ordonnateur.
    L’ Ordonnateur du bien et de la lumière n’est pas nommément désigné, pas plus que son ou ses adversaires. Il est question de « la force qui cachait le Talisman dans l’hôtel » (40,912). Dans les Territoires, on ne jure que par le « Grand Charpentier »22 (7,164), qui paraît omniscient: « Aucun clou n’échappe au marteau du Grand Charpentier » (7,157). Ce Grand Charpentier est volontiers assimilé au dieu biblique dans les jurons: « Dieu me pile » (16,389) ou « Par les clous du Seigneur! » (16,385). Et son omnipotence est indiscutable: « Dieu enfonce ses clous tôt ou tard » (12,311).
    Les préceptes qui nous sont donnés sont ceux d’une société agricole: « Les humbles hériteront de la terre » (6,151). Le bon berger doit veiller à son bétail -on ne doit JAMAIS toucher au troupeau-, le loup23 qui dévore ses bêtes »doit être puni de mort » (17,403). Il ne faut pas « conduire au sacrifice le fruit de sa semence » (Interlude V,923). Morale simple, qui ne fait que reprendre d’anciens comportements agraires.
    Enfin il y a, communs aux deux mondes, des endroits mystérieux: le loup-garou Wolf perçoit dans notre continuum « une force mystérieuse » l’empêchant de tuer une proie: « cette force étrange lui était pourtant familière. Il ne s’agissait pas d’un interdit d’ordre moral, mais d’une force magnétique négative qui l’empêchait de traverser des lieux d’apparence ordinaire ». Ce sont « des lieux sacrés et il lui était absolument interdit d’y tuer (…). Comme tous les lieux sacrés, ils étaient situés à l’écart depuis la nuit des temps » (19,469).
    Quant à Jack, sa formation religieuse paraît des plus réduites. Il cite les Écritures. Le vieux musicien noir vadrouilleur Speedy, qui lui vient souvent en aide, lui fournit volontiers des explications théologiques des événements.

La prédestination.

    Les signes d’un choix particulier sont nombreux.
    Au point de départ de sa quête (15 septembre 1981), Jack et sa mère (double de la Reine des Territoires) se sont réfugiés à l’hôtel l’Alhambra dans le New Hampshire. « Jack eut la désagréable impression d’être manipulé; comme si un fil invisible les avait attirés, sa mère et lui, dans cet endroit abandonné au bord de la mer. Quelqu’un, quel qu’il fût, voulait qu’il se trouve là » (1,25). Pendant tout son voyage, cette impression subsiste.
    Vers la fin de sa quête, trois mois plus tard, « une fois de plus Jack éprouva la sensation irréelle que l’ensemble de sa vie avait concouru à l’amener précisément à ce point » (40,907).
    « Les destinées. Voilà de quoi il s’agit », explique Speedie. « Toutes ces destinées expliquent pourquoi ta maman t’a conduit à l’hôtel de l’Alhambra (…). Le Talisman t’a attiré ici, petit » (40,906).
    « Le Talisman connaissait son existence dès la première heure de sa naissance et attendait depuis lors qu’il vienne le libérer. Le Talisman avait besoin de Jack Sawyer et de personne d’autre » (45,1024).

Le messie.
    Jason, fils de la Reine des Territoires, devait initialement effectuer cette mission. Son assassinat fera de son double Jack son successeur. Dans les Territoires, Jason, « de sang royal et peut-être même d’essence divine » (34,745), était le messie24, le sauveur attendu qui libèrerait son peuple et mettrait fin à l’ordre des Ténèbres.
    L’attente d’un messie est profondément enraciné dans l’homme, et pas seulement dans le domaine religieux: elle joue le rôle d’un archétype, enfoui dans l’inconscient et ressurgissant à la conscience lors des périodes de troubles et de tensions. Or le royaume est en péril et on attend le salut de Jason25. Jack sera Jason26. « Jason! s’exclama le vieillard en tombant à genoux. Jason, tu es venu! Tu es venu et tout ira bien, oui, tout ira bien et toutes sortes de choses iront bien! » (34,738).
    Le choix de l’Hôtel l’Alhambra n’est pas non plus anodin. La mère de Jack a été une actrice connue: nominée pour un Oscar, elle a passé quelques semaines dans cet hôtel avec son mari: « Si Jack avait été plus âgé et plus intéressé par la question, il aurait découvert, en faisant la soustraction nécessaire, que l’Alhambra avait été le lieu même où sa vie avait commencé » (1,18). Comment ne pas penser ici à une naissance programmée et annoncée?

Le Talisman et la quête initiatique
    C’est parce que « tout est confondu, le bon et le mauvais, le noir et le blanc » (39,884) que Jack, dans le « besoin de créer l’ordre à partir du chaos (…), créer l’ordre et le perpétuer » (33,686) veut conquérir le Talisman salvateur. Mais simultanément, il n’a pas d’autre perspective: « Tu ne peux pas faire autrement, c’est la volonté du Seigneur », affirme Speedy à Jack au début de son aventure (3,64).
    C’est ainsi « qu’il était écrit depuis toujours » que Jack « s’emparerait » du Talisman » (42,969). Le Talisman l’appelle: « Viens à moi! Viens maintenant! Jack! (…). Viens à moi, amène le troupeau, et tout ira bien et tout ira bien et »… (41,931). Pour que l’ordre des choses devienne meilleur, Jack y consacrera tous ses efforts au cours d’épreuves longues et difficiles. Ces épreuves constitueront une initiation27 qui introduira à la fois un nouvel ordre dans les mondes et, pour lui, d’autres niveaux de connaissances, de conscience et de possibilités.

