Nous suivre sur les réseaux sociaux
Les achats réalisés via l'ensemble des liens du site (ex : Amazon/Fnac...) peuvent nous générer une commission.
Divers

Steve’s Rag 22 – Les Petites Sœurs d’Elurie : Les Vampires à l’eau de Rose

Les Vampires a l’eau de Rose

(Roland Ernould)


« La rose rouge sur son sein ressortait comme un blasphème. » (39)

Une première dans la manière de piloter le projet kingien d’écrire la saga de La Tour Sombre que cette nouvelle, Les Petites Sœurs d’Elurie1. Ou plus exactement, première depuis que King formulé clairement son intention de rédiger un cycle d’une longueur indéterminée. Car chacun sait que le premier volume a été composé en rassemblant cinq courtes nouvelles, écrites à une époque où King ne savait pas trop ce qu’elles deviendraient. Après une longue interruption, trois livres se sont succédé, publiés en 9 ans. Les deux premiers ne lui avaient pas semblé devoir bénéficier d’une priorité particulière, et ils n’étaient paru que sur l’insistance de certains lecteurs. Il semble que la cadence de production va maintenant s’accélérer…

D’une bonne cinquantaine de pages, cette nouvelle pèsera plus lourd que son nombre de feuilles. Elle est d’abord contemporaine du nouveau dessein de son auteur, que La Tour Sombre soit le carrefour d’une partie de son œuvre2. Des éléments venus d’ailleurs montrent que le désir de l’auteur est en voie de réalisation. Le récit est ensuite un prolongement du genre vampire, que King avait si brillamment porté à un niveau exceptionnel avec Salem, mais qu’il n’a repris que dans trois autres nouvelles. Elle offre ensuite une curiosité, avec les insectes/docteurs, qui peut-être feront partie du monde de La Tour Sombre. Elle présente une image sensiblement différente de Roland de Gilead, apparue dans Magie et Cristal, dont la rédaction semble avoir été simultanée à cette nouvelle. Apparaissent encore de nouveaux détails sur l’univers de La Tour Sombre. Et surtout pour la première fois la nature du ka, jusqu’à présent indéterminée, est rattachée à la vieille pratique de King, au dieu chrétien.

Vampires.

Salem présentait une sorte de manuel du vampirisme traditionnel, dans la lignée du Dracula de Bram Stocker. Dans Elurie, le thème du vampire traditionnel a fait l’objet de plusieurs modifications en fonction des trouvailles précédemment employées dans d’autres œuvres.

Tradition: la peur du sacré.

Les six vampires femmes d’Elurie sont aussi bien diurnes que nocturnes, mais le jour elles ne font pas d’ombre: « Elle s’éloigna avec majesté, soulevant le devant de son habit à deux mains. Roland avait entendu dire que ses pareilles ne pouvaient point aller et venir en plein jour, mais cette partie des vieilles légendes devait être sûrement mensongère. Une autre partie, cependant, était presque vraie, semblait-il: si une forme floue et amorphe se déplaçait de concert avec elle. Courant le long de la rangée de lits inoccupés à sa droite, elle ne projetait aucune ombre véritable. » (64)

Une partie de la nouvelle est structurée autour d’un médaillon, que Roland a ramassé sur un cadavre: « Alors qu’il s’attendait au sigleu de l’homme-Jésus -qu’on appelait croix ou crucifix- un petit rectangle était pendu à la chaîne. L’objet avait l’air en or pur. On lisait ceci gravé dessus:

James

Aimé de sa famille, Aimé de Dieu. » (28) Roland s’apercevra vite que ce médaillon rebute les vampires, mais ne sait pas à quoi attribuer ce pouvoir: il semble que dans son monde certaines connaissances -y compris religieuses- soient perdues. C’est aussi le cas de son compagnon d’hôpital: « C’est elle qui vous a mis la médaille de Jimmy autour du cou?

– Oui.

– L’en retirez pas, quoi que vous fassiez.

Il avait les traits tirés, la mine sévère.

– Je sais pas si c’est dû à l’or ou au Dieu, mais elles aiment pas s’en approcher de trop près. Je crois que c’est seulement à cause de ça que je suis encore ici. » (49)

Roland a été recueilli dans un hôpital où il est soigné par des sœurs, qui craignent l’objet: « Elle baissa les yeux vers le médaillon, caché une fois de plus sous le plastron de son vêtement de nuit. » (11) Elles l’incitent à s’en débarrasser: « Je veux vous voir ôter cette infection en or quand vous aurez repris quelque force – mettez-la dans le pissoir sous le lit. C’est là sa juste place. D’en avoir été si proche me donne la migraine et me serre la gorge. » (55) Si bien que Roland se rend compte de son pouvoir: « Roland agrippa le médaillon et s’en para en le lui mettant sous les yeux. Elle battit en retraite, sifflant et crachant de plus belle. » (67) Les vampires n’osent pas le ramasser quand il est par terre: « Elle lui désigna le médaillon qui gisait au loin dans la travée centrale, demeuré là où Ralph l’avait projeté. » (66)

Ce médaillon que Roland avait enlevé au mort pour le mettre dans sa poche, c’est Jenna, une vampire amoureuse, devenue traîtresse à son ordre, qui le lui a mis autour du cou: « Encore une chose, dit-elle, chuchotant presque et jetant un regard furtif à la ronde. Le médaillon en or que vous portez… si vous le portez, c’est que c’est le vôtre. (…) Si vous disiez autre chose, vous causeriez à Jenna de graves embarras. » (45) Roland, qui ignore le pouvoir qu’ont certains symboles religieux sur les vampires, ne peut s’expliquer le phénomène que par la nature de son métal, l’or: « Si Roland ne comprenait pas pourquoi Jenna avait récupéré le médaillon du garçon mort dam sa poche de pantalon pour le lui mettre au cou, il soupçonnait que si elles découvraient ce qu’elle avait fait, les Petites Sœurs d’Elurie pourraient bien la tuer. » (45)

De même les armes ne peuvent opérer que dans les conditions classiques, comme l’indique une vampire, menacée par le revolver de Roland: « A moins qu’il ait été béni ou trempé dans l’humidité sacrée -eau, sang ou semence- d’une secte, il ne peut blesser mes pareilles, pistolero. Car je suis plus ombre que substance… tout en restant l’égale de vos semblables. » (72)

Tradition: le goût du sang.

Roland ne découvre pas immédiatement les goûts de ses soigneuses. Un de ses deux voisins de lit lui raconte que des mutants ont attaqué son groupe et pris leurs chariots: « Les mutés ont dû s’en emparer et de leur contenu aussi, fit Norman. S’ils ne se soucient ni de Dieu ni d’or, les Sœurs, elles, ne se soucient de marchandise d’aucune sorte. Comme si elles avaient leurs propres victuailles, des choses auxquelles j’aime mieux ne pas penser. Des trucs dégoûtants… » (50) Il en a un aperçu à la manière dont il est expertisé: « Elle se contenta de le regarder, se léchouillant la lèvre à petits coups de langue, pouffa et s’en alla. (…) Le regard inquisiteur de Michèle… sa langue furtivement sortie. Il avait déjà vu des femmes jauger de la sorte volailles quartiers de mouton devant la rôtissoire, calculant quand ils seraient cuits à point. » (60)

Son voisin de lit est blessé au cou lors d’une agression: « Du sang gicla de la gorge de l’infortuné garçon en un flot plus noirâtre que rouge à la lueur des cierges; il poussa un seul cri glougloutant. Les femmes crièrent elles aussi – mais point d’horreur. Elles crièrent sous l’emprise d’une excitation frénétique. Le Verdâtre était oublié; Roland était oublié; tout était oublié sauf le sang de la vie qui jaillissait de la gorge de John Norman. » (62)

Après chacun de leurs festins, Roland constate la différence: « Elle non plus n’avait pas mauvaise mine – nul chatoiement ne trahissait l’antique wampir dissimulé en elle. Elle avait bien soupé et son festin l’avait revigorée. » (64): ou : « Ses joues étaient hautes en couleur. Elles avaient toutes de belles couleurs aujourd’hui, telles des sangsues gorgées de sang à en éclater. » (66)

… et de nouveautés.

Il faut noter qu’on ne sait pas ce que deviennent les cadavres et pas davantage dans quel état ils sont . En tout cas, ils ne se transforment pas en morts-vivants, vampires à leur tour.

Une originalité de la nouvelle est que ces femmes vampires vivent en communauté. Le repas des vampires se prend dans un rituel collectif, avec des victimes droguées. Les vampires portent en procession « de grands cierges dans des bougeoirs d’argent. » (52) « Cinq des six Petites Sœurs d’Elurie faisaient bloc autour du lit où dormait John Norman, leurs cierges levés pour qu’il soit baigné de lumière. Lumière qui éclairait aussi leurs visages, visages qui auraient donné des cauchemars à l’homme le plus aguerri. » (62) Puis, cierges éteints, elles opèrent: « Et soudain des bruits de succion. Dès qu’il les entendit, Roland sut qu’il n’avait attendu que ça. Quelque chose en lui avait su dès le début qui étaient réellement les Petites Sœurs d’Elurie. (…) Les femmes grognaient et lapaient salement comme des truies bâfrant la nourriture semi-liquide de leur mangeoire. Il y eut même un rot sonore, qui fut suivi de nouvelles messes basses agrémentées de gloussements (Sœur Marie y mit fin d’un mot bref… Haïs!). On entendit aussi un cri étouffé, gémissant du barbu, Roland en aurait mis sa main au feu. S’il ne se trompait pas, ce fut son dernier de ce côté-ci de la clairière.

