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Divers

Steve’s Rag hors série 5

Steve’s Rag

(Numéro Spécial # 5 – Décembre 1997)

 


 

Cet étude en en fait constituée de deux grandes parties séparées. Partie 1Partie 2

 


 

KING TRIVIAL – Première partie.

« Allez, lis dans mes pensées, Sigmund.

Arrose-les du sperme des symboles et fais-les grandir » 1.

 

« Puis fiantoit, pissoyt, rendoyt sa gorge, rottoit, pettoyt, baisloyt, crachoyt, toussoyt, sanglotoyt, esternuoit et se morvoyt… », Rabelais2.

Lagarde et Michard, qui avaient repris ce passage3 dans leur célèbre manuel littéraire, signalaient soigneusement en note pour l’édification de générations d’élèves: « les détails répugnants ne déplaisent pas à Rabelais ».

C’est que dans toute culture, il y a des choses « répugnantes » qui ne se font pas: elles sont interdites. On n’en parle que négativement, pour rappeler les commandements et stigmatiser les errements. Quand on ose les évoquer ou en parler positivement, c’est clandestinement, dans le secret du Necronomicon., avec le risque du bûcher. Il y a aussi les choses qui se font -et même très couramment-, mais dont on ne parle pas. On n’en parle pas parce qu’elles sont déconsidérées, jugées vulgaires4, inconvenantes ou « répugnantes », comme Lagarde et Michard le disaient à propos de Rabelais. On ne peut les suggérer honorablement qu’en dissimulant leur réalité derrière un camouflage idéalisé5.

Par exemple, dans une certaine culture chrétienne traditionnelle, on ne baisait que dans le mariage, sacrement qui sanctifiait et idéalisait l’acte. Et surtout, on n’était pas censé parler de ce qui se passait la cérémonie rituelle et le repas de noces terminés, ou par la suite: c’était trivial. Pour les détails sur les activités au lit, c’était carrément obscène6.

Là se trouve sans doute la limite la plus nette entre le trivial et l’obscène. Le trivial est parfois obscène, mais l’obscène est toujours trivial. Ou, pour dire autrement, l’obscène, qui concerne une certaine façon de considérer la fonction sexuelle, est un sous-ensemble du trivial7.

King, comme bien d’autres, n’a pas échappé aux condamnations pour trivialité ou obscénité: il a été vilipendé par les bien-pensants, interdit dans certaines écoles, menacé par un projet de loi contre l’obscénité. D’où la tentation, le recul du temps aidant, et l’oeuvre de King s’étalant maintenant sur une durée raisonnable, de faire le point. Cette étude ne portera que sur le trivial concernant les fonctions organiques autres que sexuelle. Une seconde étude sur King et le sexe est en projet.

La genèse du trivial.

La serviette de la reine.

A cinq ans, le prince Peter est autorisé à assister pour la première fois à un banquet royal. Sa mère, Sasha, lui rappelle soigneusement les règles du savoir-vivre. « Elle voulait avant tout qu’il fasse preuve de bonne éducation, et pendant tout le repas, il devrait se débrouiller seul, car son père n’avait aucune idée des bonnes manières » 8.

« Les banquets de la cour n’étaient pas très collet monté, et bien des nurses se seraient peu formalisées des bonnes ou mauvaises manières du garçon. Voyons, cet enfant sera roi, auraient-elles dit, un peu choquées à l’idée d’avoir à lui donner des leçons dans un domaine aussi trivial. Qu’importe s’il renverse le saucier? Qu’importe s’il bave sur son col ou s’essuie les mains dessus? (…). Ce banquet ne finira-t-il pas comme tous les banquets, avec les convives qui se lancent de la nourriture à la tête? » .

La reine Sasha donne donc des instructions précises à Peter, l’observe pendant le banquet, puis lui fait des reproches: « Tu as fait quelque chose de mal, Peter, et je ne veux pas te voir recommencer (…). Tu ne t’es pas servi de ta serviette, dit-elle. Tu l’as laissée pliée à côté de ton assiette et ça m’a fait de la peine. Tu as mangé le poulet rôti avec tes doigts, et ça, c’est bien, car c’est ainsi que font les hommes. Mais quand tu as eu fini, tu t’es essuyé sur la manche de ta chemise, et c’est mal ».

En deux pages du livre écrit pour sa fille Naomi, King reprend plusieurs aspects sociologiques de la représentation mentale que les hommes se font du trivial: on peut manger le poulet avec les doigts, se jeter de la nourriture à la tête -c’est l’usage, à cette époque le couvert tel qu’on le connaît n’existe pas9, et il faut de « l’ambiance » pour qu’un repas de fête soit réussi-, jusqu’à l’apparition d’une sensibilité nouvelle qui imposera peu à peu une autre appréciation des comportements, les précédents devenant « grossiers ». Par contre, il est trivial de tracasser un futur roi avec des problèmes de bienséance à table…

Quant à la nouvelle sensibilité concernant les usages de la table dont fait preuve la reine, elle est annonciatrice de changements à venir… et de nouveaux usages tout aussi contraignants. Moins les gens ont d’éducation -quand ils ne connaissent pas ou quand ils méprisent ces nouveaux usages-, plus ils paraîtront proches de comportements rustres ou socialement dépassés, et plus leurs comportements apparaîtront triviaux à ceux dont les manières ont évolué. L’homme « civilisé » serait ainsi celui qui est à la pointe historique de l’évolution de la bienséance…

La méthode pour inculquer les nouveaux principes à la jeune génération est simple: la persuasion. A Peter qui rétorque que ni son père, le roi, ni les nobles ne se servent de leur serviette, Sasha répond qu’il est « seulement un petit garçon qui oublie les bonnes manières ». Peter est un garçon obéissant… et il y a aussi Naomi qui lit cette histoire: « De toute façon, il avait déjà pris la décision de ne jamais oublier d’utiliser sa serviette. Si c’était important pour sa mère, cela l’était pour lui aussi ».

Après une comparaison douteuse entre le bien humain et le comportement canin, la reine Sasha conclut: « A part ce détail, ta conduite a été exemplaire. Toutes les mères du royaume auraient été fières d’avoir un fils aussi bien élevé, et mon coeur est plein d’admiration pour toi (…). Tout ce que je te demande, c’est de toujours te conduire en homme civilisé. Souviens-toi du bon côté de ta nature, du côté divin » (ibid. p., 20).

La règle est qu’on ne dit pas de gros mots devant les dames et le contrevenant s’excuse, comme le shérif qui s’est laissé aller en parlant au mari: «  »Il paraissait s’en branler complètement ». Il regarda vers Liz et ajouta: « Excusez-moi » » 10.

Car les femmes manifestent généralement à l’égard des comportements qu’elles jugent triviaux une répulsion mêlée d’acceptation résignée11. Ainsi Jud aime à roter « avec satisfaction » en buvant un verre: « Il vida d’un trait la moitié de sa bière, lâcha un rot sonore ». Mais il n’a pas l’esprit tranquille: quand sa femme est là, elle surveille jusqu’aux propos de son vieux mari de soixante-dix ans: « Tu serais gentil d’éviter ce genre de langage quand je suis à portée d’oreilles, dit Norma » 12.