L’extase de l’élu.
    À la fin de ses épreuves, sa quête achevée, il connaîtra l’extase propre aux grands initiés en rencontrant le Talisman. Il »se planta dessous, submergé par la chaleur et la claire intuition d’une force bien intentionnée. Comme dans un rêve, il sentait cette force couler en lui telle la limpide pluie de printemps qui réveille les puissances endormies en des milliards de graines minuscules » (42,973). Et il recueille dans ses mains ce  » cosmos du bien » (42,975), ce don des forces de la lumière: venait du Talisman « un rayon éblouissant de lumière pure » (42,965), une « magnifique lumière blanche qui contenait en fait toutes les couleurs de l’arc-en-ciel » (43,986).
    « Un globe, un monde, tous les mondes. C’était la gloire et la blancheur. Et comme il en a toujours été et sera toujours avec le blanc, c’était effroyablement fragile » (42,974).

Les ultimes tentations.
    Trois épreuves finales seront déterminantes. La première lui donne la possibilité du divin, qu’il doit sacrifier: « Il était Dieu. Dieu, ou quelque chose de si approchant que cela ne faisait aucune différence. -Non! hurla Jack avec terreur. Non, je refuse d’être Dieu! Je vous en prie! Je vous en prie! TOUT CE QUE JE VEUX, C’EST SAUVER LA VIE DE MA MÈRE! ». Alors, comme la main qui perd aux cartes se replie en un geste expert, l’infini soudain se referma » (44,991).
    La seconde le conduit à l’oblativité. Son copain Richard lui demande de tenir le Talisman. Dans un mouvement égoïste, Jack répugne à confier le Talisman à son copain: « Il est à moi! Tu ne l’auras pas! C’est à moi! » Le talisman devient noir et Jack comprend aussitôt que celui qui n’est pas capable de partager ne vaut rien pour le talisman et la force qui l’utilise. Il le donne à son ami. « Lorsque le Talisman émit à nouveau sa glorieuse lumière blanche, Jack sentit ses propres ténèbres intérieures se dissiper. Il lui vint subrepticement à l’esprit que la propriété d’un objet ne peut s’exprimer qu’en termes de libre renonciation » (44,1003).
    La troisième l’amène au renoncement. Pour sauver de la mort son ami Richard, il doit jeter le Talisman sur l’ordre d’un agent des ténèbres. Il le jette: « En ce moment précis, Jack expérimenta la pureté renversante qui consiste à renoncer à l’objet de sa quête. -Plus de massacre. Vas-y, casse-le si tu le peux, déclara-t-il. Je le regrette pour toi » (45,1036. Et c’est le méchant qui est foudroyé.
    Alors Speedy/Parker peut prononcer le jugement: « Tu t’es montré brave et loyal, Jack. J’aimerais t’avoir pour fils. Je salue ton courage et ta foi. Il y a beaucoup de gens dans d’autres mondes qui te doivent une fière chandelle » (46,1044).

Les objets cosmiques.
    Pour l’aider dans sa quête, un certain nombre d’objets mineurs lui ont été remis ici et là par des personnages qui lui sont favorables bien qu’inconnus, et qui ne lui ont fourni aucun mode d’emploi. Il y a ainsi le médiator/dent de requin en ivoire, procuré par Speedy (5,117), qui lui permettra de se faire reconnaître dans les Territoires (6,146) et d’affronter les chevaliers fantômes (41,943). Une pièce de monnaie, donnée par le capitaine des Gardes Farren (7,190), qui sert de signe de reconnaissance (34,738) et qui sera appliquée au moment opportun sur le front d’un méchant, entraînant ainsi sa mort (36,826). Le miroir-bille remis par un marchand (12,322), qui lui permettra de protéger son copain en une occasion périlleuse. Le cheval de bois de manège (4,77), qui devient ultérieurement canot pneumatique à tête de cheval capable d’obéir aux ordres (40,908). Et puis aussi l’objet majeur qu’est le Talisman. Le Talisman Guérisseur, étincelant « de tous ses feux, chantant une harmonique pure, sans parole, de santé et de guérison » (44,1001), qui sauvera sa mère, la Reine des Territoires et d’autres. Mais aussi Talisman destructeur, qui foudroiera les agents des ténèbres.

Les agents de la lumière.
    Cette force a à son service des agents variés, dont ceux énoncés au § précédent, informés ou non de leur rôle: « C’est pour quoi faire? (…). -Tu le sauras en temps voulu, répondit le capitaine. Ou peut-être pas. En tous cas, en ce qui me concerne, j’ai fait mon devoir envers toi » (7,191). Le plus agissant, toujours là aux moments difficiles, est Speedy Parker, dont le double est Parkus, sorte de « Haut Commissaire et Exécuteur de la Haute Justice » (45,1043) des Territoires. Il l’aide de conseils télépathiques (41,948) et lui indique des personnes à contacter. Jack reçoit aussi de nombreux messages télépathiques de sa mère.
    Cette force est également capable de prendre et de faire exécuter des décisions instantanément par d’autres êtres vivants. Elle a certes prévu en son temps des créatures marines chargées d’aider Jack à débarquer dans l’hôtel. Mais sa vigilance n’est jamais en défaut: quand un méchant tire sur Jack, « un être pisciforme de trois mètres de long avec une grande nageoire dorsale bondit aussitôt hors des flots pour stopper la balle » (40,913).

    La quête est achevée, le Talisman conquis. Et Jack, devenu plus fort, se voit comme une sorte de pistolero… (39,882).