En temps voulu, les bruits de leur festin allèrent en s’amenuisant, cédant à nouveau la place au chant des insectes… hésitant d’abord, il gagna en assurance. Chuchotements et rires étouffés reprirent de plus belle. On ralluma les cierges. » (53) Ces vampires femmes se ressentent du psychopathe Norman dans Rose Madder, qui aime aussi le sang mais surtout mordre et déchirer les chairs. Elles sont plutôt cannibales, s’attaquant au corps à plusieurs, et la veine jugulaire ne paraît pas leur premier souci.

Ces vampires ne dédaignent pas un dessert original: « Roland découvrit alors que son corps n’était pas complètement paralysé, loin s’en fallait. Une partie de lui, en fait, s’était réveillée au son de leurs voix et se tenait maintenant dressée. Une main se glissa sous le vêtement de nuit qu’il portait, effleura ce membre roidi, l’encercla, le caressa. Roland, empli d’une horreur muette, feignit le sommeil tandis qu’une chaude humidité s’épanchait presque aussitôt de lui. La main s’attarda un instant. le pouce massant de haut en bas la tige en défaillance. Puis la lâchant, elle remonta un peu. Dénicha la mare humide sous son nombril. (…) Marie, la main en soucoupe, la présentait aux Sœurs, l’une après l’autre; chacune léchait dans sa paume, à la lumière des cierges. » (54)

Plus tard Roland revoit « Louise à la lueur des cierges, le sang du roulier lui dégoulinant sur le menton, ses yeux immémoriaux pleins d’avidité alors qu’elle se penchait pour lécher sa semence dans la paume de Sœur Marie. » (56)

Leur glam.

Le mythe du vampire subit un autre traitement original quand King rattache la tradition aux apparitions et aux métamorphoses: Ça et ses avatars3, l’entité Ardelia du Policier des Bibliothèques, les transformations à vue du roi pourpre dans Insomnie et au monde de Tak, avec le langage de Désolation, le vol des enfants observé par les habitants de l’île dans La Tempête ou la création démiurgique d’un lieu comme dans Les Régulateurs. Les sœurs d’Elurie peuvent animer une petite ville du désert comme Tak pouvait le faire d’une rue de Wentworth.

Ce récit de vampire baigne en effet dans une atmosphère d’irréalité et d’illusion, et des notations viennent sans cesse renforcer une impression générale d’artifice, comme dans les dernières pages de Magie et Cristal, d’un monde créé pour tromper les humains: « Elle était déjà loin, paraissant flotter le long de l’allée centrale entre tous ces lits vides, tenant sa robe d’une main. Le rose avait déserté ses traits, laissant ses joues et son front couleur de cendre. Il se rappela l’expression avide des autres sœurs tandis qu’elles formaient autour de lui un cercle de plus en plus resserré… et leurs visages miroitants, aussi.

Six femmes, cinq vieilles, une jeune. » (45)

Sur son lit où il est sanglé, Roland, quand il se réveille la première fois, présume de la sorcellerie: « Autrefois, à l’époque de sa rencontre et de son amour pour Susan Delgado, il avait connu une sorcière nommée Rhéa -la première authentique sorcière de l’Entre-Deux-Mondes qu’il ait jamais vue. C’était elle qui avait causé la mort de Susan, bien que Roland y ait eu sa part. A présent, rouvrant les yeux et apercevant Rhéa non pas à un seul exemplaire, mais à cinq, il songea: Voici ce qui arrive quand on se replonge dans de très vieux souvenirs. En évoquant l’image de Susan, j’ai évoqué celle de Rhéa du Coos par la même occasion. Celle de Rhéa et de ses sœurs.

Les cinq femmes étaient vêtues d’habits blancs qui ondulaient comme les murs et les panneaux du plafond. Leurs visages d’antiques commères en comparaison semblait aussi grise et ravinée que de la terre desséchée. Pendant, tels des phylactères, des bandeaux de soie qui emprisonnaient leurs cheveux (si cheveux, elles avaient), des rangs de minuscules clochettes tintaient dès qu’elles bougeaient ou parlaient.(…) Voyant cela, Roland se dit: « Je ne rêve pas. Ces vieilles haridelles ne sont pas des visions. » » (38)

Elles le rendent perplexe, avec des modifications à vue, comme si elles ne savaient pas, comme Ardélia, maintenir longtemps leur apparence. Elles semblent rajeunir et vieillir sans cesse: « Elles voletaient comme des moineaux. Celle du milieu fit un pas en avant et ce faisant, le visage des autres parut chatoyer comme les murs de soie de la salle de garde. Elles n’étaient pas vieilles après tout, s’aperçut-il -d’âge médian, peut-être, pas vraiment vieilles.

Si. Elles sont vieilles. Elles ont changé. » (38) Ou: « Une autre sœur surgit de l’obscurité: Tamara. celle qui s’était vantée de n’avoir que vingt et un ans. A l’instant où elle arriva à hauteur du lit de Roland, son visage était celui d’une vieille mégère aux quatre-vingts ans -si ce n’est quatre-vingt-dix- bien sonnés. Puis se remettant à miroiter, il présenta encore une fois les traits touffus et en bonne santé d’une matrone d’une trentaine d’années. A l’exception des yeux, à la cornée jaunâtre, aux coins chassieux, mais néanmoins vigilants. » (48)

Ces créatures puent: « Comme les Sœurs faisaient cercle autour de lui, le pistolero sentit leur odeur. Peu agréable, vague, on aurait dit celle de la viande avariée. Et qu’auraient-elles pu sentir d’autre, étant ce qu’elles étaient ? » (53) Ce qu’elles sont, son voisin le lui avait suggéré: « Sa voix n’était maintenant plus qu’un murmure.

– Elles sont pas humaines…

– Non! (…) . Vous songez à des « sages-femmes », ou à des sorcières. Mais elles ne sont ni les unes ni les autres. Elles ne sont pas humaines! » (49)

Roland comprend enfin qu’il s’agit d’un pouvoir d’illusion particulier: « Sous cet éclairage, Coquine pouvait tout à fait passer pour jeune et jolie… mais c’était un effet de glam, Roland en était sûr ; une sorte de maquillage de sorcière. » (46), qui laisse percevoir une autre réalité: « Sœur Marie s’avança hors de l’ombre. Son bel habit blanc à la rose rouge vif avait retrouvé sa véritable apparence, celle d’un linceul. Encapuchonné, pris dans ses replis crasseux, on voyait un visage ridé et flasque, troué d’yeux noirs comme deux dattes pourries. Plus bas, la chose souriait, exposant quatre grosses incisives luisantes. » (72) Ou encore: « A présent, au plus noir de la nuit, leur glam mis au rancart, elles n’étaient plus que d’antiques cadavres ambulants. » (62)

Leur réalité est indescriptible, comme il s’en rend compte en essayant de maîtriser l’une d’entre elles. Il « se précipita sur elle, les mains en avant. Sœur Marie poussa un cri de complète surprise, mais il fut de courte durée: les doigts de Roland l’agrippèrent à la gorge où ils étouffèrent ce son dans l’œuf.

Toucher sa peau était obscène – elle ne semblait pas tant vivante, que variable sous la main, comme si elle tentait de lui échapper par reptation. Il la sentait liquide, coulante, et cette sensation, horrible, défiait toute description. Alors, il serra plus fort, déterminé à lui ôter la vie par strangulation.

Soudain il y eut un éclair bleu (pas dans l’air ambiant, penserait-il plus tard); cet éclair se produisit dans sa tête, une simple décharge quand elle lui déclencha un bref mais puissant orage cérébral4 ) et ses mains relâchèrent son cou. Un instant ébloui, il aperçut de grands creux humides dans sa chair grisâtre épousait la forme de ses mains. Projeté en arrière, son dos alla heurter l’éboulis. » (72) Une nature visqueuse, reptilienne lovecraftienne, avec un pouvoir psychique incontrôlable. Qui, attaquée par le chein, plus tard se décompose: « La créature ombreuse déchirait à belles dents Sœur Marie, les pattes avant, plantées de part et d’autre de sa tête, les pattes arrière, enfoncées dans sa poitrine recouverte du suaire, à hauteur de la rose. (…) Il avait arraché la tête de sœur Marie à moitié. La chair de cette dernière paraissait subir une métamorphose – se décomposant, très probablement – mais quoi qu’il en soit, Roland ne tenait pas à le savoir. » (73)

Leurs aides: les docteurs.

Première question de Roland quand il se réveille en mauvais état sur son lit d’hôpital: « – Où sommes-nous donc?

– Chez nous, répondit-elle avec simplicité. Dans la maison des Petites Sœurs d’Elurie. Notre couvent, si vous préférez.

– Mais ça n’a rien d’un couvent, dit Roland, regardant les lits vides, derrière elle. C’est une infirmerie, n’est-ce pas?

– Un hôpital, rectifia-elle sans cesser de lui caresser les doigts. Nous assistons les docteurs… et ils nous assistent. » (41)

Mais Roland n’a pas vu de médecins: « – Si vous êtes des hospitalières… des infirmières… où sont donc les docteurs?

Elle le regarda en se mordant la lèvre, prise de doute. Roland trouva que l’indécision lui seyait, la rendait tout à fait charmante. (…)

– Vous désirez vraiment le savoir?

– Oui, bien sûr, répondit-il, un peu surpris.