On peut même se demander si la condition biologique des femmes, socialement obligées -survivance de civilisations qui ont longtemps considéré leur statut comme impur- de dissimuler leurs contraintes périodiques, ne pourrait pas être reliée à leur distance à l’égard du trivial, comme le montre ce dialogue mental entre Jessie et Ruth: « Elle était formée dès dix ans et demi. C’était peut-être là le problème. Peut-être qu’il a flairé l’odeur du sang (…). Peut-être que c’est ça qui l’a rendu fou.

– La ferme! cria Jessie, presque folle elle aussi. Tais-toi, on ne parle pas de ces choses-là!

– Tiens, à propos d’odeurs, c’est quoi, celle-là? s’enquit sèchement Ruth (…). Cette odeur un peu métallique, comme du sel et des vieilles pièces de monnaie…

-On ne parle pas de ces choses-là, j’ai dit » 13.

Cette retenue féminine à l’égard du trivial n’est pas du tout spontanée chez les filles. Eilen, sept ans, parle à son père: « -Papa, est-ce que Papy te fait toujours autant chier? ».

Louis la regarda bouche bée.

« Mais enfin, Ellie, qu’est-ce qui te fait croire que je … que j’ai quelque chose contre ton grand-père?

Ellie haussa les épaules (…). « Chaque fois que tu parles de lui, ça a l’air de te faire chier.

-Ne parle pas comme ça, tu veux. C’est vulgaire » » 14.

En réaction, il se produit parfois chez les jeunes filles des tentatives d’insubordination: « – Laissons chier les éléphants, dit Susan gaiement.

C’était le genre de réflexion qui ne manquait jamais d’irriter sa mère » 15.

Même Rachel, qui réprimandait plus haut ses enfants quand ils disaient des gros mots, a une attitude personnelle ambiguë à l’égard du trivial: « Rachel fut prise d’un fou-rire si violent qu’elle en péta; Louis [son mari] fit chorus, et ils rirent si longtemps et si bruyamment qu’ils réveillèrent Gage qui dormait dans la chambre voisine » 16.

On ne rit généralement pas quand on se mouche… Mais Rachel ne cherchera évidemment pas à savoir pourquoi elle rit ici de si bon coeur alors qu’elle blâme sa fille Eilen de se tordre de rire avec les « prout » de Gage…

Quant à la mère actrice de Jack, c’est l’exception libérée qui confirme la règle: « Toutes les femmes que j’ai interprétées savaient baiser, dit-elle. Mais aucune d’entre elles ne savait encore péter » 17.

Le tapis gris aux roses.

A nouveau Eilen, toute réjouie de donner un enseignement subversif à son petit frère de deux ans: «  »Dis merde, Gage, lui suggéra-t-elle entre deux bouchées de porridge.

– Merde, Gage », déclara obligeamment l’enfant (…). Elle se tordait comme une petite folle.

– « Dis prout, Gage », dit-elle encore.

– « Prout-Gage », dit Gage et un sourire radieux s’étala sur son visage barbouillé de bouillie brunâtre. « Prout-merde », ajouta-t-il « .

La mère, qui n’apprécie pas ces échanges éducatifs fraternels, remet de l’ordre: «  »Bon, maintenant ça suffit, dit-elle (…). Vous avez dit assez de gros mots 18 pour aujourd’hui.

« Prout-merde, prout-merde, prout-merde! » psalmodia Gage » 19.

Si la persuasion ne donne pas de résultat, il faudra bien chercher d’autres moyens. Dans un propos à décrypter, le sociologue Glen admoneste son chien: « Kojak, ne recommence pas à sauter (…). Maîtrise-toi. N’oublie jamais, Kojak, n’oublie jamais que la maîtrise de soi est la marque distinctive des classes supérieures. La maîtrise de soi! » 20.

Contrôle et répression, c’est ce que sa mère impose à la petite Frannie pour acquérir cette maîtrise de soi: « Le salon était l’endroit où il fallait tenir sa langue, l’endroit où vous aviez envie de vous gratter sans pouvoir le faire (…), des éternuements qu’il fallait retenir, des toussotements qu’il fallait étouffer, et surtout des bâillements qu’il fallait absolument dissimuler » .

« L’un de ses plus anciens souvenirs était d’avoir fait pipi sur le tapis gris aux roses ternes. Elle avait peut-être trois ans, n’avait pas appris depuis très longtemps à rester propre (…). Elle n’avait pas pu se retenir, et la tache qui s’élargissait, tandis que le tapis gris perle prenait une teinte ardoise foncée autour de son derrière avait fait hurler sa mère » .

Persuasion ou contrainte, être gosse, ça se résume finalement à la mort du spontané ou quelque chose qui en est proche: « peut pas, fait pas, jamais, ne pourra, ne voudra, ne saura » 21.

Piper et l’institutrice au tigre.

Jack fréquente la meilleure école de New York: « Les élèves de Piper n’avaient jamais besoin d’aller « au petit coin », de « se soulager », ni -Dieu les garde!- de « couler un bronze ». Sans doute les considérait-on comme des êtres trop parfaits pour souiller de leurs déjections la Grande Route de la Vie. De temps en temps, ils demandaient la permission de « sortir quelques instants », un point, c’est tout » 22. Ainsi sont formées les élites bien-pensantes dans ces endroits huppés: « Piper, ce lieu où on assistait à un raout plutôt que d’aller à la cantoche et où on sortait parfois quelques instants mais où on ne chiait jamais, lui semblait soudain lointain et insignifiant ».

Comment un enfant peut devenir comme les collégiens de Piper? Charlie, jeune élève qui s’agite désespérément sur son siège de l’école, pourrait nous le dire.

« -Répondez, Charles, continua vivement Melle Bird. Avez-vous besoin d’…

(uriner, elle va dire uriner, elle dit toujours ça)

– Oui, mademoiselle.

– Comment, oui?

– J’ai envie d’aller aux cabi…aux toilettes.

Melle Bird eut un sourire.

– Très bien, Charles. Vous pouvez aller uriner aux toilettes. Est-ce bien ce que vous voulez faire? Uriner?

Charles baissa la tête, comme un condamné.

– Très bien, Charles. Vous pouvez y aller. Et la prochaine fois, soyez assez gentil pour ne pas attendre qu’on vous demande ce qui se passe » 23. Charlie va pisser sous la risée de ses camarades et on comprend qu’il a envie de voir dévorer sa maîtresse…

Il est question, dans une nouvelle de SKELETON CREW, de la « femme qui se mouillerait les jambes si elle ne s’accroupissait pas pour faire pipi. » 24. King raconte à ce sujet que sur les trois magazines américains qui ont refusé sa nouvelle, deux l’ont fait à cause de cette allusion au fait qu’une femme se pisserait sur les jambes si elle ne s’accroupissait pas. « Apparemment, on a pensé qu’aucune femme ne pissait ou on n’a pas voulu rappeler pareille réalité », commente King ironiquement25.

Les lunettes mauves de Madame.

Le prototype « bon chic, bon genre » est cette femme riche impossible dont « Jim ne pensait pas que l’on pût dire (…) que l’argent lui sortait pratiquement par le trou de cul, parce qu’il ne croyait pas que Patricia McCardle eût quoi que ce soit d’aussi vulgaire qu’un trou de cul, ni même un rectum -lorsqu’elle devait se soulager, elle se livrait probablement à un Acte d’Immaculée Excrétion » 26.