L’ordre des ténèbres.

    Il est conduit par Morgan, ex-associé du père de Jack qu’il a fait assassiner. Il veut aussi bien mettre la main sur l’héritage de son associé que régenter les Territoires pour son seul profit. Inutile d’énumérer ses défauts, tares et perversités; il les a tous, servis par une intelligence et des pouvoirs diaboliques: il « irradie le mal » (45,1017).

L’équilibre des mondes menacé.
    Par ses ambitions, il est une menace pour l’équilibre des mondes: « Je peux tous les gouverner si je veux, je peux être une sorte de Dieu de l’Univers » (Interlude V,926). Pour cela, il faut que la Reine et son double, la mère de Jack meurent et que le Talisman, qui permettrait leur guérison, soit détruit. Morgan ne peut pas lui-même entrer dans l’Hôtel Noir, où ne peuvent pénétrer que les « uniques » « Une porte verrouillée se dressait entre lui et son destin. Il n’avait aucune envie d’ouvrir cette porte, plutôt de la détruire, de la détruire absolument, complètement, pour l’éternité, en sorte qu’elle ne pût jamais se refermer, encore moins se verrouiller. Une fois le Talisman réduit en miettes, tous ces mondes LUI appartiendraient » (Interlude V,926).
    Il va donc d’abord essayer par tous les moyens d’ empêcher Jack d’y parvenir: en vain. Jack a réussi à s’introduire dans l’Hôtel Noir28, où se trouve le Talisman salvateur. Dès lors Morgan change de tactique et il attend la sortie de Jack avec le Talisman pour le détruire.

Ses pouvoirs.
    Lui aussi possède ses pouvoirs et ses alliés. Magicien, il détient une clé-paratonnerre29, capable de déclencher la foudre et de lancer des éclairs destructeurs. Il a le don d’ubiquité et il peut suivre les déplacements des personnes qu’il surveille. Il peut leur envoyer des messages télépathiques dans les deux mondes, ou par téléphone dans notre continuum. Il est magicien et maître en illusions (voir chap. 30 à 33 et 45). Dans les Territoires son double est Orris, aussi détestable que lui, et que Morgan contrôle. A eux deux, « ils voient tout ce qui se passe ici et là-bas, comme ce putain de Janus » (4,97).

Ses alliés.
    Morgan a pour adjoint Gardener/Osmond, qui est le véritable homme à tout faire: second de Morgan pour régenter les Territoires, patron des mines, constructeur de la ligne de chemin de fer, agent de toutes sortes de basses œuvres (comme l’enlèvement raté de Jack), il dirige en plus un Centre pour Jeunes, le Foyer du Soleil, où il fait de magnifiques sermons qui sont télévisés pour la plus grande gloire de Dieu. Il se sert de personnages mineurs pour ses basses œuvres.
    Ils ont développé les forces du mal dans les Territoires en enlevant des loups pour les emmener dans notre continuum, où ils leur ont appris à tuer, comportement tabou dans les Territoires. Puis, de retour là-bas, les tueurs ont été utilisés comme troupes de choc par Morgan qui leur procure des armes.
    Il faudrait ajouter les arbres paralysants et les insectes d’usage.

Des représentants peu crédibles.
    Si les forces de la lumière sont sous-jacentes sans être caractérisées (excepté Speedy), que dire des forces des Ténèbres, peu crédibles? Elles n’existent que par Morgan: cerveau malin de l’histoire, son activité est prodigieuse, ahurissante même, sans équivalent, et de loin, dans l’ordre de la lumière. Il voit tout, sait tout, est partout, surgissant sans cesse à l’improviste, utilisant tous les moyens de locomotion, supervisant les deux mondes. C’est un homme « ordinaire » cependant, et il n’est fait nulle part allusion à une créature d’origine diabolique.
    Il en est de même pour Gardener, au comportement polymorphe surprenant, dont les diverses activités dépassent, et de loin, une journée de vingt-quatre heures…
    Les forces du mal forment donc un milieu fort restreint et très fermé. A noter qu’aucune femme n’en fait partie. Deux hommes font tout. L’impression générale est que la multiplicité de leurs comportements sert plutôt de faire-valoir à Jack, sans impressionner vraiment. Ils semblent souvent des fantoches sans consistance, variant dans leurs appréciations, indécis dans leurs comportements, présentés comme étant d’une totale noirceur, mais paraissant singulièrement naïfs en n’exploitant pas les solutions radicales qui permettraient d’en finir facilement avec Jack. Ces forces apparaissent comme le fronton qui permettra à la balle Jack de rebondir sans cesse…

Que penser de cette cosmogonie?