Un peu inquiet aussi. Il s’attendait à voir son visage miroiter et se transformer comme ceux des autres sœurs. Mais rien ne se passa. Elle ne dégageait pas non plus cette odeur de terre et de mort.

– Je suppose qu’il le faut, dit-elle avec un soupir, qui fit tinter les clochettes sur son front.

Elles étaient d’une nuance plus sombre que celles portées par les autres -non pas du même noir que ses cheveux, mais carbonisées comme si on les avait passées à la flamme d’un feu de camp. Néanmoins, elles rendaient un son des plus argentins. » (41)

Jenna a la possibilité de communiquer avec les docteurs par ses clochettes particulières. Les autres sœurs portent aussi des clochettes, mais celles de Jenna ont des caractéristiques différentes: « Elles étaient d’une nuance plus sombre que celles portées par les autres -non pas du même noir que ses cheveux, mais carbonisées comme si on les avait passées à la flamme d’un feu de camp. » (41) Jenna est la seule des sœurs à pouvoir diriger les docteurs par ses clochettes. Docteurs inattendus, comme le constate Roland en regardant un blessé à côté de lui. « Ce qui se produisit ensuite faillit lui arracher un cri; et il dut se mordre la lèvre pour le retenir. Une fois encore, les jambes de l’homme inconscient parurent remuer sans vraiment bouger… car c’était ce qui les recouvrait qui s’agitait. Son vêtement de nuit lui laissait ses mollets, chevilles et pieds poilus à l’air. A présent une colonne d’insectes noirs les dévalait; et leur chant avait l’âpreté de celui d’un corps d’armée, marchant au pas.

Roland se souvint de la cicatrice sombre qui balafrait la joue et le nez de cet homme… cicatrice qui avait disparu. Elle était de même nature que ces bestioles, sans nul doute. Et il avait les mêmes sur lui aussi bien. Ce qui expliquait cette sensation de frisson alors qu’il ne frissonnait pas. Il en avait plein le dos. Se repaissant de lui. » (42)

Ces « docteurs » particuliers obéissent comme des militaires: « Les insectes coururent jusqu’à l’extrémité des doigts de pied de l’homme, pour mieux sauter de là par vagues, telles des notonectes s’élançant depuis la berge dans un trou d’eau pour s’y ébattre, Ils formèrent vite fait bien fait un bataillon d’un pied de large sur le drap-housse d’un blanc éclatant avant de gagner le plancher en ordre de marche. Roland ne les distinguait pas très bien, étant trop loin et la luminosité, trop faible, mais il évalua leur taille à deux fois celle d’une fourmi mais moindre toutefois que celle des grosses mouches à miel qui pullulaient sur les massifs de fleurs, là-bas, chez lui.

Ils ne cessaient de chanter, ce faisant. » (42)

Roland, d’abord dégoûté, se raisonne: « Mais ce qu’il voyait était-il réellement si horrible? A Gilead, on se servait de sangsues pour traiter certains maux -tumeur au cerveau, ganglions aux aisselles ou à l’aine, surtout. En ce qui concernait le cerveau, l’application de sangsues, toutes répugnantes qu’elles fussent, était à coup sûr préférable à l’étape suivante, à savoir la trépanation.

Il y avait cependant quelque chose de dégoûtant chez ceux-là, dû peut-être au seul fait qu’il ne les distinguait pas très bien, et aussi quelque chose d’affreux à les imaginer lui tapissant le dos, tandis qu’il restait suspendu là, réduit â l’impuissance. Ils ne chantaient pas cependant. Pourquoi ? Parce qu’ils se nourrissaient? Qu’ils dormaient? Ou les deux à la fois? (…)

Les insectes traversaient le plancher, se dirigeant vers l’un des murs de soie qui ondulait légèrement. Roland les perdit de vue dans les ombres.

« – Les docteurs? fit-il.

– Oui. Ils ont un très grand pouvoir, mais… » (43)

En fait, les « docteurs » ont une action limitée aux contusions et aux plaies: « Je crois qu’ils ne peuvent rien faire pour aider ce roulier. Ses jambes vont un petit peu mieux et ses plaies au visage sont presque guéries, mais il a certaines blessures hors d’atteinte des docteurs.

Elle en suggéra la localisation sinon la nature en traçant de la main une ligne imaginaire à hauteur de sa taille. La jeune femme lui posa une main sur le front et l’apaisa. » (43) Roland, dans son malheur, a plus de chances: « Vous étiez presque écorché à vif dans le dos – rouge de la nuque à la taille. Vous en garderez des cicatrices désormais, mais les docteurs ont fait beaucoup pour votre guérison. Leur chant est une splendeur. » (44)

Ces insectes participent du monde de La Tour Sombre et certaines notations indiquent qu’ils sont, comme les sœurs, voués au sang et à la mort. Ce sont des guérisseurs par raccroc, en ce qu’ils se contentent ordinairement des plaies saignantes ou des chairs tuméfiées. Mais ils font partie d’un univers mortifère, comme l’indique une des sœurs à Roland: « Sœur Marie souriait, mais sans la moindre trace d’humour, dénudant ses dents d’une grosseur peu naturelle.

– Verser le sang est risqué par ici. Les docteurs n’aiment point trop. Ça les émoustille.

Il n’y avait pas que les insectes que la vue du sang émoustillait, Roland était bien placé pour le savoir. » (56) Les insectes se taisent pendant que les sœurs se livrent à leur cérémonie de vampirisation: solennité d’un culte? Cependant ils suivent Jenny dans son action sacrilège de tuer une sœur par leur moyen: « Ce qu’il voyait sortir de l’ombre maintenant, c’était une véritable armée. (…) Le spectacle qu’ils offraient, arpentant le plancher de la travée centrale, n’était pas ce dont Roland garderait le souvenir à jamais ni ce qui allait hanter ses rêves pendant plus d’une année ; mais bien la vague dont ils recouvrirent les lits. Ils noircissaient deux par deux, de part et d’autre de la travée, comme des paires de loupiotes rectangulaires s’éteignant tour à tour. (…) Les insectes continuaient leur progression, assombrissant le plancher, occultant la blancheur des lits. » (…) Se retournant, il aperçut un monticule sombre qui grouillait sur le sol en lieu et place de Sœur Coquine. » (69)

Elurie: un carrefour.

Les rapports avec l’œuvre.

Les vampires d’Elurie mènent une existence semblable à celle du diabolique Leland Gaunt, dans Bazaar, qui installe son commerce dans des petites villes. Il les quitte quand il a pu y semer désolation et mort. Commerce qu’il pratique depuis des temps lointains, étant passé du chariot à la Tucker Talisman. Roland ignore la référence Gaunt, mais a compris ce qui se passait: « Les Petites Sœurs d’Elurie, se surnommaient-elles. Et dans un an d’ici, elles pourraient aussi bien être les Petites Sœurs de Tejuas ou de Kambero ou d’une autre bourgade de l’extrême Ouest. Elles y parviendraient avec leurs clochettes et leurs insectes… venant d’où? Qui le savait?5 » (62)

Quand la supérieure Marie (nom ironiquement donné?) succombe au chien et se métamorphose, Jenna donne quelques détails supplémentaires: « Celles qui restent, Coquine, Louise, Tamara, vont plier bagage et aller plus loin. Elles savent partir, le moment venu: c’est pour ça que les Sœurs ont survécu aussi longtemps; que nous avons survécu aussi longtemps. Nous sommes fortes sous certains aspects, mais faibles sous bien plus encore. Sœur Marie l’a oublié. C’est son arrogance autant que le chien-crucifix qui a eu raison d’elle. Je crois. » (75)

Au moment où il ne retrouve plus Jenna qui l’a suivi, Roland comprend que les sœurs étaient « variables », non pas une, mais multiple: « Si leurs pareilles pouvaient bien ne jamais mourir… elles pouvaient se métamorphoser. » (77) Comme la plupart des êtres maléfiques de King, elles disparaissent, leurs forfaits accomplis ou découverts, pour apparaître ailleurs, le prototype de ces transformations étant Flagg.

Cet ordre mystérieux, venu de la nuit des temps en s’adaptant, comme Leland Gaunt, est lié à un autre être lovecraftien, le Tak de Désolation, et à son parler rocailleux, la langue de l’informe: « Sœur Marie prononça quelques mots brefs. Roland reconnut sa voix, sans comprendre ce qu’elle disait – ce n’était ni du Haut Parler ni du bas langage, mais un tout autre idiome. Une phrase se détachait – can de lach, mi him en tow – mais il n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait signifier.

Il s’aperçut qu’il ne percevait plus à présent que le tintement des clochettes – les docteurs s’étaient tus.

– Ras me! On! On! s’écria Sœur Marie d’une voix puissamment stridente.

Les cierges s’éteignirent. La lueur qui filtrait des ailes de leur guimpe quand elles s’étaient rassemblées autour du lit du barbu disparut et, une nouvelle fois, tout ne fut plus que ténèbres. » (52)

King s’est amusé à traduire incidemment ces expressions dans Désolation, où elles sont fréquemment utilisées par Tak ou ses corps empruntés: si « mi him en tow » est une expression incitant à l’action, « can de lach » signifie explicitement « cœur de l’informe », ce qui nous situe à nouveau dans un univers lovecraftien (Dés., 376). Le terme « can » est utilisé comme préfixe de plusieurs êtres ou objets symboliques et signifie dieu, lié au divin: les statuettes par exemple se nomment des « can tahs » (petits dieux) (Dés, 410) alors que le « can tak » est « le grand dieu, le gardien » (Dés, 429). On peut ainsi affirmer que les docteurs, que Jenna a appelés les « can tam » (72) sont bien rattachés à un ordre cosmique particulier, auquel appartient Tak.