C’est une femme semblable que rencontre dans sa fuite, Richards. Poursuivie par les autorités, il arrête une voiture conduite par Amélie. « Elle était vêtue de façon assez élégante et portait de grosses lunettes à verres mauves. Pas vilaine, pour autant qu’il pût en juger » 27. Amélie parle avec mépris de la femme de Richards qu’elle a vue à la télévision. Elle se déclare une femme honnête: « Vous haïssez tous les gens honnêtes et décents! ». Et elle dénonce les choses « répugnantes » qu’il a lui-même faites.

Richards lui répond par un argument de fond et/ou de classe: « Je vais vous dire ce qui est répugnant. Ce qui est répugnant, c’est d’être mis à l’index parce que vous ne voulez plus faire pour General Atomics un travail qui rend stérile. C’est répugnant de savoir que le Réseau tue chaque année des millions de personnes à cause de la pollution (…). Quand tout ça sera terminé, vous pourrez regagner votre luxueux duplex et allumer une Dokes en regardant scintiller l’argenterie sur le buffet. Aucun de vos voisins ne poursuit les rats dans les escaliers en brandissant un balai; aucun ne va chier devant la porte parce que les toilettes sont bouchées (…). C’est assez répugnant pour vous, ça? Qu’est-ce qui…

– Taisez-vous! cria-t-elle. Vous êtes obscène!

-Obscène, c’est le mot, dit-il (…). Toute communication était impossible avec ces élus. Ils vivaient dans des sphères raréfiées où rien ne les atteignait. Il eut une soudaine envie de lui arracher ses belles lunettes, de la jeter dehors, et de la traîner dans la poussière, de la forcer à manger du gravier, de lui casser plusieurs dents, puis de la violer, de lui sauter dessus à pieds-joints (…). Obscène, répéta-t-il entre ses dents. C’est exactement cela » (id. pages 167/8). Elle ne peut que lui répliquer: « Vous pourriez vous abstenir de dire des choses pareilles ».

Plus tard, les flics tirent sur la voiture de cette dame qui, jusque là, « aurait pu se trouver dans son salon »: « Le masque de la bourgeoisie bon chic, bon genre était tombé, révélant une vérité plus brute venue du fond des cavernes. Yeux hagards, visage agité par des tics, un petit soupçon de bave aux lèvres » (Ibid. p., 174). Et plus tard encore, « la jolie bourgeoise pleine d’assurance, avec ses lunettes mauves et ses manières distinguées, avait bel et bien disparu » (Ibid. p., 196).

King s’aventure ici très loin dans cette région mystérieuse que l’homme ou la femme « bien élevés » n’ont ni la volonté, ni les moyens d’explorer: eux-mêmes et leur authenticité. Au fond de leur être gronde aussi un torrent de réactions spontanément grossières, triviales, primitives, que les constructions de comportements stéréotypés ou imposés ont bien du mal à endiguer, mais qui les protègent d’eux-mêmes. Par ailleurs, les bonnes manières, les mots qu’il ne faut pas « dire », les bienséances sont un luxe auquel tiennent certains privilégiés, qui se différencient des autres par ce moyen, qui les confirme dans leur supériorité. Mais que surviennent les difficultés, et réapparaît la bête humaine dissimulée sous un vernis social.

Le confessionnal.

Thomas a l’occasion d’observer son père, le roi, seul le soir dans son salon. Son père se saoûle de bière, urine dans la cheminée, pète, farfouille dans son nez, etc. « Thomas découvrait le mépris, car les gens donnent rarement le meilleur d’eux-mêmes quand ils sont seuls. Ils abandonnent généralement leur masque de politesse ou de bonnes manières. Qu’y a-t-il en dessous? Quelque monstre boutonneux? Un être répugnant qui ferait fuir tout le monde en hurlant? Parfois, peut-être, mais en général, il n’y a rien de mauvais. Les gens se contenteraient de rire s’ils nous voyaient sous nos masques; de rire ou de prendre une mine dégoûtée, ou les deux à la fois » 28.

Pendant un temps on encourage les enfants qui deviennent propres en feignant de s’extasier sur la qualité de leurs excrétions. Mais vient ensuite le temps de la honte et de la production solitaire. Ce qui était bien devient inconvenant et les parents incitent leurs enfants à des comportements de plus en plus intimes. Ce qu’on exposait triomphalement devient l’objet du dégoût: « Dans les toilettes, c’est toujours pareil, on dirait un 747 en train de décoller. J’ai toujours eu en horreur de tirer sur cette maudite poignée. On entend sûrement tout dans la classe à côté, et tout le monde pense: Encore un chargement qui s’en va! J’ai toujours pensé qu’on devrait être seul avec ce que ma mère voulait que j’appelle de la limonade ou du chocolat quand j’étais petit. Les toilettes, ça devrait être une sorte de confessionnal. Mais elles vous trahissent. Elles vous trahissent toujours. On ne peut même pas se moucher sans que tout le monde soit au courant. Il faut toujours que quelqu’un sache, que quelqu’un vous espionne » 29.

Eliminer le trivial ou la situation triviale, n’est-ce pas le moyen pour l’humain d’exorciser le fait qu’il est un animal?

Mais c’est pourtant ce que fait papa.

Parmi les divers moyens utilisés pour obtenir chez l’enfant le comportement aseptisé désiré, certains sont spectaculaires. Une mère rappelle à son fils adulte: « Je crois que la pire chose que je t’aie jamais vu faire, c’est d’écrire un gros mot dans le couloir (…). Tu te souviens?

– Il se souvenait. Elle avait écrit ce même mot sur son front avec une craie et l’avait fait tourner trois fois avec elle autour du pâté de maisons. Il n’avait plus jamais écrit ce gros mot, nulle part, ni un autre ailleurs, plus jamais » 30.

Beaucoup de peine et de peines pour un résultat souvent douteux. Les plus débrouillards anticipent.

Danny, cinq ans, se voit réprimander par sa mère. « – Il ne faut pas dire « foutu ». C’est vulgaire.

– Qu’est-ce que c’est, « vulgaire »?

– Etre vulgaire, c’est se curer le nez à table ou faire pipi en laissant la porte du W.C. ouverte. Et c’est dire certains mots, comme « foutu ». C’est un mot vulgaire que les gens bien élevés ne disent pas.

– Papa le dit bien, lui (…). Est-ce que papa n’est pas bien élevé? (…).

– Mais si, il est bien élevé. Seulement, lui, c’est un adulte. Il sait qu’il ne peut pas dire certaines choses devant n’importe qui (…).

– Je pourrai parler comme ça quand je serai grand?

– Je pense que tu le feras, que je le veuille ou non.

– A quel âge je pourrais commencer?

– Qu’est-ce que tu dirais de vingt ans? » 31.

Sauver les apparences, maintenir sa place sociale, ne pas dire ou faire certaines choses devant n’importe qui, tel est le but éducatif poursuivi: d’abord strictement interdire, et laisser ensuite le temps relativiser.

De l’ignorance des psy.

Certains en sont durablement traumatisés, même si leur comportement habituel n’est guère modifié. Un gosse de douze ans se réveille d’un cauchemar effrayant: « Ne le laissez pas me prendre! bredouillait Vern. Je jure que je serai sage, que je ne ferai rien de mal, je relèverai le siège 32 avant de pisser, je…je…(…). Je promets que je ne piquerai plus de bouquins cochons chez Delhie! (…). Je ne dirai plus de gros mots! » 33. Sans doute s’il devient flic tiendra-t-il alors des propos pourtant entre hommes aussi précis que bégayants à un jardinier qui voit Pan sur sa pelouse: « Vous affirmez qu’il est complètement nu? Vous êtes en mesure d’apercevoir… euh, ses organes génitaux et tout ça? » 34. Ou, comme ce père de famille marqué par l’éducation maternelle, il hésitera sans cesse quand il parle, annonçant le mot trivial par sa première syllabe, pour se reprendre et le remplacer par un vocable neutre: « Une fois, elle [sa mère] m’a fait asseoir pour me prévenir des maladies qu’on risque d’attraper si on va avec une fille de …, une prostituée. Elle m’a expliqué qu’un jour on avait un petit bouton sur la bi…, sur le pénis, et le lendemain il était tout pourri » 35.