Le cadre.
    King et Straub ont mis en place un vaste cadre qui se tient, si l’on admet les lois du genre. On prend de l’intérêt à ces passages d’un monde à l’autre et aux développements picaresques qu’ils entraînent. Il y a plusieurs envolées cosmiques visionnaires de grande ampleur30 et des descriptions réussies comme celle du Talisman (42,972). On peut aussi se faire de belles réflexions sur l’ordre d’un monde -et peut-être l’ordre de tous- qui se dissout dans le chaos à cause du comportement irresponsable d’un seul d’entre eux.
    Les aspects fantasy sont également intéressants: ce monde médiéval parallèle a ses charmes, encore que les descriptions qui en sont faites ne présentent pas plus de particularités que celle du royaume de Delain dans THE EYES OF THE DRAGON. Il faut noter une incapacité générale à s’évader de modèles campagnards terriens et un réel manque de mise en perspective quand il arrive à nos auteurs d’innover: par exemple n’est pas exploitée la trouvaille des hommes-volants, qui demeurent une curiosité sans lendemain comme les animaux à deux têtes.
Il en est de même pour les particularités comportementales, morales et religieuses qui sont rapidement évoquées et sont tristement semblables aux nôtres. Il a été signalé que la possibilité de jouer sur le double langage dans des contextes historiques différents n’est qu’incidemment exploité.
    Le thème des migrations présentent les mêmes insuffisances: les règles du jeu sont d’abord établies (voir § 2), mais rapidement transgressées quand cela arrange nos deux auteurs. Que les vêtements et objets se transforment, c’est amusant. Mais à supposer qu’il y ait des objets à transformer: que dire de l’apparition dans notre continuum des chaussures et des lunettes que Wolf ne porte pas dans les Territoires? Que penser aussi de la salopette de marque Oshkosh que porte Wolf, cadeau du père de Jack, qui ne s’est pas transformée en passant d’un monde à l’autre? (17,404).

Détails et ensemble.
    On sait que King a une aptitude remarquable à gérer les indices et il arrive fréquemment qu’on soit profondément surpris de la manière dont, dès les premières pages, il accumule quantité de notations anodines qui contiennent en germe des éléments constitutifs importants du récit31. Malheureusement ce sens du détail ne lui permet pas toujours de dominer l’ensemble de la narration: le propre de l’accumulation de détails pittoresques ou saisissants est de créer une situation d’ensemble imprévue, chaque détail entraînant des conséquences narratives à contrôler par la suite. Or cela, King le réussit beaucoup mieux dans le domaine d’un quotidien réaliste dans lequel il évacue son fantastique. Le même procédé aboutit souvent à un ratage en science-fiction.
Pour tout dire, le train ne passe pas. On va essayer d’expliquer pourquoi.

Le train.
    En soi, le train est un élément intéressant. Et compte-tenu de la géographie des Territoires, il permet de faire avancer Jack plus vite. Et puis King aime bien les trains32. Ainsi il consacre plusieurs pages (37,850 à 853) à expliquer comment Morgan, dans notre continuum, a fait passer l’écartement des rails de son train de quatre-vingt-dix à quarante-quatre centimètres. Pour construire cette voie ferrée, il a fait venir une main d’œuvre « illimitée » des Territoires. Hum… Car pour installer une voie ferrée, il faut un minimum de technologie, des matériaux… Il va de soi qu’on n’évoquerait peut-être pas ce problème mesquin si King glissait rapidement. Mais il insiste: les rails des Territoires? Ce serait la même main-d’œuvre qui les aurait installés pendant de « terribles semaines » (34,749). Soit. Mais toujours désireux d’apporter des éléments précis, il nous indique que ce train marche à quelques dizaines de kilomètres à l’heure, sans dépasser le cinquante (35,773). Le voyage en train de Jack dure trois jours, en roulant jour et nuit. On n’a pas besoin de calculatrice pour faire le compte: quand même, poser plus d’un millier de kilomètres de rails sur un relief parfois décrit comme difficile en quelques semaines… Il est vrai que Morgan est magicien (33,705). Il doit l’être, et puissamment, car, indépendamment de leur pose qui fait problème, il a dû faire passer ces kilomètres de rail de notre continuum dans les Territoires, qui ne possède pas le niveau de technologie pour les poser.
    Ensuite, ce petit train (une locomotive et deux wagons, avec un « moteur Diesel électrique » (37,852) est commun à notre continuum et aux Territoires, car « Morgan avait réussi à créer un objet qui résistait à la Translation » (36,836). Et pas seulement le train ,mais aussi sa cargaison entière d’armes et de munitions, qui reste « identique d’un monde à l’autre » (Interlude IV,755)33, sans se transformer en lances ou en poignards.
    Et enfin, pourquoi ces complications? Certes, Point Veneti est une porte entre les deux mondes. Mais King est sensible au fait que cette opportunité a été utilisée par Morgan avec un projet plutôt limité; Morgan est capable de faire passer un train et son chargement34 d’un monde à l’autre, pourquoi se limiter à un train poussif?
    Arrêtons-nous là. King n’a pas été capable de concevoir un monde vraiment différent de celui où nous nous trouvons. Son sens extraordinairement aigu de l’observation réaliste ne lui permet pas les vrais déploiements dans le créatif et l’imaginaire hors-norme. Grand maître dans l’utilisation du détail qui accroche, il peine à coordonner un ensemble35. King a l’esprit concret, mais pas l’esprit technicien: le véritable esprit technique combine la cohérence dans la conception et la cohérence dans la fabrication. Au lieu de laisser des choses dans l’ombre, King donne trop de détails qui amènent l’esprit du lecteur à faire des réflexions défavorables. Il y a des idées intéressantes dans THE TALISMAN, mais King ne s’y montre pas un auteur de science-fiction bien convaincant36.

Le sens profond de la quête de Jack.

    Il est évidemment tout à fait exclu que King fasse de ses romans une apologétique religieuse. Nous voudrions cependant montrer, en prenant pour exemple la quête de Jack, qu’inconsciemment King reprend quasi systématiquement les principes religieux de son enfance, qu’ils lui aient été enseignés ou qui l’ont marqué par imprégnation37.
    On peut résumer l’essentiel de l’enseignement des Églises de la Réforme38 par deux doctrines maîtresses: la première est que les hommes prédestinés ne sont sauvés que par la grâce de Dieu reçue dans la foi; la seconde est que c’est de la grâce divine vécue dans la foi que nos actions reçoivent un sens, leur réussite étant un témoignage de la grâce de Dieu.
    Dans le cas de King39, il faut y ajouter l’influence de John Wesley, inspirateur du méthodisme, qui fait intervenir la notion de libre-arbitre de l’homme, qui peut accepter ou refuser la grâce divine par sa propre décision.
    Le choix d’un enfant de douze ans rend plus facile cette initiation, notamment par les conseils que peut lui donner un mentor, Speedy, substitut de l’auteur.