Des vampires créateurs d’illusions.

Leland Gaunt est capable de persuader ses clients que les objets convoités existent et il les leur vend, sans qu’ils s’aperçoivent de leur irréalité. Le Tak des Régulateurs va plus loin, puisqu’il se sert du psychisme de Seth, enfant surdoué, pour créer illusoirement une ville de far-west qui ressemble à celle du feuilleton Bonanza, ainsi que la faune et la flore correspondantes. De même les sœurs sont capables de créer une réalité qui n’existe pas. L’hôpital n’est que « la tente que nous avons tissée en rêve autour de toi. » (72) Le grand alignement de quarante lits vu par Roland est factice, et se réduit à quelques misérables couches: « Ils ne dépassèrent que trois lits de chaque côté avant d’atteindre le rabat de la tente… car il vit qu’il s’agissait d’une tente et non d’un vaste pavillon. Les parois et le plafond de soie étaient en toile élimée, suffisamment mince pour laisser filtrer la lumière d’une Lune des Baisers aux trois quarts pleine. Et les lits n’en étaient pas vraiment, rien qu’une double rangée de couchettes en mauvais état. » (69) Vu de l’extérieur, ce qui paraissait être une vaste construction n’est qu’une « vieille tente de campagne. Au clair de lune, elle était d’un vert olive délavé, avec une croix rouge sur le toit. Roland se demanda dans combien de villes les Sœurs s’étaient rendues avec cette tente, si petite et si moche au-dehors, si gigantesque et magistralement obscure au-dedans. Dans combien de villes et depuis combien d’années… » (70) Leur couvent n’en est pas un: « Au-delà, il aperçut le bâtiment où vivaient les Petites Sœurs – ce n’était pas un couvent, mais une hacienda en ruines qui semblait vieille de mille ans. » (69) Même la ville est en partie illusion, dans cette « vallée rocheuse et stérile où les Petites Sœurs avaient exercé leur glam. » (71)

Un ordre où les vampires peuvent être damnés.

Les vampires sont ordinairement solitaires. Mais l’ordre auquel appartiennent les sœurs d’Elurie est un ordre dans lequel on condamne et on damne. La mère de Jenna a été jadis condamnée à partir de la communauté6. Le cas de Jenna, qui se dresse contre ses consœurs et veut quitter l’ordre pour un mortel, est plus grave encore: « Je pars avec lui. Poussez-vous de côté.

Elles la regardèrent bouche bée, leurs rires contrefaits, effacés par leur état de choc.

– Non ! chuchota Louise. As-tu perdu l’esprit? Tu sais bien ce qui t’arrivera!

– Non. Ni vous non plus, fit Jenna. En outre, je m’en moque. » (70) Et elle appelle les insectes pour l’aider: « A présent, les docteurs fourmillaient à l’entrée, qu’ils obstruaient comme une langue noire et luisante. Ils avaient cessé de chanter. Leur silence en était d’autant plus formidable.

– Écartez-vous ou je les lâche sur vous, fit Jenna.

– Tu n’oserais pas! souffla Michèle avec horreur.

– Si fait. Je les ai déjà lâchés sur Sœur Coquine. Elle fait partie de leur médecine dorénavant

Leur hoquet de surprise fut comme un vent froid soufflant entre les branches d’un arbre mort. Mais leur effarement allait bien au-delà de la préservation de leur précieuse peau. Ce qu’avait fait Jenna dépassait de loin leur entendement.

– Alors tu es damnée, fit Sœur Tamara.

– Voyez qui me parle de damnation! Écartez-vous.

Elles lui obéirent. Roland passa devant elles, qui se rétractèrent pour ne point le toucher… et davantage encore pour ne point la toucher, elle. » (70)

Roland -et le lecteur- ne sauront d’ailleurs pas en quoi consiste la sanction: « Expliquez-moi ce qu’elles ont voulu dire.

– Rien, peut-être. Ne me questionnez point, Roland – à quoi bon? C’est fait, j’ai brûlé mes vaisseaux. Je ne peux plus revenir en arrière. Même si je le voulais, je ne le pourrais point. (…) J’ai soupé avec elles. Certaines fois, je n’ai point pu m’en empêcher. Pas plus- que vous n’avez pu vous empêcher de boire leur maudite soupe, même si vous saviez ce qu’elles avaient mis dedans. (…) Je n’irai point plus avant dans cette voie. Et si la damnation est au bout, qu’elle vienne de mon fait, pas du leur. Ma mère pensait bien faire en me ramenant chez elles, mais elle se trompait.

Elle le regardait craintivement, timidement… mais sans baisser les yeux.

– Je marcherai à vos côtés, Roland de Gilead. Tant que je le pourrai ou que vous voudrez de moi. » (71)

Le Dieu sur la croix.

Les romans du cycle de La Tour Sombre sont, contrairement à la plupart des autres, très discrets sur la vie religieuse du temps de Roland, et notamment la place qu’y tient encore le christianisme. On sait que l’histoire de Roland se passe dans un monde largement postérieur au nôtre, après qu’il a été, en dépit de son haut niveau de civilisation technique, presque totalement détruit par un épisode nucléaire7. Roland enfant connaît La Bible, et quelques allusions religieuses se trouvent ici et là. Mais incidemment, et sans l’importance qui sera donnée à divers dieux (dont certains d’inspiration biblique ou dérivés) dans Elurie. Jusqu’à présent, Roland était conduit par un ka, sorte de destinée d’origine indéterminée, et cela suffisait. Aucun de ses trois compagnons de quête, Eddie, Detta et Jack ne montrent de religiosité particulière.

Sous le signe du Dieu biblique.

Il semblerait que le monde de Roland soit tombé dans une sorte d’éclectisme religieux semblable à celui de l’empire romain des premiers siècles de notre ère, correspondant lui-même en partie à celui qu’avaient connu le Moyen-Orient au moment de la gestation de La Bible: « Il distinguait également une jolie petite bâtisse en bois aux solides fondations de pierre brute, coiffée d’un modeste clocher et avec une croix dorée peinte sur sa porte à double battant. La croix, comme celle du portail d’entrée, indiquait un lieu de prières pour les adeptes de l’homme-Jésus. Cette religion fort peu répandue dans l’Entre-Deux-Mondes, était loin d’y être inconnue: on aurait pu dire la même chose de la plupart des cultes, en ce temps-là, y compris celui de Baal, d’Asmodée et d’une bonne centaine d’autres8. Ces jours, la foi, comme le reste du monde, avait « changé ». En ce lui concernait Roland, le Dieu sur la Croix était celui d’une religion parmi d’autres qui enseignait que l’amour et le meurtre avaient partie liée -et qu’au bout du compte Dieu n’était qu’un buveur de sang. » (23) Ce passage a de l’importance, puisque c’est un « chien-crucifix » qui mettra fin momentanément à l’existence de la supérieure des vampires, sauvant Roland des buveuses de sang et de la mort.

À cette évocation somme toute plausible d’une humanité qui dérive déjà actuellement vers les sectes se mêle une considération plus partisane visant le catholicisme9: « Sur la place de la bourgade, se dressait l’église. Elle était bordée de gazon des deux côtés ; l’une de ces bordures la séparait de la Salle Municipale, et l’autre, de la maisonnette du prédicateur et de sa famille (s’il s’agissait de l’une des sectes de Jésus qui autorisait ses chamans à avoir femme et enfants; certaines autres, régies manifestement par des fous furieux, exigeaient de leurs ministres le célibat ou du moins d’en préserver l’apparence). » (22)

Comme dans l’île de La Tempête, la bourgade s’est placée sous le signe du Dieu biblique, comme en témoigne le registre qui traîne sur le bureau du Shérif: « Roland le tourna vers lui et lut, gravé sur sa couverture rouge:

ÉLURIE

REGISTRE DES MÉFAITS & RÉPARATlONS

SOUS LE RÈGNE DE NOTRE SEIGNEUR » (25)

Le chien, qui essaie de tirer un cadavre de la fontaine, apparaît d’abord incidemment: « Il avait le poitrail tacheté d’une touffe de poils d’un blanc sale. Grossièrement esquissé en son centre par du poil noir,on devinait un dessin cruciforme. Un chien-Jésus, va savoir, en quête d’un brin de communion en plein après-midi.

Son grondement n’avait rien de très religieux, cependant. » (27) On notera l’ironie de la formule, l’objet de la communion du chien étant apparemment la conquête d’un cadavre.

Du chien on passe au cadavre: « Autour de son cou brillait vaguement dans l’eau. qui virait peu à peu au bouillon de chair humaine sous le soleil, un médaillon en or. » Roland enlève le médaillon: « Alors qu’il s’attendait au sigleu de l’homme-Jésus -qu’on appelait croix ou crucifix- un petit rectangle était pendu à la chaîne. L’objet avait l’air en or pur. On lisait ceci gravé dessus:

James

Aimé de sa famille, Aimé de Dieu ». (28) À cela s’ajoute une décision qui semble venir du ka: « Il aurait dû tuer le chien. Il n’était plus bon à rien: un chien qui avait goûté à la chair humaine ne pouvait plus être utile à personne- mais bizarrement, l’idée lui déplaisait. » (27)

Assommé par un mutant, il sort de son inconscience: « Roland se persuada qu’il était encore en vie. Ce fut le chant qui acheva de l’en convaincre. Ni celui des âmes mortes ni celui de la cohorte céleste des anges que décrivaient parfois les prédicateurs de l’homme-Jésus. » (32) Dans le cycle de la tour, on n’avait jamais vu jusqu’ici Roland citer autant de fois en quelques pages le nom de Jésus. C’est aussi une des premières questions qu’il pose à sa soignante: « – Nous sommes des hospitalières… du moins, nous l’étions, avant que le monde n’ait changé.