On peut aussi faire faire le chemin à l’envers et réapprendre le vocabulaire idoine, comme le pratique, par l’interphone de la classe, le lycéen révolté avec le psychologue de l’établissement. La classe, prise en otage sous la menace d’un revolver, est à l’écoute:

« – Depuis combien de temps es-tu psychiatre?

– Cinq ans.

– As-tu brouté ta bonne femme? 36

– Qu…(Une longue pause terrifiée). Je ne comprends pas ce que tu veux dire.

– Bon, je reformule la question. T’es-tu déjà engagé dans des pratiques bucco-génitales avec ta femme?

– Je ne répondrai pas à cette question. Tu n’as aucun droit…(…)

– Alors, t’as déjà brouté ta femme?

– Non!

– Tu mens! Tu as dit que tu ne savais pas ce que cela signifiait.

– Tu m’as expliqué! » 37.

Entretien pitoyable, marqué par l’hypocrisie latente, les inhibitions et les blocages mentaux d’un psy, dont la fonction devrait être apparemment de lever ceux de ses patients…

Après cet inventaire, on s’aperçoit que King n’a pas dû négliger beaucoup d’aspects psychologiques et sociologiques de l’apparition, de l’utilisation et de la répression du trivial. Le trivial n’est pas une réalité en soi, un absolu38, mais toujours un produit culturel daté, un gommage de ces réalités que le bon ton doit passer sous silence. Encore conviendrait-il mieux de parler d’une perception intuitive du trivial ou de l’obscène, accompagnée des sentiments individuels39 ou sociaux appropriés. Produit temporaire, utilisé par une sensibilité de classe qui veut étaler la supériorité de comportements nouvellements codés40, rejeté ou copié par ceux qui veulent montrer leur différence avec leur propre milieu, ce jeu d’apparences est fragile et vite remis en question dès que les masques tombent et que l’animal réapparaît. L’ambiguïté est permanente, comme le montre ce dernier exemple emprunté à deux jeunes enfants qui contemplent Christine en disant à Arnie:

« – Ma maman, elle dit que votre voiture, elle est dégoûtante…

– Oui, pipi-caca, ajouta la petite soeur » 41.

On peut ainsi faire la constatation que le sale, le dégoûtant, et en même temps l’interdit, deviennent, à partir d’un certain âge, irrémédiablement et inconsciemment liés à des productions organiques. L’homme appartient « fréquemment à la caverne fruste et mal dégrossie de l’homme à l’Âge de pierre » et « notre personnalité socialement acceptable et plaisamment éclairée » 42 ne peut qu’être le résultat d’une conquête.

L’utilisation du trivial.

Il n’est pas question de recenser exhaustivement ou de faire un quelconque total des trivialités dans King. Pour deux motifs. Des raisons psycho-sociologiques d’abord: comme on l’a vu il y a quelques instants, le trivial se définit par une perception individuelle -ou groupale- de ce qui est choquant. Au mieux pourrait-on constituer un inventaire qui pourrait s’intituler « le trivial kingien, tel qu’il est ressenti subjectivement par l’auteur de cet article ». Le référentiel – et il reste encore bien vague- sera ici ce qu’un adolescent peut écrire en 1997 dans une composition française43 au collège ou au lycée sans encourir la mention vulg. ou pop., voire la promesse d’ennuis plus graves.

La deuxième raison est la quantité considérable de « gros mots44 » et de descriptions triviales que contiennent beaucoup d’oeuvres de King: il y en a trop45 pour qu’un inventaire soit complet. Ne sera donc repris ici et ordonné qu’une sorte d’échantillonnage de passages choisis parmi les plus représentatifs. Seront laissés de côté les gros mots, les allusions courtes ou peu significatives, les invitations équivoques qui ne comportent que quelques mots ou qui sont d’usage courant. Enfin il faut bien avoir conscience des limites de cette étude: elle s’appuie sur des traductions diverses: le langage de la rue ou le populaire, la langue verte américaine passent au travers du filtre mental des traducteurs, qui ont leur propre conception du trivial46, qui en retranchent… ou en ajoutent…

Sans compter l’évolution extrêmement rapide des langages parallèles, qui sont liés à des phénomènes d’actualité ou de mode: en quelques années les mots branchés deviennent obsolètes et sont remplacés par des vocables ou expressions nouvelles (aussi bien en américain qu’en français) et les traducteurs ont parfois des années de retard47.

Comme l’éducation commence par le contrôle des sphincters, on ne sera pas surpris qu’une grande partie du trivial se rapporte aux fonctions d’excrétions, nez et bouche compris. A quoi il faut ajouter les sécrétions: oreilles, glandes sudoripares…

« A cul de foirard toujours abonde merde », 948.

C’est une des préoccupations de King depuis longtemps. Il a neuf ans quand ses camarades et lui trouvent un chat mort. « On a fait le cercle autour du chat mort. Puis Nicky a dit soudain: « Et si on lui lâche une brique sur le cul, est-ce qu’il va chier? ». S’ensuivit un long débat sur ce point de biologie post-mortem. Il fut finalement décidé de procéder à l’expérience. On trouva une brique. On débattit sur le fait de savoir qui allait la lâcher sur le chat mort. Le problème fut résolu de façon traditionnelle. Le rite d’un am-stram-gram fut célébré. Ce fut Nicky qui gagna. La brique fut lâchée.

Le chat mort ne chia pas.

Déduction: « quand on est mort, on ne chie pas si quelqu’un vous lâche une brique sur le cul » » 49.

Il semble que le jeune Steve ait tiré divers enseignements de ces leçons de choses. Concernant la régularité d’abord. « La chiée la plus rapide de ma vie, annonça-t-il (…). Je n’ai jamais pu rester très longtemps sans chier. Y a des gars, quoi, ils chient une fois par semaine. Moi, je suis un type de tous les jours. Si je ne pose pas ma pêche un jour, je prends un laxatif » 50. En cas de besoin, il aurait pu demander conseil à un spécialiste: « Excellent pour le transit intestinal, ces biscuits à la figue, expliqua Bateman » 51.

Pour encore plus d’efficacité, la purge. Un employé plaisantin met un laxatif dans la boisson au chocolat de son patron: « Ce jour-là, il avait propulsé dans son pantalon l’équivalent d’une bombe A de merde. La bombe A -ou la bombe M si vous préférez- avait explosé au moment où il était en train de préparer de la viande dans le rayon des produits frais du supermarché » 52.

On peut l’utiliser dans le cadre d’une relation sado-masochiste, comme la patronne de Dolorès, grabataire, qui tous les jeudis, chie dans ses couches: « La vieille peau avait un compte-épargne de merde (…). Elle remontait sa vieille usine à purée et son compte à merde commençait à verser des dividendes ». Ensuite, par méchanceté, elle en jette partout dans la chambre: « Je savais qu’elle retenait une véritable bombe à merde, et je savais que ça serait l’enfer si je n’arrivais pas à mettre le bassin avant qu’elle commence » 53.