Le prédestiné et la grâce.
    La croyance en la grâce de Dieu est le fondement de la religion protestante. L’homme n’est sauvé que par la grâce reçue dans la foi. Dieu inspirera la démarche de celui qui a été prédestiné.
    Nous l’avons vu plus haut (§4.2): Jack montre tous les signes de la prédestination. Pendant sa quête, il a suivi fidèlement le précepte de Speedy: « Aie seulement la foi; sois loyal; tiens bon; surtout ne flanche pas (44,993). Il est faible, a souvent peur, pleure facilement, pense parfois abandonner. Mais il continue, assuré de bien faire en allant dans le sens de la force qui le pousse. Et sans jamais faiblir, même quand il a peur, Jack suit le conseil de Speedy: « Fais de ton mieux » (41,951). « Et bien qu’il fût terrifié, il ne montrait pas la moindre réticence à marcher vers le dénouement; il avançait avec détermination, sûr de ce qu’il voulait faire » (42,955).
    Alors que les forces mauvaises de l’Hôtel Noir utilisent contre lui des moyens dissuasifs l’incitant à la crainte et au renoncement (45,945), il fait preuve d’une foi sans faiblesse: « Qu’est-ce que tu vas faire? s’enquit Richard. -Comment le saurais-je? répondit Jack. C’était la meilleure réponse, la plus sincère, qu’il puisse lui donner. Il n’avait aucune idée de la façon dont il pourrait contrer ce fou furieux. Pourtant, il y arriverait, il en était certain » (45,1012). Foi et confiance.
    Par ailleurs, Dieu ne couronnant que les mérites acquis avec sa grâce, la foi confiante donne raison à Dieu même quand il châtie ou inflige des souffrances: en agissant avec lui, nous acceptons le sens de son action. Jack souffre son martyre, entre autres amusements on le brûle à plusieurs reprises avec un briquet: « La douleur était atroce, irradiant de son bras gauche jusqu’à sembler emplir le corps entier. Une bonne odeur de roussi envahit l’atmosphère. Lui. Brûlé. Lui » (26,601). Il tient bon, même si le sens de son vécu lui échappe. »Y’a des fois où les gens meurent parce que quelqu’un a fait quelque chose… mais si ce quelqu’un n’avait pas fait cette chose, beaucoup plus de gens auraient été tués », lui explique Speedy, décidément porte-parole de Dieu. « Dans la Bible, il est écrit que tout ce qui se passe est voulu par le Seigneur, même les choses qui semblent mauvaises » (15,368).

Le sens des actions.

« Il en avait assez d’être sur les routes », il « trouvait qu’il avait largement fait ses preuves… mais il lui était impossible d’y renoncer » (15,365)
    On sait que les doctrines protestantes, à la suite de Calvin, ont fait l’éloge de l’effort, du travail professionnel, de la rigueur et de l’épargne, de l’austérité ou de la modération de la jouissance40 plutôt que de l’explosion débridée de la sensualité. Elles contribuèrent à fortifier l’individualisme avec comme conséquence le sens de l’initiative, l’esprit d’entreprise, le goût du risque41.
Bien que bénéficiant d’une aide dans les circonstances délicates, Jack se comporte toujours comme s’il était seul responsable du succès. « Ici régnaient la folie, la mort en maraude et une irrationalité imbécile 42. Jack manquait de mots pour exprimer ces phénomènes mais, loin de leur être insensible, il les connaissait pour ce qu’ils étaient. Exactement comme il savait que tous les talismans de l’univers ne suffiraient pas à le protéger d’eux. Il avait entamé une étrange danse rituelle dont il pressentait que la conclusion n’était en rien prédestinée. Il ne devait compter que sur lui-même » (41,935). Et il persévérera sans faiblesse43.
    Des objets cosmiques ont certes été préparés à son intention pour qu’il puisse mener à bien sa tâche. Mais le lecteur s’aperçoit que simultanément rien n’est vraiment joué et que le comportement de Jack face aux épreuves sera décisif. Car si cette quête a pu être faite avec succès, ce n’est pas seulement parce que Jack a reçu de l’aide: les divers procédés énumérés tout à l’heure sont des conditions nécessaires, mais non suffisantes. Pour que Jack réussisse, il a fallu aussi qu’il développe des qualités exceptionnelles. Quand les créatures marines font glisser -par décision extérieure- son canot vers l’hôtel, il se place à l’arrière « de sorte qu’il puisse pousser encore plus vite avec des ciseaux de jambes » (40,911).
    Le contraste dans l’action avec son copain Richard presque toujours passif ou dépassé est saisissant.