– Vous êtes pour l’homme-Jésus?

Elle parut surprise un instant, presque choquée, avant d’éclater d’un rire joyeux.

– Oh non, pas nous! » (41) Le lecteur ne comprendra que plus tard la signification de sa réaction de surprise scandalisée.

Dog, dog et gold.

La nouvelle est construite autour de la découverte par Roland de plusieurs aspects successifs de la réalité opérés à partir d’un glissement sémantique auquel King s’est amusé entre les termes gold (« or »), God (« Dieu ») et maintenant d’un anagramme, dog (« chien » et « Dieu » à l’envers). On a dans le passé trouvé ce glissement dans Les Yeux du dragon, quand la reine Sasha montre à son jeune fils Peter qui déchiffre péniblement ses lettres le peu de distance qu’il y a sur l’ardoise entre deux mots écrits avec les mêmes lettres et les réalités désignées en permutant des lettres, le bien et le chien dans la traduction française, « les deux aspects de l’homme » (chap. 4)

Si, dans le récit, Roland ne comprend que tardivement que les sœurs vampires ont peur du symbole de Dieu et non de la nature du métal du médaillon, il faut une intervention décisive du chien pour que Roland saisisse l’ensemble des liens. Le chien a quitté la scène, après l’épisode de la fontaine au début de la nouvelle. Mais il est toujours dans la coulisse. À l’hôpital, Roland perçoit sa présence invisible: « Faiblement, très loin de là, Roland entendit les aboiements du chien-crucifix. » (53) Quand lors de sa fuite avec Jenna, il est mis en danger par la supérieure. Seule une intervention miraculeuse peut le sauver: « Il y eut un grondement au-dessus de leurs têtes. Il enfla, puis éclata en aboiement furieux. (…) La chose se précipita sur elle, rien d’autre qu’une forme noire se découpant sur un fond étoilé, à qui ses pattes tendues donnaient une vague ressemblance avec une étrange chauve-souris ». Il faut se rappeler que, près de la fontaine, le chien a paru en mauvais état: « L’une de ses pattes de devant, tordue suite à une vilaine cassure, s’était mal ressoudée en guérissant. Se déplacer devait être une véritable corvée pour le chien et sauter, hors de question. » (26) Une obligation cosmique a fait disparaître le handicap physique.

Le chien plante ses crocs dans la gorge de la vampire avant que celle-ci puisse le faire, et il l’égorge, au grand étonnement de sœur Jenna: « Comment ça a pu l’attaquer? Nous avons du pouvoir sur les bêtes, mais le sien à elle est -était- le plus fort.

– Pas sur cette bête-là. » (74) Et Roland démêle les fils de l’écheveau: « Norman n’avait pas su dire pourquoi les médaillons tenaient les Sœurs à distance – si c’était dû à l’or ou au Dieu. Roland connaissait la réponse à présent.

– C’était un chien. Un simple chien de la ville. (…) Je suppose que les autres animaux qui ont pu s’enfuir l’ont fait. Sauf celui-là. Il n’avait rien à craindre des Petites Sœurs d’Elurie, et peu importe comment, il le savait. Il porte le signe de l’homme-Jésus sur le poitrail. Poil noir sur poil blanc. Une tache de naissance, j’imagine. En tout cas, c’en est fait d’elle à présent Je savais qu’il rôdait alentour. Je l’ai entendu aboyer deux, trois fois.

– Mais pourquoi? murmura Jenna. Qu’est-ce qui l’a amené? Qu’est-ce qui l’a fait rester ? Et pourquoi s’en prendre à elle de la sorte?

Roland de Gilead répondit comme il l’avait toujours fait et le ferait toujours quand on soulevait devant lui des questions inutiles et déroutantes:

– Le ka. » (74)

Il semble que le ka, dans Elurie, a pris un aspect bien familier. Celui du Dieu de Désolation, en guerre contre son rival Tak -ou celui qui l’inspire- et ses créatures. David était devenu son bras séculier. En serait-il de même pour Roland? L’épisode du chien-crucifix le laisse penser.

La Tour.

Les mutants.

Des détails intéressants sont donnés sur les mutants, qui complètent les descriptions antérieures: « Remontant la rue vers la place, il compta une petite trentaine de Verdâtres, mâles et femelles confondus. Ils ne formaient plus un clan. mais bien une saleté de tribu. Au grand jour et sous la canicule! Les lents mutants, d’après son expérience, étaient des créatures qui prisaient l’obscurité, des espèces de champignons vénéneux dotés d’un cerveau; il n’en avait jamais vu de semblables auparavant. » Saleté de tribu: y aurait-il quelque racisme dans l’esprit de Roland de Gilead?

« Leur peau était d’un vert cireux. Des individus dotés d’un pareil épiderme devaient briller dans le noir comme des spectres. Il était difficile de déterminer leur sexe, mais en quoi cela pouvait-il importer -à eux comme à d’autres? » Roland note cependant qu’une « chose au gilet rouge était indéniablement femelle. Ses mamelles nues ballottant sous le tissu rougeâtre de crasse. »

« C’étaient des lents mutants, se déplaçant, voûtés, avec la délibération de cadavres ranimés par quelque arcane magique10 (…) Il entendait maintenant leurs traînements de pieds et leurs respirations chuintantes. Comme s’ils étaient tous affligés d’un méchant rhume de poitrine.

Ces mutants viennent probablement des gisements de radium exploités jadis, du temps de l’ère industrielle. Ce qui expliquerait leur couleur de peau, qui devait être sensible à la lumière: « Étonnant que le soleil ne les décime pas.

C’est alors que celui en bout de ligne -créature au visage de bougie fondue- mourut… s’effondra tout au moins. Il (Roland était plus que certain que l’individu était de sexe masculin) tomba à genoux avec un glougloutement sourd, cherchant à s’agripper à la main de la chose qui marchait à ses côtés -machin au crâne chauve et bosselé avec un grouillement d’ulcères rouges dans le cou. La créature ne prêta aucune attention à la chute de son compagnon et, gardant ses yeux faiblards rivés sur Roland, continua d’avancer en titubant, son pas lourd en rythme avec celui de ses congénères. » Roland n’aperçoit pas d’armes à feu: « Ils étaient munis de gourdins improvisés -pieds de chaise ou de table, en grande majorité. »

Pour stopper leur marche, Roland tire par terre: « Ils s’immobilisèrent, le dévisageant toujours avec la même avidité morne. Les habitants disparus d’Elurie avaient-ils fini leurs jours dans l’estomac de ces créatures? Roland ne pouvait se résoudre à le croire… même s’il n’ignorait pas que le cannibalisme ne devait pas donner trop de scrupules à de pareils êtres. (Encore ne s’agissait-il peut-être pas de cannibalisme, stricto sensu; car, où était l’humanité de telles choses, quelles qu’elles aient pu être autrefois?) Elles étaient trop lentes, trop stupides. Si elles avaient osé revenir en ville après que le Shérif les en eut chassées, on les aurait brûlées ou tuées à coups de pierre. »

« Avant qu’il ait achevé sa phrase, l’un d’eux… sorte de troll à torse bombé, à gueule lippue de crapaud boudeur, avec un semblant de branchies des deux côtés de son cou à barbillons… se précipita en avant, blablatant d’une voix aiguë et particulièrement glauque. Son babil aurait pu passer pour une espèce de rire. Il brandissait un truc qui ressemblait à un pied de piano. »

Roland tire sur un mutant: « Il lâcha sa massue, roula sur le flanc et tenta de se relever avant de retomber dans la poussière. Le soleil brutal fusillait ses yeux grands ouverts, et Roland s’aperçut que des vrilles de vapeur blanche s’élevaient de sa peau qui perdait rapidement sa nuance verdâtre. Il entendit aussi une sorte de grésillement, celui d’un jet de salive sur un poêle chauffé à blanc. » Puis Roland est assommé par un ce ces mutants: « La chose dissimulée sous le chariot était un monstre bicéphale: si l’une de ses têtes avait les traits flasques et résiduels d’une charogne, l’autre, également verdâtre, avait l’air plus vivace. Les grosses lèvres du monstre se fendirent d’un rictus de joie mauvaise alors qu’il levait sa massue pour frapper encore. » (29/31)

Plus tard, on devine que la population d’Elurie disparue a été la proie des vampires, alors que la physiologie des mutants leur a permis d’être épargnés. Quand les sœurs font appel aux services d’un mutant, indifférent à Dieu, pour enlever le médaillon du voisin de Roland: « Il émettait une sorte de gargarisme étranglé, le rire d’un homme en train de mourir d’une maladie pernicieuse de la gorge et des poumons, mais que Roland préférait de loin aux gloussements des Sœurs.

– Sinon quoua, Sœur Marie, vous bouarez mon seing? Mon seing vous tuerait sur place et vous ferait briller dins le nouar! » (62)

La rose et la tour.