Nous n’entrerons pas dans le domaine des torche-culs (« Coincé dans les latrines avec la chiasse et pas d’épi de maïs » ) ou des modes d’emploi (« Son papa se demandait parfois comment elle savait se torcher sans un manuel explicatif » 54), où, aussi riche que soit son imagination, King est bien loin derrière Rabelais qui y a consacré tout un chapitre55.

On terminera par une recette culinaire: « Exactement comme si on était venu foutre un gros colombin sur la table de ta salle à manger et que tu avais appelé quelqu’un en qui tu avais confiance pour lui demander quoi faire, et que le type t’ait répondu: « C’est pas un problème. T’as qu’à mettre un peu de ketchup dessus » » 56.

« O belle matiere fecale que doivoit boursouffler en elle », 1157.

« Je lui ai dit qu’il pouvait chier dans ses godasses » 58. Ce qui peut arriver sur la route: « Nerveusement, il déboucha sa ceinture, s’arrêta et puis, en grimaçant, baissa son pantalon, sa main tenue devant ses organes génitaux, et s’accroupit (…). Il se releva, chancela sur la route et clopina tant bien que mal en tenant son pantalon, et laissant une partie de lui-même qui fumait dans la nuit » 59.

La campagne attire: « Les crampes avaient de nouveau tiré la chasse d’eau dans ses intestins et il avait dû se précipiter dans les buissons, lancé dans une course pour voir s’il arriverait à baisser son pantalon à temps, ou s’il le remplirait » 60.

Parfois des complications surviennent. Ainsi Eddie, qui a subi une première exploration rectale au commissariat par un policier à la recherche de drogue61, en subit, résigné, une seconde pour le même motif, cette fois par un truand explorateur: « Claudio Andolini récupéra sa main. Ses doigts firent un floc en s’extirpant du trou du cul d’Eddie (…).

– Grouille-toi, Jack. J’ai de sa merde de junkie plein la pogne.

– Si j’avais su que tu allais enquêter de ce côté, Claudio, je me serais soigneusement récuré le derche avec un barreau de chaise la dernière fois que j’ai coulé un bronze. Ta main serait ressortie parfaitement nette et je n’aurais pas eu l’impression de m’être fait violer par un taureau » 62.

Pour les moins téméraires, les choses sont mieux emballées. Voici l’armoire à pharmacie d’un allumé des médicaments: « Ex-Lax, les petites pilules Carter. Ces deux-là permettent de faire passer le courrier. A côté cependant, s’alignent le Kaopectate, le Pepto-Bismol et la préparation H, au cas où ledit courrier s’emballerait, ainsi que quelques Tucks sous couvercle à vis, simplement pour mettre de l’ordre une fois le courrier passé, que celui-ci soit réduit à une simple circulaire ou à un bon vieux paquet par porteur spécial » 63.

« Puis alloit es lieux secretz faire excretion des digestions naturelles », 23.

Confessionnal ou pas, les vécés semblent le local le plus ordinaire pour évacuer les tensions. Parfois, tout va bien: « J’étais juste sur le point de passer dans mon vieux merdatorium, pour procéder à ma petite cérémonie habituelle. Réguliers comme une horloge, mes intestins » 64. On peut même y emporter une lecture de circonstance, comme « Blagues dans les gogues » 65. Mais ce n’est pas toujours aussi simple.

A la campagne, il subsiste encore des chiottes de jardin de jadis: « Il fallait y faire ses commissions le plus vite possible, l’été, à cause des guêpes toujours en train de tourbillonner en-dessous, entre la manne et les deux trous (lesquels étaient pour elle le ciel d’où tombait la manne), et qui pouvaient décider de planter leur dard dans l’une de vos tendres joues inférieures; mais il fallait aussi se presser l’hiver, parce que sinon, les mêmes tendres petites joues inférieures risquaient de se pétrifier de glace » 66.

En ville, bien que lieu d’aisance(s), le vécé peut mettre mal à l’aise: « L’odeur avait de quoi faire tourner de l’oeil: un mélange d’urine, de merde, de vomi et de désinfectant. Bien sûr, les portes des W..C. avaient toutes été arrachées (…). Dans un des urinoirs, il y avait un gros tas d’excréments, sur lequel se promenaient quelques mouches paresseuses » 67.

Mais il faut bien y aller: « Il alla aux toilettes et s’assit sur le siège; aussitôt il expulsa une masse de selles liquides et explosives. Les matières tombèrent dans l’eau avec une succession saccadée de gargouillements et de flocs qui lui donnèrent le mal de mer (…). Il urina sans se lever, la tête entre les mains, entouré de l’odeur pestilentielle du produit de sa digestion. Il tira la chasse d’eau » 68.

Le vécé peut prendre des dimensions insoupçonnées, comme celui -heureusement imagé- d’un paysan à son interlocutrice notable: « M. Moran l’informa que si Madame La-Toute-Puissante-Ruth McCarland avait la conviction qu’elle était la Reine-Crotte-de-la-Colline-de-Merde, elle ne tarderait pas à découvrir qu’il y avait une autre petite crotte qui flottait dans les Grandes Chiottes de la Vie. M. Moran ajouta que, dans ce cas particulier, il avait la main sur la chasse d’eau de ce grandiose dispositif d’évacuation et qu’il avait la ferme intention de tirer dessus » 69.

Dans tout vécé qui se respecte, il y a des accessoires. Le révérend Lester annonce à une paroissienne qui l’a appelé par son surnom que la prochaine fois que cela se produira, il lui enfoncera « le débouche-chiotte des pissotières du presbytère dans le vagin jusqu’au cerveau… si vous ne n’avez pas déjà recraché, votre cerveau » 70.

On peut enfin noter l’utilisation d’éléments fantastiques liés à l’excrétion et aux vécés: le point faible du démon Tak, qui occupe le corps de Seth. Il a horreur d’être dans Seth quand son hôte « se soulage les boyaux », acte qu’il trouve « dégoûtant ». « Dans les toilettes adjacentes à la cuisine, il entend le garçon. Le garçon émet des grognements porcins que Tak en est venu à associer avec la fonction d’excrétion; pour lui, même ces bruits sont révoltants et l’acte lui-même avec ses contractions et ses sensations de glissement, d’expulsion incontrôlable est hideux » 71.

« Lui-meme se berçoit en dodelinant de la teste (…) et barytonnant du cul », 7.

Ici encore, suivant la même procédure, seront négligées les injures de toutes sortes, comme « face de pet » 72 ou autres; seront évacuées de la même manière toutes sortes de qualifications de pets, jusqu’au « pet moisi » 73 pour ne retenir, à titre de curiosité, que l’existence, inconnue jusqu’ici, de « pets mentaux » 74. Cela peut s’expliquer par le fait qu’à l’université, haut lieu de culture, on pète aussi, comme le signale un professeur qui évoque un collègue partant à la retraite: »Plus de vingt ans que je l’entendais lâcher des pets fracassants dans le bureau d’à-côté » 75.