L’insertion dans l’action.
    « Trouve le Talisman, fiston (…). Trouve-le et ramène-le. Ça va être une sacrée galère. Mais il faut que tu sois plus fort que la galère et que tu assures comme un chef », stimule encore Speedy (5,118).
    Car ce n’est pas la recherche du mérite, les bonnes œuvres accomplies dans le dessein d’acheter Dieu ou les actions purificatrices qui amènent l’approbation divine. On ne l’obtient pas davantage en s’enfermant dans la culture égoïste d’une vie uniquement religieuse de moines en prière qui glorifient Dieu ou celle de solitaires qui refusent la vie active et l’engagement. C’est en suivant la voie du Christ agissant dans le monde que nous devons travailler et souffrir là où nous sommes pour assurer le dessein de Dieu.
    Et King décrit de façon presque didactique deux types de comportements qui correspondent à ces deux attitudes face à l’existence. Autant Jack est réaliste et dynamique, autant son copain Richard vit dans un monde abstrait de connaissances qui le séparent de la réalité. Il vit son collège comme « un rempart incontesté contre ce monde où l’on ne pouvait compter sur rien » (33,683). Entraîné à son corps défendant dans la quête de Jack, il veut croire que ce qu’il vit est un mauvais rêve, prétend être malade « pour ne pas avoir à ergoter sur toutes ces aberrations » (33,700), casse ses lunettes pour ne plus voir, cherche sans cesse des explications faussement rationnelles à ce qu’il vit et, sauf en de rares circonstances, il est un poids mort pour Jack.

L’apport méthodiste.
    Il y a d’abord le clin d’œil: dans le hall de l’Hôtel l’Alhambra se trouve une plaque commémorative rappelant que « c’était là qu’avait eu lieu, en 1838, la première réunion en Nouvelle-Angleterre de la Conférence Méthodiste des Etats du Nord pour l’abolition de l’esclavage » (1,16).
    On se bornera à deux points de la doctrine. D’abord l’existence quotidienne est un vaste drame où l’âme sert de champ de bataille entre Satan et le Christ: les forces en présence ne portent pas ici ces noms, mais il s’agit bien du même combat transposé. Ensuite l’homme dispose du libre-arbitre pour accepter ou refuser la grâce divine par sa propre décision: il n’est pas question ici de ce problème, mais bien plus tard, dans DESPERATION, ce sera l’objet, dans des conditions de combat similaire, des interrogations de David, un garçon du même âge que Jack, qui cherche dans la Bible et l’enseignement d’un pasteur la réponse à ce vaste problème.

Et pour terminer cette quête….

    À sa manière et avec ses moyens, Jack est le réparateur d’un désordre qui touche deux mondes -et peut-être d’autres. Que le désordre d’un monde jette dans le chaos d’autres mondes est une vaste amplification du fait que la responsabilité de chacun n’est pas seulement limitée à son palier, à son trottoir, à sa ville ou sa région, mais qu’elle peut être portée aux dimensions de l’espace. Beau thème pour nous et nos descendants, et idée stimulante, bien au-delà de nos petites querelles ordinaires.

    La fin est épique et ouverte. Morgan disparaît, à la manière de Flagg dans THE STAND: « Une brèche s’ouvrit entre les mondes » (45,1037), calciné, mais les yeux grands ouverts. Le Talisman a également quitté la scène, sa fonction provisoirement achevée: unique, il a rejoint un des mondes parallèles où, centre mystique des mondes et objet salvateur, il est à la disposition du prochain chevalier digne de le conquérir.
    Jack, mission accomplie, est devenu plus fort: « Il se vit à cheval, un chapeau à larges bords sur le crâne et un pistolet fixé à la hanche, en train de galoper pour aller nettoyer Deadwood Gulch » 44 (39,882). Et la citation de Mark Twain qui sert d’épilogue semble indiquer, qu’adulte, d’autres grandes choses l’attendent.

    Mal reçu à sa parution par les critiques, THE TALISMAN vaut mieux que sa réputation passée: les œuvres qui ont suivi le mettent mieux en perspective et il apparaît comme contenant en germes45 aussi bien la postérité de certains éléments de la Tour que l’évolution de la pensée jusqu’à THE GREEN MILE.

    Mais, on l’a vu, ce n’est pas une œuvre achevée. Dans cet amalgame de science-fiction et de fantasy, on est bien obligé de constater que King et Straub sont restés loin derrière l’originalité de la quête des Hobbits ou la cohérence du monde entièrement reconstitué de DUNE.

Armentières, juin 1997.


1 Trad. fr. LE TALISMAN DES TERRITOIRES, éd. Robert Laffont, 1986. Les citations comportent le numéro du chapitre, suivi de la de l’édition Livre de Poche LE TALISMAN, n° 7075.

2 Voir la notice: Univers parallèles, in Stan Barets, LE SIENCE-FICTIONNAIRE, éd. 94, éd. Denoël, tome II,258. Dans la traduction française en deux tomes de DANSE MACABRE, ANATOMIE DE L’HORREUR et PAGES NOIRES, éd. du Rocher, 1995, sont précisés, dans des notes d’un grand intérêt, les goûts éclectiques de King pour les livres, films et séries TV.

3 THE EYES OF THE DRAGON, ébauché en 1983, terminé en 1984 et publié dans édition courante en 1987, trad. fr.LES YEUX DU DRAGON, éd. Albin Michel, 1995.

4 Ce n’est pas le cas dans THE DARK TOWER où il y a des contractions et des dilatations importantes du temps.

5 Rapport de 1/180 ème environ. A remarquer que King, pas spécialement obnubilé par les chiffres, donne plus loin d’autres rapports: un kilomètre pour cinquante mètres (7,194), soit 1/20ème, puis 15 kilomètres pour 500 mètres (18,419), soit 1/30ème. La différence est sensible et il faudrait faire un décompte minutieux des déplacements de Jack dans les deux mondes pour établir le bon rapport, à supposer qu’il y en ait un…

6 Chiens mutants, humanoïdes à tête reptilienne, arbres aux masques humains, hommes-crocodiles, ver géant, et autres, qui prennent la forme d’une fastidieuse énumération (35, 778 à 786).