Les sœurs d’Elurie portent toutes le signe de la rose: « Sur le plastron neigeux de leur habit était brodée une rose rouge sang… le sigleu de la Tour Sombre. » (38) Ce qui signifierait que, vampires particulières, elles sont des créatures de la Tour. Ainsi est renforcée l’idée que la Tour sombre est le centre maléfique qui contrôle des créatures diverses, semblable à Barad-Dûr, la fortification de la Tour Noire11 de Sauron. À noter la description particulière de Jenna, qui reniera son ordre pour fuir avec Roland, après avoir utilisé les insectes contre ses sœurs: « Celle-ci n’avait peut-être pas plus de vingt et un ans: joues roses, peau lisse et yeux noirs. Son habit blanc flottait comme en rêve. La rose rouge sur son sein ressortait comme un blasphème. » (39) Comme Jenna apparaîtra ultérieurement blasphématoire aux yeux de son ordre, cette notation constitue un clin d’œil12 qui annonce l’évolution déjà commencée de Jenna.

Un rêve prémonitoire comme en font souvent Roland et ses compagnons précise une fois encore la place de ces roses dans le monde de la tour: « Il rêva du chien-crucifix, traversant de ses aboiements une vaste étendue à ciel ouvert. Il le suivait, désireux de découvrir la source de son agitation. Il la connut bientôt. Aux confins de cette plaine, la Tour Sombre, sa pierre d’un noir de fumée. La spirale de ses fenêtres effrayantes, se découpaient sur l’orange d’un terne soleil couchant. Le chien s’arrêta en la voyant et se mit à hurler à la mort.

Des clochettes -au timbre particulièrement strident et aussi implacable que le destin- tintèrent alors. C’étaient les Clochettes Noires, il le savait. Mais elles sonnaient comme du vif-argent. A ce son, les ouvertures sombres de la Tour brillèrent d’un éclat rouge meurtrier -le rouge de roses vénéneuses. Un cri de souffrance insoutenable s’éleva dans la nuit. » (76)

Autres compléments.

Le ka est souvent cité comme dans le cycle de la Tour ou plus allusivement dans d’autres romans comme Insomnie: « Vous irez mieux s’il plaît à Dieu, sai, fit cette voix. Mais le temps lui appartient, à vous, pas.

Non, aurait-il rectifié s’il avait été en mesure de le faire. Le Temps appartient à la Tour. » (34) Comme lui appartiennent les vies humaines, dont celle de Roland qui n’a vu s’approcher les verts mutants que parce que son cheval mourant s’abattait à ce moment précis: « Le tapis de poussière avait étouffé leurs pas. Le chien chassé, ils auraient pu s’approcher jusqu’à une distance propice à l’attaque si Topsy n’avait pas fait une fleur à Roland en mourant aussi opportunément. (…) À coup sûr, sa quête de la Tour Sombre n’était pas censée s’achever dans la Grand-Rue écrasée de soleil d’une petite ville de l’extrême Ouest du nom d’Elurie, livrée aux mains d’une demi-douzaine de lents mutants à l’épiderme verdâtre ! À coup sûr, le ka ne pouvait pas se montrer aussi cruel! » (31) Ou : « Il songea qu’elle savait déjà. Sa mère l’avait ramenée autrefois: nulle mère ne la ramènerait maintenant. Et elle avait soupé avec les autres, avait pris part à la communion des Sœurs. Si le ka était une roue, c’était aussi un filet aux mailles duquel rien ni personne n’échappait jamais. » (75) Ou encore: « Peut-être ne rencontrerait-il jamais l’un de ceux qui avaient aimé ce garçon, mais il en savait assez long sur le ka pour penser que c’était de l’ordre du possible. » (28)

L’appellation ka-tet n’intervient qu’une fois, pour souligner que le groupe des sœurs est un: « Vous avez fait de l’une d’entre nous qui n’était déjà que trop impudente, ne sachant point se tenir à sa place, une rebelle avérée. Sa mère était pareille, soit, et en est morte peu après avoir ramené Jenna au bercail. » On ne sait pas si ce fait provient de la rupture avec l’ordre ou de la séparation du ka-tet, ou des deux, mais Jenna ne peut pas être libérée: « Nous et nos pareilles ne pouvons point être libérées de nos vœux ni être libres d’aller où bon nous semble. Sa mère a essayé, elle est revenue. Elle était mourante et la petite, très souffrante. Eh bien, c’est nous qui avons soigné Jenna, lui rendant la santé alors que sa mère n’était plus que poussière dans la brise, soufflant vers le Monde Ultime. Combien peu reconnaissante elle s’en montre! En outre, elle porte les Clochettes Noires, le sigleu de notre sororité. De notre ka-tet. » (55)

Une allusion à la filiation de Roland, qui le rattacherait aux personnages de la Table Ronde: « Ses armes étaient tout ce qui importait. Les armes de son père, et de son père avant lui. en remontant jusqu’aux jours d’Arthur l’Aîné, quand songes et dragons arpentaient encore la terre. » (74) Une évocation de Delain, où se passe l’histoire des Yeux du dragon: « Une fois Norman complètement réveillé, le pistolero et lui évoquèrent brièvement le lieu d’origine du jeune éclaireur – Delain, autrement dit. Que l’on appelait parfois par plaisanterie l’Antre du Dragon ou encore le Paradis des Menteurs. Billevesées et autres fariboles. » (59) Et en double voix lui parle Cort, décrit longuement dans Le Pistolero, quand, fatigué, Roland ne veut plus réfléchir: « Mais tu ferais mieux de l’être.

C’était la voix qui semblait toujours surgir de nulle part quand il faisait mine de se relâcher, de bâcler la tâche ou de choisir la facilité pour contourner un obstacle. La voix était celle de Cort, son vieil instructeur. Celui dont ils avaient tous redouté le bâton, quand ils étaient de jeunes garçons. Cependant, ils n’avaient pas tant craint son bâton que sa langue. Ses sarcasmes, quand ils faisaient preuve de faiblesse, son mépris quand ils se plaignaient ou se laissaient aller à geindre sur leur sort.

Es-tu un pistolero, Roland? Si tel est le cas, tu ferais mieux de te tenir prêt. » (36)

Du badinage au drame romantique.

King prendrait-il goût à la romance?13 Après Magie et cristal, King consacre une grande place à une idylle entre Roland et la plus jeune des sœurs, Jenna.

Tout commence par l’évocation de son seul amour de jeunesse, quand, blessé, Roland est presque inconscient sur son lit et entend une voix de jeune fille: « La première à laquelle pensa Roland fut Susan, la damoiselle de Mejis, celle qui lui avait dit tu d’emblée. » (33) Il voit Jenna pour la première fois lorsqu’il est harcelé par une sœur qui lui demande son identité: « Une sixième sœur fit son apparition, se frayant sans ménagement un passage entre Marie et Tamara. Celle-ci n’avait peut-être pas plus de vingt et un ans: joues roses, peau lisse et yeux noirs. Son habit blanc flottait comme en rêve. La rose rouge sur son sein ressortait comme un blasphème.

– Allez ! Laissez-le tranquille!

– Ooooh, ma chère! s’écria Sœur Louise d’un ton où le rire le disputait à la colère. Mais voici Jenna, notre bébé, ne se serait-elle point un peu énamourée de lui? » (38)

Pendant son inconscience Roland n’a senti que sa main qui le soignait: « Merci, fit Roland, levant les yeux vers la détentrice de la main fraîche… car il savait que c’était elle qui l’avait apaisé.

Elle lui saisit les doigts comme pour lui en apporter la preuve et les caressa. » (40) Roland sait qu’elle lui est favorable et lui a passé autour du cou le médaillon protecteur. Il est particulièrement fasciné par une boucle brune sur son front crémeux: « Il l’aurait bien effleurée, s’il avait osé tendre la main. Ne serait-ce que pour en définir la texture. Il la trouvait belle car c’était le seul élément sombre dans tout ce blanc. Blanc qui avait perdu tout charme à ses yeux. » (41) Et il prend conscience « que, malade ou pas, c’était la première fois qu’il considérait une femme en tant que femme depuis la mort de Susan Delgado, et cela remontait à fort longtemps. Le monde entier avait changé. » (41) Sa seule histoire d’amour remonte à plus de vingt ans.

King pratique longuement un badinage inusité dans le cycle de la tour avant Magie et Cristal: « – Ça fait un bail que je n’ai pas crié, ma jolie.

Elle prit carrément des couleurs à ce dernier mot, son teint y gagna un rose plus naturel et vivace que celui de la fleur sur sa poitrine.

– N’appelez point jolie celle que vous ne pouvez point voir comme il sied, lui dit-elle.

– Repoussez alors la guimpe que vous portez.

S’il voyait parfaitement son visage, il désirait fortement poser les yeux sur sa chevelure – en était presque affamé. Un déluge de noir dans toute cette blancheur onirique. Bien sûr, elle pouvait l’avoir taillée ras. Celles de son ordre la portaient peut-être ainsi, mais quelque chose lui soufflait que non.

– Non, ça ne m’est point permis.

– Par qui?

– Par la Grande Sœur.

– Celle qui s’appelle Marie?

– Si fait. c’est elle.

Elle fit mine de s’en aller, puis s’immobilisa et le regarda par-dessus son épaule. Chez une autre fille de son âge, aussi jolie qu’elle, ce regard en tapinois aurait été la coquetterie même. Chez elle, il était la gravité même. » (42)

La réponse de la vampire, quelques instants plus tard, ouvre de nouveaux horizons sur leur sexualité dans Elurie. Une sœur déjà, Coquine, essaie de paraître jeune et jolie (46), et plaisante avec Roland. « C’est un si bel homme », dit la supérieure d’un ton songeur et à voix basse. Jenna, elle, est déjà entièrement conquise: « Elle hésita, se mordillant la lèvre à nouveau, puis d’un geste soudain repoussa sa guimpe. Elle lui tomba sur la nuque dans un doux carillon de clochettes. Libérée de sa prison, sa chevelure balaya ses joues comme une ombre.