Il y a bien sûr les constatations habituelles sur l’ingestion des haricots, dont même Zoltan le corbeau connaît les effets: « Haricots, haricots, fruits musicaux, déclama le corbeau inspiré. Plus t’en manges et plus tu joues du pipeau » 76. Ça se chante: « Fayots, fayots, fruits des poètes! Plus t’en bouffes et plus tu pètes! Et plus tu pètes, plus ça fait du bien! T’es alors prêt à rebouffer, petit vaurien! » 77. On en a même une explication scientifique donnée par un enfant à l’esprit formé à la méthode expérimentale: il « expliqua que le taux élevé de soufre contenu dans les pets expliquait que mon père pétât tellement à l’église, tous les dimanches matin. « Mais il les lâche la plupart du temps en silence (…) ou alors il attend le moment des hymnes pour expédier une vraie détonation » » 78.

C’est qu’avec King, on a affaire à un technicien du son, capable d’apprécier les nuances du bruit d’un pet, du « monumental » 79 ffff au pitoyable †: « Il lâcha un vent…un long bruit stérile qui n’avait aucun rapport avec un bon gros pet honnête » 80. Ou l’instrument de musique suggéré: « Sa mère ronflait encore dans son lit en lâchant des pets fréquents, longs et langoureux comme un son de cornet » 81.

Par ailleurs, un pet royal peut être vaporeux, comme ceux du roi Roland: « La plupart du temps, il se levait et urinait dans la cheminée, souvent même il en profitait pour péter de gros nuages de vapeur malodorante » 82. Voilà qui a dû bien faire rire la petite Noami, pour qui le livre a été écrit…

Elle n’est pas allée sans doute jusqu’à imaginer ce que l’on peut faire de ces nuages. Certains gosses de la campagne le savent: « Art Baker leur raconta qu’ils avaient organisé, par chez lui, à qui allumerait le plus gros pet, et un gros con au cul velu (…) s’était brûlé tous les poils du cul jusqu’au creux des reins » 83.

Sont aussi décrites, bien sûr, les répercussions sociales du pet: « Une embarrassante attaque de météorisme qui démarra autour de quatre heures et se prolongea jusqu’à la fin de la soirée. Linda s’enfuit de la salle de télé au beau milieu du journal de vingt heures en annonçant qu’elle ne reviendrait que si quelqu’un se décidait à distribuer des masques à gaz. Billy se contenta de sourire d’un air penaud. Son expérience des flatuosités lui avait enseigné qu’il n’aurait servi à rien d’aller faire un tour pour évacuer ces coupables émanations. Ces maudits pets vous collent au corps, comme attachés par des élastiques invisibles. Il n’y a pas moyen de les semer » 84.

A signaler aussi les préoccupés du pet, comme le vieux facteur Georges: il « leva une jambe recouverte de l’uniforme bleu-gris des Postes et lâcha un pet. Cela lui arrivait fréquemment ces derniers temps et commençait à l’inquiéter. Apparemment ce qu’il mangeait n’entrait pas en ligne de compte » comme nous le montre l’inventaire qu’il fait des nourritures ingérées. « Il avait consulté l’Encyclopédie Médicale en douze volumes (…). A la rubrique FLATULENCES, Georges n’avait rien découvert de très encourageant. Il pouvait s’agir de troubles gastriques. D’un petit ulcère à l’estomac. Ce pouvait aussi être un problème intestinal ou même le cancer (…). D’une certaine façon, la pensée de vivre ses soixante et soixante-dix ans en pétaradant comme une vieille fusée défectueuse ne collait pas avec l’idée qu’il se faisait de l’âge d’or de la retraite » 85.

Une pensée enfin pour les infortunés ceux qui doivent se retenir jusqu’à ce que l’autorisation conjugale leur en soit donnée, comme l’épouse de ce gardien de prison: « Même si elle avait bouffé un wagon de laxatifs, elle n’oserait pas péter sans [sa] permission » 86.

Lors en soubriant destacha sa belle braguette et tirant sa mentule en l’air les compissa », 17.

Pisser n’est peut-être pas si éloigné qu’on le pense d’une activité intellectuelle: « Pisser et penser ont beaucoup de points communs, songea-t-il tandis qu’il sortait de la voiture et ouvrait sa braguette. On peut les repousser, mais pas éternellement » 87.

Quand on s’est retenu, ce n’est toujours aisé, comme l’éprouve ce campeur de 9 ans apeuré: « Je suis allé vers les bosquets et j’ai essayé. Au début, ça n’arrivait pas à sortir. J’avais comme un balle de plomb dans le ventre. Je n’avais plus qu’un petit zizi long comme le bout de doigt, le froid l’avait tout racorni. Ça a fini par venir et ça s’est mis à couler à flots » 88.

Pour d’autres garçons qui ont la technique, c’est manifestement plus facile: « Jack était là, debout, son pénis à la main, la peau légèrement pincée entre le pouce et l’index, à regarder la lune. Un nouveau jet d’urine jaillit de lui » 89.

Il y a les timides mathématiciens: « Il faisait partie de ces hommes qui ne peuvent uriner que quand le besoin est réellement pressant, et sont incapables d’y parvenir dans les toilettes publiques dès qu’il y a un peu de monde; l’idée de tous ces hommes attendant leur tour derrière lui le paralysait complètement. Il se mit donc à faire ce qu’il faisait presque toujours dans les quelques secondes qui séparaient la mise en batterie de l’instrument et l’ouverture du feu: il récita, dans sa tête, la série des nombres premiers » 90.

Des militaires visent avec précision: il « s’était écroulé contre le mur, entre deux urinoirs, et un type en uniforme de l’armée pissait à environ quatre centimètres de son oreille droite » 91. D’autres compliquent leur affaire: « Un type d’âge mûr (…) était debout, pas très frais, devant l’un des urinoirs remplis de glaçons, une main appuyée sur le mur, et l’autre brandissant un énorme pénis non circoncis. Une plaque de dégueulis fumait entre ses pataugas souillés » 92.

Une forme originale d’utilisation de l’urine comme arme de choc est mise au point par la gigantesque lutteuse Gertie, qui vient de terrasser le mari de Rose, qu’il martyrisait en la frappant notamment sur les reins. Elle s’est assise dessus: « De la main, elle souleva un peu plus la robe fendue, révélant une vaste culotte en coton bleu. (…) « Y a des amateurs de jambes, des amateurs de culs, des amateurs de nichons, et il y a des gars pas nets, des trous du cul comme toi, Norman, qui n’aiment que les reins. (…) Rosie n’est pas ici, dit-elle en continuant à se tortiller, mais elle t’a laissé un petit message de ses reins, par l’intermédiaire des miens. J’espère que tu es prêt, parce qu’il arrive. »

Elle avança encore d’un genou, se mit en position au-dessus de la figure de Norman et se laissa aller. Ah, délicieux soulagement.

Norman ne parut pas se rendre compte sur le coup de ce qui se passait. Pus il comprit. Il poussa un hurlement et essaya de la renverser. Gert se servit de ses fesses comme d’un marteau-pilon pour le clouer de nouveau au sol. (…)

« Non, on ne bouge pas, mon bonhomme », dit-elle, continuant de soulager sa vessie. Il ne risquait pas de se noyer, mais elle n’avait jamais vu visage humain afficher une telle expression de colère. »93

Les plus âgés font ce qu’ils peuvent, ainsi mère Abigaël qui, rurale, utilise la cabane dans le jardin à 108 ans! « Elle entra, ferma bien la porte, mit le crochet (…). Un moment plus tard, elle se mit à uriner et soupira de contentement. Encore une de ces choses de la vieillesse (…), on ne sait plus quand on a envie de faire pipi. Comme si on ne sentait plus rien dans la vessie. Et si on ne fait pas attention, on fait pipi dans sa culotte sans même s’en rendre compte. Elle n’aimait pas du tout se salir. Alors elle venait s’asseoir au cabinet six à sept fois par jour » 94. Et il n’y a pas de raison pour que les hommes échappent à cette difficulté, pour eux prostatique.