7 A comparer au perroquet de THE EYES OF THE DRAGON, « qui se parlait tout seul, une tête formulant les demandes, l’autre les réponses », chap. 12. Est-ce la conception bicéphale de l’œuvre qui a entraîné ici cette fantaisie sans suite?

8 Avec des anachronismes: par exemple la fourchette du cuisinier (7,165). Ou encore une curiosité comme une rampe sculptée « en sidéroxylon, pur produit des Territoires » (39,960), sur la composition duquel on se perd en conjectures.

9 Il y a eu au moins un château-fort gothique et quelques chevaliers en armures…

10 Avec réciprocité: la même idée est exprimée avec l’adjectif axiomatique dans notre langue et inéluctable dans la langue des Territoires. Mais King n’a pas vraiment exploré cette possibilité.

11 Au cours du passage, ils perdent leurs poils (18,418) et ont des lunettes qui leur cachent les yeux…(18,420). Ils doivent cependant être facilement identifiables! La description de l’un d’eux, rencontré par Jack dans une taverne: grand, « baraqué », mains énormes et des yeux jaunes dont les « globes oculaires étaient recouverts de membranes nictitantes » (10,269).

12 Oubli des co-auteurs? THE CYCLE OF THE WEREWOLF n’était pourtant pas si loin (1983). Ou désir de ne pas trop compliquer les choses?

13 L’astuce est fournie dans THE EYES OF THE DRAGON, chap. 23: elle est à base de « nerf de bœuf » et de formules. Elle est utilisée par Flagg pour se rendre « imperceptible ». Mais si Flagg utilise à plusieurs reprises cette possibilité, il n’en est pas de même dans THE TALISMAN.

14 Pas gêné par les contraintes qu’il s’est lui-même imposées, King les transgresse allègrement. Le loup-garou copain de Jack qui marche pieds nus dans les Territoires, se trouve au passage chaussé « d’énormes mocassins » et « de chaussettes blanches » (18,420).

15 Voir une vision cosmique semblable de Roland dans THE DARK TOWER, I,5, The Gunslinger and the Dark Man.

16 A comparer à la fonction de la Tour Sombre, telle qu’elle a été définie de nombreuses années plus tôt: la Tour s’élève sur une sorte de « centre de connexion. Un carrefour dans le Temps », THE DARK TOWER, I.3, The Oracle and the Mountains; ou encore: « Pivot du Temps, Pivot de la Proportion », op.cit. I.5, The Gunslinger and the Dark Man. À noter que Le Talisman semble se limiter à l’espace, alors que la Tour concernerait le temps.

17 Les auteurs de science-fiction ne sont pas les seuls à proposer de telles idées! Un axe traverserait l’univers et la lumière se déplacerait dans le vide à des vitesses différentes, telle est la thèse de deux physiciens américains, John Ralston et Borge Nodland, publiée dans la revue Physical Review Letters du 21 avril 1997. « Il semble y avoir un axe absolu, une sorte d’étoile du nord cosmologique qui oriente l’Univers », ce qui permettrait de définir « un haut et un bas dans l’espace ». Ces chercheurs « évoquent également la thèse d’un Univers jumeau, reflet du nôtre ». L’opinion des spécialistes est que cette interprétation est pour le moins prématurée et qu’il doit y avoir des explications « moins exotiques ». (Voir LE MONDE, 23 avril 1997,21).

18 Pourquoi ce nom? Les fantômes des chevaliers en armures qui vont tenter d’empêcher Jack d’accéder au Talisman font penser à la bataille d’Azincourt, pendant la guerre de Cent Ans, en 1415. La lourde cavalerie des seigneurs français en armure fut défaite par les archers anglais.

19 Se trouve à côté -autre clin d’œil- le Kingsland Motel, plus accessible…(40,903).

20 Autre correspondance moyenâgeuse: l’Hôtel l’Alhambra, où a été conçu Jack, le double de l’Hôtel d’Azincourt, ressemble « à un château de roman de Walter Scott » (1,21).

21 D’autres ont peut-être tenté la quête sans parvenir à l’Hôtel Noir: il y a notamment l’énigmatique squelette d’un enfant de sept ou huit ans prisonnier des racines (38,877). Peut-être un double de Jack/Jason a réussi à aller jusque-là, venant d’un autre monde? Il ne pouvait réussir, n’étant pas unique.

22 D’après les Evangiles, Jésus a été élevé par son père adoptif Joseph, qui était charpentier.

23 Rappelons pour les distraits que, dans les Territoires, les bergers sont des loups-garous.

24 Ce mot est à prendre ici dans ses deux sens. Le sens premier, qui vient de l’hébreu Machia’h: oint consacré, équivalent au grec Christos: oint. C’est le cas de Jack, prédestiné. Le second sens, le plus courant, est celui de l’envoyé de Dieu, le sauveur qui instaurera un ordre de justice, de paix et de bonheur fondé sur de tout autres principes que ceux de l’ordre actuel. C’est le cas de Jason. On a pu, dans un sens encore plus élargi, parler du messianisme de Marx.

25 Jason, phonétiquement proche du nom: Jésus, est aussi le nom de celui du héros grec des mythes antiques, qui, après une longue quête avec ses Argonautes, conquit la Toison d’Or défendue par un dragon… Vous avez dit « dragon »?