– Je suis jolie? Le suis-je? Dites-moi la vérité, Roland de Gilead -et point de flatterie. Car la flatterie ne fait du bien que le temps que met une chandelle à se consumer.

– Jolie comme une nuit d’été.

Ce qu’elle lut sur ses traits parut lui plaire davantage que ses paroles, car elle eut un sourire radieux. Elle remit la guimpe en place, rentrant prestement ses cheveux en dessous avec ses doigts.

– Suis-je à nouveau décente?

– Aussi décente que belle, fit-il.

Il leva prudemment un bras et, montrant le front de Jenna, ajouta :

– Une boucle dépasse encore… juste là.

– Si fait, elle me fait toujours enrager, celle-là.

– Avec une petite grimace du plus haut comique, elle la repoussa en arrière. Roland songea combien il aimerait baiser ses joues roses… et peut-être aussi ses lèvres roses, pour faire bonne mesure.

– Tout est parfait, dit-il. » (44)

Le voisin de lit de Roland est conquis: « C’est vraiment quelqu’un d’à part, Jenna, ah ça oui. Elle a tout d’une princesse, quelqu’un dont le lignage impose la place, au contraire des autres Sœurs. J’ai beau rester couché là à faire semblant de dormir -c’est moins risqué, je pense-, je les ai entendues parler. Jenna n’est revenue parmi elles que tout récemment et ces Clochettes Noires ont une signification bien particulière. (…) Je crois que les Clochettes Noires sont rien que du décorum, comme ces anneaux que les anciens Barons se transmettaient de père en fils. » (49) Mais le voisin reste prudent: « Celles-là ne sont pas naturelles. Même Sœur Jenna n’est pas naturelle. Gentille ne veut pas dire naturelle. Elle deviendra comme elles à la toute fin. Rappelez-vous bien ce que je dis. » (50)

Roland garde cependant un espoir. Elle n’est peut-être pas une vampire, puisqu’elle a pu prendre le médaillon: « – Je l’ai ramassé par terre.

Il ne savait pas ce qui le rendait le plus heureux -la vue du médaillon ou le voir dans la main de Jenna. Ça signifiait qu’elle n’était pas comme les autres.

Puis, comme pour dissiper cette idée avant qu’elle ne s’ancre trop en lui, elle ajouta:

– Prenez-le-moi, Roland – je ne peux plus le tenir.

Et comme il lui obéissait, il aperçut sans pouvoir s’y tromper des traces noirâtres sur ses doigts.

Il lui saisit la main et baisa chaque brûlure.

– Grand merci, sai, dit-elle et il vit qu’elle pleurait. Grand merci, cher. Être baisée ainsi est charmant, ça vaut toutes les peines du monde. » (69)

Aux sœurs qui l’interrogent, Jenna répond en grande sentimentale: « Parce qu’il a baisé les brûlures sur mes doigts.(…) On ne m’avait jamais embrassée. Ça m’a fait pleurer. » (70) Et plus tard, à Roland: « – Aimerais-tu m’embrasser comme un homme embrasse une femme, Roland? Sur la bouche?

– Si fait.

Et comme il avait songé à le faire, prisonnier alors de la tente de soie de l’infirmerie, il lui baisa les lèvres. Elle lui rendit son baiser avec la douceur malhabile de qui n’a jamais encore embrassé personne, sauf peut-être en rêve. Roland songea alors à lui faire l’amour -cela faisait si longtemps et elle était si belle- mais au lieu de cela, il s’endormit en l’embrassant. » (76)

Le lendemain Jenna a disparu, métamorphosée comme peuvent le faire ses semblables, ses vêtements abandonnés, la chemise encore fourrée dans le pantalon. Elle a aussi abandonné ses clochettes, que Roland agite sans intention précise. Un surprenant effet littéraire s’ensuit, qui justifie les nombreuses évocations de la boucle rebelle14 de la coiffure de Jenna: « Les insectes tremblaient, leur nuage noir ombrait la terre blanche et poudreuse. Un frisson les parcourut, puis ils se mirent à dessiner une forme. Ils hésitaient, comme s’ils n’étaient pas encore sûrs de savoir comment poursuivre, se regroupaient, s’y remettaient. Ce qu’ils tracèrent bientôt sur la blancheur de sable, entre les plumetis soufflés de l’armoise couleur lilas, ce fut l’une des grandes lettres, le C.

Sauf que ça n’avait rien d’une lettre, ce que distingua le pistolero, et tout d’une boucle en accroche-cœur.

Ils se mirent à chanter et Roland eut l’impression qu’ils chantaient son nom. » (77) Puis les insectes disparaissent.

La mise en scène.

La construction du récit est remarquable et fait comparativement penser à certaines techniques de la musique répétitive américaine: quelques éléments musicaux sont d’abord utilisés. Puis, on supprime un élément musical, on conserve les autres, et on en ajoute un nouveau. Et ainsi de suite, des éléments disparaissant pour laisser la place à d’autres, avec une partie centrale conservée dans son développement. Je me limiterai aux premières pages.

Dès les premières lignes, alors que Roland arrive à Elurie avec son cheval mourant, des notations incidentes sont reprises plusieurs fois, de façon à intriguer le lecteur tout en fournissant des éléments essentiels dans le récit: « Les seuls bruits perceptibles étaient la stridulation douce d’une sorte d’insecte (proche du chant des grillons, mais en plus harmonieux), un étrange toc-toc sur du bois et un très faible tintement de clochettes, quasi irréel. » (22) Le chant des insectes et le son des clochettes seront le fond sonore, quasi permanent, repris avec des variations de formulation renouvelés. Le toquement est un bruit qui servira de transition.

S’y ajoutent simultanément les notations d’une ambiance fantastique: « Le silence qui régnait était passablement anormal ». Aux portes de la ville: « Si la croix qui le chapeautait était un brin inhabituelle… »15 (22) « On est a des lieues de la normale par ici, songea le pistolero. Gaffe, Roland, cet endroit dégage une odeur roussâtre. » (23)

Souvent des détails macabres, quand se mêlent le « tintement irréel des clochettes et l’étrange toc-toc sur du bois, tel un poing cognant au battant d’une porte. Ou sur le couvercle d’un cercueil. » (23) Des bruits dans le silence: « Holà ! cria Roland. Nulle réponse hormis les clochettes, l’harmonie des insectes et l’étrange toquement boisé. Pas la moindre réponse, pas le moindre mouvement… Il y avait pourtant quelqu’un par ici. Quelqu’un ou quelque chose. On l’épiait. Les poils follets de sa nuque en étaient tout hérissés. » (24) Certains événements inconnus « n’avaient pas eu lieu depuis fort longtemps. Une semaine, peut-être. Deux, tout au plus, compte tenu de la chaleur. » (24)

Les premières explications viendront: « Le pistolero aperçut alors l’origine du tintement. Au-dessus de la croix peinte sur la porte de l’église, on avait tendu une cordelette qui formait un arc de cercle légèrement ployant. Y pendillaient une vingtaine de clochettes d’argent16. La brise soufflait à peine aujourd’hui, suffisamment toutefois pour que ces babioles ne restent pas en repos… » (24). Puis le tintement, un chien qui essaie de tirer un cadavre d’une fontaine: « Il ne cessait pas de lâcher la botte, de la reprendre et de la secouer dans tous les sens. Le talon butait à intervalles réguliers contre le bois de l’abreuvoir, qui rendait un son creux. Le pistolero n’était donc pas tombé loin en pensant au couvercle d’un cercueil. » (26) Le chien, décrit comme chien-crucifix, sera ensuite mis en coulisses, on entendra ses aboiements,et il réapparaîtra lors des dernières scènes.

Les quatre premières pages sont un modèle qui pourrait servir de support dans un cours de création littéraire. Tout y est, mais suggéré. La toile est tissée avec une grande d’habileté. On a dit que King n’était jamais si bon que dans ses nouvelles. Parmi les nouvelles fantastiques, Les petites sœurs d’Elurie figurera comme l’une des meilleures.

Si on replace cette nouvelle dans le cycle de la Tour, il faut noter une perspective tout à fait nouvelle de l’image de Roland de Gilead. Adulte de quarante ans dans Le Pistolero, il a alors été perçu comme une force brute agissant entièrement sous l’emprise du ka, avec un remarquable sang-froid et une technique de tueur, acquise de son instructeur dans son adolescence. Héros presque glacial, il nous impressionnait par son sens pratique17, sa force et sa quasi-invincibilté. Dans les romans qui ont suivi, il a été gravement atteint et mutilé par l’attaque des homarstrosités dans Les Trois Cartes, s’est humanisé sous l’influence des membres de son ka-tet. Mais dans nos esprits, avant ces événements, il était un homme dangereux pour ses adversaires, et inhumain avec ses amis (l’épisode de Jake sacrifié à la tour en était le plus insupportable témoignage). Avec Magie et Cristal, le spectacle d’un Roland roucoulant surprenait, mais restait plausible: premier amour d’un adolescent, il s’expliquait par la nouveauté de la passion. Le cheminement de sa psychologie était linéaire: adolescent dur au cœur tendre meurtri par la mort de l’aimée, adulte dur au cœur devenu dur, il redevenait le dur au cœur ouvert à l’affection de ses amis. Dans Elurie, il a quarante ans et son nouveau sentimentalisme surprend d’autant plus que ces événements, se situant avant ceux du Pistolero, nous montrent un Roland tout différent de celui que nous avons initialement connu.