En 1994, King a fait un long périple de plus de 7.000 kms sur sa Harley-Davidson pour promotionner les libraires indépendants. Il a utilisé ce voyage dans DESPERATION, où l’écrivain Marinville pisse un très grand nombre de fois en se préoccupant constamment de sa prostate: « Il sortit son stylo d’origine pour pisser dans le désert une copie anonyme (…). Il avait une envie pressante, mais pendant une minute, il ne se passa rien tandis qu’il restait debout avec sa bite sèche à la main.

Puis enfin, l’urine décrivit un arc et teinta les feuilles sèches et poussièreuses de mesquite d’un vert sombre et luisant.

« Merci mon Dieu! Loué soit le seigneur!  » hurla-t-il (…). Il écarta un peu les jambes, se pencha légèrement et lâcha son pénis pour se masser les reins. On lui avait dit que ce geste aidait à faire passer le flux un peu plus longtemps (…). Il était clair que sa prostate ne lui rendait plus les services d’antan (…). Il devait consulter et il le savait (…). Il avait peur que le docteur lui trouve une prostate aussi noire 95 qu’un potiron pourri » 96.

Il y a aussi des curiosités zoologiques: « Larry se réveilla (…) avec un sale goût dans la bouche -comme si un bébé dragon venait d’y faire ses petits besoins » 97. Ou cette autre: « Et s’il voulait jouer à qui pisserait le plus loin, il leur montrerait qu’il pouvait pisser comme un putois qui vient de boire un tonneau de bière » 98.

Le fantastique a sa part: on garde un souvenir flamboyant d’un vampire invisible qui pisse dans un urinoir: « Un liquide rougeâtre qui heurtait la porcelaine de l’urinoir du milieu et s’écoulait avec des tourbillons par les trous de l’évacuation.

Aucun filet d’urine dans l’air; il ne devenait visible que lorsqu’il touchait la porcelaine.

C’est alors qu’il se matérialisait (…). Il songea qu’il allait le voir jusqu’à la fin de ses jours » 99.

De toute façon, vampire ou pas, quoi qu’on fasse, même en secouant « sans hâte la petite goutte » 100: « Secoue-la tant que tu veux, Oscar, la dernière goutte est pour le falzar » 101.

Il rottoit… », 21.

On rote souvent chez King, avec des conséquences variables suivant la société où l’on se trouve, mais il n’y a pas de longs développements littéraires particuliers. Des notations d’odeur -de bière le plus souvent- et d’ intensité: »Un rot aussi violent qu’un coup de feu » 102.Volontaire ou non: « Son estomac protesta contre le choc par un rot retentissant » 103. Ou naturaliste, tel Huggins le Roteur qui tient son surnom de son talent pour lâcher des « rots retentissants et d’une longueur stupéfiante -croisement de cris de crapaud-buffle et de crissement de cigales dans ses meilleurs jours » 104 .

Le rot permet aussi d’évaluer la précision du souvenir: « Il découvrit un arrière-goût sucré insolite dans son rot qui lui rappela quelque chose… quelque chose qui datait sans doute de longtemps » 105.

A signaler l’existence du »rot mental » 106, cousin inconnu du « pet mental » relevé précédemment.

Souvent crachoyt on bassin », 11.

Seront négligés les monstres et créatures fantastiques diverses qui crachent toutes sortes de choses à caractère liquide, en même temps que l’invraisemblable quantité de vers habituels.

Le crachat peut être accidentel: « Il se cassa en deux, secoué par une terrible quinte de toux qui lui fit projeter autour de lui une véritable pluie de salive et de mucosités » 107.

Ce crachat habituellement fonctionnel: « une quantité étonnante de mucosités jaunâtres qui firent une flaque par terre » 108, peut servir à d’autres usages.

La riposte: « Elle cracha et un énorme glaviot visqueux s’écrasa sur la joue de Billy. Un filet de glaire tiède lui coula sur les lèvres. Elle avait le goût salé des larmes (…). Son crachat, humide et visqueux, coulait le long de la joue de Billy » 109.

Car ça peut se consommer: « Il se racla la gorge, baissa la vitre et propulsa un énorme glaviot vert-jaune dans l’air pluvieux (…). Celui qui va le choper n’aura pas besoin de chewing-gum pendant une semaine, commenta-t-il » 110.

Ou encore: il « cracha un énorme mollard verdâtre sur le visage (…) d’Eddie. « T’es pas obligé de tout bouffer tout de suite (…). Tu peux en garder une partie pour le dessert » » 111.

« …Leur subvestissoyt l’estomach », 27.

Charlie a « l’estomac pourri »: « J’ai ouvert la bouche pour dire que je ne me sentais pas bien et j’ai tout vomi par terre. Il y en a un peu qui est tombé sur la jambe d’Annmarie. Si vous aviez vu sa tête! Vous pouvez pas imaginer (…). Ils ont tous essayé de prendre ça à la rigolade et ils se sont essuyés. Du genre, je laisse toujours mes petis copains me vomir dessus la première fois, ah, ah! » 112.

Tout le monde n’a pas cette indulgence: « Putain de Dieu, il détestait les gens qui dégueulent. Ça lui donnait envie de vomir lui aussi. et quand il perçut cette odeur de gruyère plus tout à fait frais dans la salle de bains, il sentit son estomac chavirer. Rita était assise en tailleur sur le carrelage bleu pervenche, la tête au-dessus de la cuvette des W.C. » 113.

Dans une voiture, les conséquences sont durables: « On ne peut enlever l’odeur de vomi de la tapisserie d’une Mercury bleue. Ça reste pendant des semaines, des mois, des années peut-être » 114.

La rue pose moins de problèmes: « Elle heurta un lampadaire, s’y retint, se pencha et vomit. Elle sentait ses entrailles se déchirer. Elle rendit longtemps, cracha de la bile, hoqueta. Elle dut se raccrocher au lampadaire pour ne pas tomber (…). Elle cracha deux fois pour se débarrasser de l’amertume au fond de sa gorge » 115.

Quand on le peut, le procédé le plus hygiénique est le vécé ou le lavabo: « Il se pencha dessus et tout le contenu de son estomac gicla en une cataracte puante, rejaillissant en partie sur son visage et en grumeaux brunâtres sur le miroir. Il eut juste le temps de sentir les relents du poulet créole qu’il avait mangé (…) avant de vomir de nouveau avec un horrible bruit râpeux de machine emballée sur le point de déclarer forfait » 116.

Enfin, pour les contemporains nostalgiques du célèbre vomissement de L’EXORCISTE, qui sera évoqué plus loin (§ 4.6.), il y a la possibilité du souvenir des boutiques de plage: « Des imitations de vomissures en plastique (On jurerait des vraies! Essayez sur votre femme!) » 117 ou du « vomi en plastique (très réaliste!) » 118 vendu même dans le désert.

« Il se mouschoyt a ses manches », 11.