26 Dont le double-fantôme viendra l’aider lors des moments difficiles de la conquête du Talisman à l’Hôtel Noir.

27 Dans toutes les sociétés anciennes ont existé des rites ou des épreuves marquant le passage d’un niveau individuel ou social à un autre. Dans la nôtre subsistent de nombreux rites marquant chaque passage de la vie, avec des initiateurs (parent, maître, patron, prêtre, formateur, etc.) qui reconnaissent ou sacralisent une aptitude à tel ou tel comportement qui confère un nouveau droit social.

28 On a vu (§4. et 4.8) que Jack a été aidé constamment par des agents ou objets qui ont facilité sa quête. On peut supposer que le verrouillage et la garde de l’Hôtel Noir ont été organisés par les mêmes puissances de la lumière pour éviter les intrusions. Jack, unique, aurait alors dû pouvoir y entrer sans problème. Ce n’est pas le cas et il devra lutter contre des forces propres à l’Hôtel, qui veulent défendre à tout prix l’objet qu’elles gardent. Y aurait-il une puissance d’un troisième ordre (se rappeler les allusions sur de tels lieux au §4.1), cette force mystérieuse remontant à « la nuit des temps » (19,469).

29 C’est une clé prise à un jouet, un soldat mécanique acheté à un brocanteur de Point Veneti (Interlude II,395). L’idée est à rapprocher de la nouvelle THE MONKEY de 1979, in SKELETON CREW, 1985, trad. fr. BRUME, Albin Michel, 1987.

30 Voir 42,959 à 961; 42,974/975; 44,989 à 991.

31 Le lecteur distrait passera rapidement sans les voir. Mais, le livre terminé, une relecture attentive montrera que tout est extraordinairement mis en place.

32 Voir la novella THE BODY, THE DARK TOWER, I.4, The Slow Mutants; III, THE WASTELANDS;

33 Et pourquoi s’arrêter là? et ne pas passer une centrale électrique fabriquant le courant pour les accus d’un train qui fonctionnent trois jours sans être rechargés…

34 Ce sera d’ailleurs pour Jack un jeu…d’enfant de faire passer à son tout le train et son chargement dans l’autre sens…(37,835): mieux, il ne s’en rend même pas compte… et il s’étonne: « Se serait-il par hasard débrouillé pour faire passer l’engin entier en Californie du Nord? (36,934).

35 Un dernier exemple: des boules de feu atomiques circulent dans les Terres Dévastées en « creusant un long sillon igné » (35,778). Sans détruire la voie ferrée?

36 King est coutumier du fait et des insuffisances du même type avaient été signalées ici à propos de THE REGULATORS: voir Steve’s Rag d’avril-juin 1997, pages 22/23. Mais il y avait deux auteurs pour superviser THE TALISMAN…

37 Une étude inspirée de la même thèse a été consacrée aux ordres sous-jacents dans INSOMNIA, intitulée Des mythes religieux aux puissances de la Tour Sombre, Steve’s Rag, à paraître.

38 Et la lecture de la Bible, textes originels sans ajouts historiques ultérieurs.

39 « Above all else, I’m interested in good and evil, whether or not there are powers of good and powers of evil that exist outside ourselves. I think that the concepts of good and evil are in the human heart, but because I was raised in a family strict religious home (Methodist), I tend to coalesce those concepts around God symbols and evil symbols, and I put them in my work », interview à propos de IT, 1986, cité par George Beahm, THE STEPHEN KING STORY, éd. Warner Books, 1992,321. Pas de traduction française à ce jour.

40 Qu’on réfléchisse dans ce contexte à la vie plutôt simple que King a menée jusqu’à présent alors qu’il est millardaire.

41 Calvin a exhorté avec vigueur les protestants à l’action et a donné à cette action un style et une dimension tout neufs. Le calvinisme mettait fin à cette espèce de résignation, d’ascèse et de mortification dans la crainte de perdre son salut, qui caractérisait la piété médiévale. Il a engendré un type d’homme nouveau, plus conquérant, plus porté aux aventures et aux hardiesses qu’offraient les nouveaux moyens techniques de production. Les résultats sociaux des élus obtiennent l’approbation des concitoyens dans la mesure où la réussite et le profit sont conformes à la volonté de Dieu.
Une thèse célèbre de Weber explique que la doctrine de la justification par la grâce a amené cette expansion créatrice par l’assurance qu’a le croyant que son salut a été acquis par la prédestination et par la foi. Voir Max Weber, L’ÉTHIQUE PROTESTANTE ET L’ESPRIT DU CAPITALISME, Plon, 1964. On peut réciproquement affirmer -comme les historiens marxistes- que c’est l’évolution du monde marchand et de ses techniques qui a amené les idées et le succès du protestantisme.

42 On verra ultérieurement que pour King il y a une irrationalité positive.

43 Dans le passage consacré aux hommes-volants, King fait une apologie de l’effort sur plusieurs pages: « Jack eut soudain la certitude qu’ils accomplissaient des mouvements aussi pénibles que certains exercices de gymnastique -quand il faut, par exemple, lever les jambes ou faire de longues séries d’abdominaux. Pas de progrès sans effort! rugissait le prof si quelqu’un avait le toupet de se plaindre ». Et plus loin, évoquant des danseurs: « Il se rappelait surtout l’expression de leurs visages -toute cette concentration, cet épuisement, toutes ces souffrances… mais transcendant la souffrance, ou tout au moins rôdant autour de ses limites, il avait vu de la joie » (13, 333/334).

44 Nom d’une ville et souvenir d’un film où joua sa mère en 1960.

45 Que nous espérons pouvoir ultérieurement faire suivre d’une autre consacrée à la postérité de THE TALISMAN.





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