Surtout il n’est plus invincible. Il se fait bêtement surprendre par l’attaque des mutants et se fait assommer, puis tombe impuissant entre les mains des vampires. Son image à nos yeux se brouille. Il ne serait pas capable de se sortir de la situation de futur dévoré s’il ne recevait l’aide active de Jenna, sensible à sa prestance. C’est elle qui organise sa fuite, à laquelle Roland ne prend guère part. Ses deux interventions sont lamentables. Il sort son pistolet pour abattre une vampire, mais l’arme est inefficace. Il se bat corps à corps avec elle, mais est renversé par la force psychique de son adversaire. C’est un élément extérieur, le chien-crucifix qui va le sauver. Jenna disparaît sans qu’il puisse rien faire. Les petites sœurs d’Elurie donnent une image différente d’un Roland faible et vulnérable, difficile à accepter avec la quête du pistolero et le formateur des membres de son ka-tet avec lesquels il se montre aussi dur que Cort l’a été avec lui.

Remarquable nouvelle, à l’action bien menée, aux contenus précieux et posant des interrogations multiples, qui augurent bien du prochain tome annoncé, avant l’accident de King, pour dans deux ans18.

Armentières, le 25 juillet 1999.


Note de l’auteur: « La Tour Sombre met en scène Roland de Gilead, dernier pistolero d’un monde à bout de souffle, qui a « changé », lancé au trousses d’un magicien à robe noire. Roland poursuit le dénommé Walter depuis fort longtemps. Dans le premier tome du cycle, il finit par le rattraper. L’histoire qui suit se situe, néanmoins, pendant la période où Roland en est encore à s’enquérir de la piste prise par Walter. Une connaissance de tous les volumes de la série n’est donc pas nécessaire à la bonne compréhension de ce récit -et au plaisir de le lire, espérons-le. » Stephen King.

Résumé:

Cette nouvelle pèsera plus lourd que sa cinquantaine de pages. Elle est d’abord contemporaine du nouveau projet de son auteur, que La Tour Sombre soit le carrefour d’une partie de son œuvre19; et des éléments venus d’ailleurs montrent que le désir de l’auteur est en voie de réalisation. Elle est ensuite un prolongement du genre vampire, que King avait si brillamment porté à un niveau exceptionnel avec Salem, mais qu’il n’a repris que dans trois autres nouvelles. Elle offre ensuite une curiosité, avec les insectes/docteurs, qui peut-être feront partie du monde de La Tour Sombre. Elle présente une image sensiblement différente de Roland de Gilead, apparue dans Magie et Cristal, dont la rédaction semble avoir été simultanée avec cette nouvelle. Apparaissent encore de nouveaux détails sur l’univers de La Tour Sombre. Et surtout pour la première fois la nature du ka, jusqu’à présent indéterminée, est rattachée à la vieille pratique de King, au dieu chrétien. Remarquable nouvelle, à l’action bien menée, aux contenus précieux et posant des interrogations multiples, qui augurent bien du prochain tome annoncé, avant l’accident de King, pour dans deux ans…


1 The Little sisters of Eluria, parue dans le recueil de 11 récits inédits de fantasy Légendes (Legends, 1998), trad. fr. Éditions 84, avril 1999.

2 Dans la postface de Magie et Cristal, King annonçe un ambitieux projet: l’aventure de la Tour Sombre avait pour lui une « étrangeté essentielle ». Dans le « système solaire » de son imaginaire, l’histoire de Roland serait devenue son « Jupiter »: « Je commence à comprendre que le (ou les mondes plutôt) de Roland contient (ou contiennent) l’ensemble de ceux [qu’il a] créés. Il me semble que ce soit là que tous, tant qu’ils sont, finissent par atterrir. » (667).

3 Depuis Ça, King adore les avatars de ses personnages démoniaques, sans que leur forme ultime suggérée soit jamais révélée.

4 Cette puissance d’ordre énergétique est possédée également par le Tak des Régulateurs.

5 Dans Bazaar, de nombreux détails sont donnés sur Gaunt, sa philosophie de marchand diabolique et ses errances. Il a commencé comme colporteur à vendre des objets il y a très longtemps, sur des routes lointaines (il connaît les plaines lovecraftiennes de Leng), puis avec un chariot traîné par un cheval blanc: « les temps ont changé, les méthodes aussi. » (540)

6 On ignore qui est le père de Jenna, ramenée ensuite dans la communauté (et par là même cet aspect de la sexualité de ces vampires et de leur reproduction). On ignore également le châtiment qu’elle a subi, mais les sœurs n’en parlent qu’avec réprobation. D’après l’exemple de Jenna, la descendante de vampire n’utilise pas le « glam » pour son compte quand elle est jeune. Ce n’est que par la pratique du vampirisme qu’elle devient comme les autres.

7 Dans le chapitre 1 du premier livre de Magie et Cristal, il est dit que l’irradiation de la ville de Candleton eut lieu il y a « deux bons siècles et demi. » (32) Mais on ne sait pas combien de temps avait duré encore la civilisation industrielle que nous connaissons maintenant avant que se produise cet événement. Quand Roland vient « pêcher » Detta en 1977 et Eddie en 1987, il remonte le temps -par rapport à lui- de plusieurs siècles. Mais on sait aussi que le temps est malade dans le monde de la Tour…

8 Baal, le dieu sanguinaire de la Phénicie et de la Palestine, auquel on devait sacrifier son premier-né, a été longtemps le rival de Yahvé (Dans Salambo, Gustave Flaubert a donné des images impressionnantes de son culte -enfants brûlés vifs dans la statue en métal du dieu chauffée à blanc). Asmodée, dieu persan avant de devenir un diable de la luxure.

9 King est protestant méthodiste, Tabitha catholique.

10 Une puissance? Ce qui expliquerait cette intervention de jour contraire à leur nature.

11 Dans Tolkien, des tours « bonnes » -comme les tours blanches de d’Orthanc ou de Minas Ithil-, peuvent devenir maléfiques quand elles tombent entre les mains de Saroumane ou du roi-sorcier Sauron. Barad-Dûr, la tour noire de Sauron à Mordor, Angband, la forteresse-prison de Morgoth, sont des lieux maudits.

12 Le mot blasphème signifierait en premier sens que la rose, devenue sigle maléfique (« vénéneuses »), n’est pas compatible avec le choix que fera Jenna pour l’ordre de la lumière.

13 Dans la postface de Magie et Cristal, King fait état des difficultés qu’il a rencontrées en écrivant la première histoire d’amour de la jeunesse de Roland, qui tient une grande place dans le livre. La raconter lui causait « une peur bleue. Si le suspense m’est relativement facile, le roman d’amour me crée des difficultés. » (667)

14 Rebelle comme se montrera Jenna. La formation de la lettre C, représentation de la boucle de Jenna a plusieurs significations possibles: dernier adieu? (Mais pourquoi ne pas former la lettre J?); hommage à l’amour, (pourtant blasphématoire) puisque la représentation s’adresse à Roland?; approbation implicite de la rébellion de Jenna? On ne sait pas ce que les insectes deviennent. Par sa poésie et son ambiguïté, la scène est belle, et montre que, même dans un domaine où il n’est pas à l’aise, King peut obtenir de jolies réussites.

15 On ne sait pas pourquoi: mais on apprendra vite qu’inhabituellement, l’église d’Elurie est une église chrétienne, rare dans le monde de Roland. S’ensuivront nécessairement le médaillon religieux, la répulsion des vampires, etc.

16 La croix, et pour la barrer, les clochettes, puisqu’elles se trouvent au-dessus de la croix et forment un arc ployant. On pourrait tout déchiffer ainsi, paragraphe par paragraphe, l’histoire lue.

17 Il en reste des traces dans Elurie: « Comme toujours, moins le pistolero réfléchissait, mieux il agissait. » (67) Une notation des Trois Cartes montrait une complexité plus grande: il « ne devait peut-être d’avoir survécu qu’à la prééminence de son sens pratique et de sa simplicité sur le ténébreux romantisme de sa nature. » (216)

18 Ce tome 5 du Cycle de La Tour Sombre s’intitulerait (?) Thunderclap (Coup de tonnerre), et ne sortirait pas avant 2001.

19 Dans la postface de Magie et Cristal, King annonce un ambitieux projet: l’aventure de la Tour Sombre avait pour lui une « étrangeté essentielle ». Dans le « système solaire » de son imaginaire, l’histoire de Roland serait devenu son « Jupiter »: « Je commence à comprendre que le (ou les mondes plutôt) de Roland contient (ou contiennent) l’ensemble de ceux [qu’il a] créés. Il me semble que ce soit là que tous, tant qu’ils sont, finissent par atterrir. » (667).





VOUS AIMEZ L'ARTICLE? N'HESITEZ PAS A LE PARTAGER ;)

ENVIE DE DONNER VOTRE AVIS? Cliquez ici pour laisser un commentaire


Autres contenus : Divers

SOUTENEZ-NOUS ET OBTENEZ DES AVANTAGES EXCLUSIFS !

Vous aimez notre travail?

En vente dans notre boutique :

Découvrez notre boutique :

Nos livres : ebooks gratuits sur demande!

   LES ADAPTATIONS DE STEPHEN KING


   LA BIBLIOGRAPHIE STEPHEN KING