L’Excursion
(The Jaunt)
(Frédéric Procédé)
Quelques mots sur les thèmes abordés dans cette nouvelle
Il y a bien évidemment le Temps, thème central de la nouvelle :
– On le retrouve par l’emploi du flash-back, du retour dans le passé, qui permet de raconter comment l’excursion a été créée : c’est l’histoire dans une autre histoire ;
– Ensuite, vient L’ éternité : s’il n’est pas endormi, le cerveau travaille pendant des siècles ; notion de porte temporelle (dimensionnelle) ;
– A l’opposé, on retrouve le côté instantané du temps. « Que le temps passe vite quand on s’amuse » : le savant dit cela quand il a un certain temps à lui pour utiliser l’ordinateur. La phrase est ironique avec la chute de l’histoire car ce n’est pas drôle pour qui subit la science. La morale de King pourrait être « on ne s’amuse pas avec la science, ce n’est pas un jeu » ;
– Quoiqu’il en soit, le temps, dans cette nouvelle, entraîne la solitude et la solitude entraîne la folie ;
– Pour finir, nous avons la notion de cycle avec le rituel du sang. Ce passage initiatique est sous-entendu quand le garçon s’arrache les yeux : cela représente la fin d’un cycle.
Nous retrouvons ensuite le Savant Fou :
– A l’instar de Doc BACK TO THE FUTURE (RETOUR VERS LE FUTUR), il est seul dans sa grange, sans moyens importants. Il se douche deux fois par semaine… et il travaille sur un magazine de vulgarisation (comme Isaac ASIMOV) ; Il y a là une allusion à Popular Mechanics, magazine typique de l’américain moyen, que l’on retrouve souvent dans l’œuvre de KING.
La quête du savoir :
– L’enfant naïf du début de l’histoire fait place à quelqu’un de totalement différent à la fin, grâce à son processus mental. On part de zéro pour arriver à la connaissance par l’expérience ; il devient un vieux sage qui détient toute connaissance. C’est la même chose dans IT / CA, avec Henri BOWERS. Y aurait-il quelque part une porte dimensionnelle donnant sur le monde de IT /CA ?
– Le symbole de la montre représente la différence entre la science de l’homme et la réalité : une description de la montre avec calculatrice intégrée. 3 km en 0,000000000067 secondes. L’ordinateur créé par l’homme est chamboulé quand le garçon dit que c’est l’éternité. C’est la différence entre le matériel (l’humain) et l’immatériel. On a tant de temps pour le corps, mais combien pour l’âme.
– Dans sa quête du savoir, l’enfant ouvre les yeux pour la connaissance mais n’a plus rien d’humain, il devient une chose et finira par s’arracher les yeux à coup de griffes. Ce geste symbolise la fermeture définitive du regard sur le monde qui l’entoure. Il a vu la réalité. Il sait. Il n’a plus besoin de voir. Il fuit désormais le trompe l’œil de la réalité humaine.
La Famille :
– La famille décrite est là aussi typiquement américaine. Famille standard, moyenne, sans histoire… Famille modèle qui sombrera rapidement dans le mode atypique. De nouveau, on bouscule le sens des valeurs et des idées préconçues de la réalité humaine… Mais cette fois, c’est avant tout l’appréciation du lecteur qu’on ébranle.
Les doigts :
– Quand un personnage est mutilé dans l’œuvre de KING, il s’agit souvent de ses doigts : on en retrouve un autre exemple dans THE DRAWING OF THE THREE / LES 3 CARTES. Ici, les doigts sont les premières choses à être télétransportées (par accident). Notons aussi qu’il s’agit de la perte d’un autre des cinq sens… Les doigts sont le contact direct du corps avec la réalité humaine. Cette mutilation annihile le lien établi entre la main (celle qui touche la réalité humaine, qui l’a prend, qui la saisit) et le monde qui l’entoure. Dans une autre nouvelle de KING, I AM THE DOORWAY / COMME UNE PASSERELLE, des yeux poussent au bout des doigts d’un des protagonistes ouvrant ainsi une porte d’un monde sur un autre. Nous avons un rapport direct entre l’appréhension tactile et la perception visuelle. Dans THE JAUNT / L’EXCURSION, le personnage se mutile en s’arrachant les yeux pour ne plus voir… Il y a perte du contact visuel. Il s’agit d’un écho à la perte accidentelle des doigts qui, en quelques sortes, était annonciateur de la perte de contact avec la réalité humaine.
Les couleurs :
– Notons la présence dominante de deux couleurs dans la nouvelle, qui, selon Philippe Hemsen, ne seraient pas choisies au hasard :
– Le bleu du hall, annonçant le meurtre et / ou la folie ;
– L’orange : représentation de l’angoisse.
La Souris :
– Ce petit rongeur a son importance dans l’œuvre de KING. Que ce soit dans GOLDEN YEARS ou dans THE JAUNT / L’EXCURSION, où elle sert de mascotte ou de cobaye aux aventures scientifiques ou que ce soit dans THE GREEN MILE / LA LIGNE VERTE où après avoir subit quelques bassesses humaines, elle reçoit une bénédiction divine, la souris ne doit pas être sous-estimée dans l’univers de King.
L’eau :
– Le thème de l’eau est quasi permanent dans cette nouvelle. L’eau qui est à la fois porteuse de Vie et de Mort. L’eau qui donne naissance mais qui tue avec le temps. Nous retrouvons ainsi la notion de cycle, de boucle, de temps qui passe…
Lille, le 23 Janvier 1997