Il y a peu de trivial dans THE EYES OF THE DRAGON , livre destiné à la petite Noami. Mais, témoignage que King est plus restrictif dans ses actes que dans sa pensée, le trivial ne concerne pratiquement que le pet… et le contenu du nez, sans doute les deux projets éducatifs du moment.

Ainsi le fils du roi: « Thomas vit que son père, qu’il avait aimé et craint, qui lui avait semblé être le meilleur être du monde, fouillait souvent dans son nez quand il était seul. Il pêchait dans une narine et ensuite dans l’autre jusqu’à ce qu’il attrape une crotte verdâtre. Il la regardait ensuite avec une sorte de satisfaction solennelle, la retournait dans tous les sens à la lumière, comme un joaillier admirant une précieuse émeraude. La plupart du temps, il se frottait le doigt sous le siège sur lequel il était assis. D’autres fois, j’ai le regret de le dire, il fourrait la crotte dans sa bouche et croquait, une expression réjouie sur le visage » 119.

Avoir le nez assaini semble être une préoccupation importante dans le royaume: « Le garde de la tour de ronde s’arrêta juste en face de la poterne (…). Il resta là un moment à fouiller dans son nez avec son petit doigt, puis se pencha pour moucher un flot de morve entre ses mains ». Le garde continue à se curer le nez: « Il en sortit une croûte toute verte, l’examina soigneusement et la jeta sur le mur. Splatch! (…). Le garde ne semblait pas avoir la moindre intention de partir. Il venait de trouver un filon dans sa narine gauche et tenait absolument à l’exploiter » 120.

Le doigt doit être adéquat et pas maladroit au point de « provoquer un saignement de nez chez son propriétaire s’il [a] le malheur de vouloir se débarrasser d’une crotte de nez » 121. « Bon sang, y avait des jours, tu rentrais ton doigt tellement loin que c’est un miracle que tu t’es pas troué le cerveau. Et pourquoi tu rougis? J’ai jamais vu un gosse qui aime pas se tirer un peu d’or vert des naseaux de temps en temps » 122.

Inspiré, le curage de nez peut s’approfondir jusqu’à devenir une oeuvre littéraire. Le poète Gardener est en prison: « Un flic était assis devant sa cellule et lisait le magazine Crazy en se curant le nez (…). Il avait contemplé la grosse crotte verte qu’il venait d’extraire de son nez et l’avait essuyée sur la semelle de sa chaussure et avec un plaisir non dissimulé, l’écrasant et l’étalant sur la sombre crasse accumulée là. Gardener n’avait pu détacher les yeux de cette opération; un an plus tard, il lui consacrait un poème » 123.

« Ilz content force patenotres », 40.

« Un petit con de docteur de merde qui serait même pas capable de voir par où il chie » 124. Ou « Une foutue écrevisse restait une foutue écrevisse quel que soit son nom, et il aurait bouffé de la merde au cul d’un cochon plutôt que de foutre l’une de ces saloperies d’écrevisses dans sa bouche » 125: le chapelet est cette enfilade de trivialités mêlant généralement de l’obscène126 à la scatologie. Le chapelet, par sa longueur qui peut être considérable, sert à libérer les tensions émotionnelles, sous forme de propos dévalorisants, de provocations ou d’injures, comme le fait de manière bien anodine le capitaine Haddock dans TINTIN 127.

Ainsi ce tract prétendument signé par « Les bons Catholiques de Castle Rock » au révérend Rose: « Si tu ne sors pas vite ton pif de tête de noeud de nos affaires, on va tellement te couvrir de merde, toi et tes trous du cul de paroissiens, que tu vas puer pour le reste de ta vie » 128.

Surprennent davantage les chapelets dévidés par des malades atteints du cancer du cerveau ou des mourants, d’autant plus que les intéressés en bonne santé ont eu habituellement plus de tenue. « Foutue merde de pute de bordel de nnn trou de merde! avait hurlé son fils du fond de son lit d’hôpital tout blanc. Saloperie de pute de lécheuse de cons de branleuses de bite d’enculée mal torchée…! » 129.

« Il se mourvoit dans sa soupe », 11.

Il faudrait encore citer les autres excrétions ou sécrétions: les règles, objet de multiples allusions et quelquefois élément important du récit130; la morve; le »magnifique bouchon brun de cérumen » dans l’oreille131 ou sur un écouteur dans un avion132; la sueur; l’odeur. Leur recensement serait considérable, mais de moindre importance.

« Es autres parmy les couillons persoyt le boiau culier », 27.

Parler des intestins n’est pas trivial en soi, ça peut même être drôle. Comme l’éprouvait l’écrivain Morton qui connaissait « l’expression « Rire à s’en faire péter la sous-ventrière » et il comprenait que c’était bien ça: il avait l’impression, s’il ne s’arrêtait pas rapidement, que son ventre éclaterait et que ses intestins se répandraient sur le sol » 133.

Mais en fait, chez King, c’est presque toujours tragique. Il signale dans DANSE MACABRE un film de 1972 qui a retenu particulièrement son attention, dans lequel une scène présentait le découpage d’une femme à la scie: « La caméra s’attardait langoureusement sur ses intestins tombant en masse sur le sol » 134. On peut ainsi relever plusieurs descriptions obsessionnelles d’intestins en difficulté à l’air libre, qu’il prend plaisir à développer, comme la « pelote d’intestins », le « cordage emmêlé et gluant » ou le « magma d’intestins » de Nettie éventrée135. Il arrive à provoquer un certain écoeurement qui n’est pas loin du trivial.

« Les intestins d’Olson, comme des serpents blancs, glissaient lentement entre ses doigts. Ils pendaient, tel un chapelet de saucisses devant ses organes génitaux, ballotant d’une façon obscène. Il s’arrêta, se pencha comme pour les récupérer (…) et vomit un grand caillot de sang et de bile » 136

Ou: « Ses pauvres intestins se dépliaient et traînaient jusqu’à ses pieds (…). Ils étaient emmêlés dans tous les sens (…). Il plongea dans l’office, ses intestins pendant autour de lui comme des guirlandes. Stupéfiant qu’il y en ait tant. Si ronds, si fermes, si compacts » 137.

Ou encore ce personnage qui rêve d’un hara-kiri: « ses tripes se répandant en accordéon sur la banquette comme une platée de ragoût de boeuf (…), allongé dans son propre sang dans les saucisses fumantes de ses intestins » 138.

 

Quel bilan peut-on faire arrivé à la fin de cette accumulation, qui, rappelons-le, ne constitue qu’un échantillon réduit du trivial kingien? Si on analyse ces diverses citations, on s’aperçoit qu’elles sont de deux ordres. Les unes appartiennent effectivement à l’expression spontanée des enfants, des adolescents139 ou de diverses catégories d’adultes en situation et ont leur justification dans un désir de dépeindre aussi exactement que possible une réalité existante. Mais les autres dépassent les exigences de la seule description: elles sont l’expression de caractéristiques personnelles et la traduction du King profond qui vit masqué. Ce sont ces deux aspects que nous allons étudier successivement, en chaussant nos « bottes d’égoutier » sans éviter le terrain « un peu bourbeux » 140.

La deuxième partie, qui n’est plus descriptive, s’efforce de rattacher le trivial de Stephen King à son milieu, aux influences subies et à son caractère. L’analyse situe King dans le courant littéraire naturalisteet essaie de mettre à jour ses contradictions psychologiques et la manière dont il les a équilibrées.

Armentières, le 22 août 1997. Réactualisé en mars 1999.

 


 

1 In RAGE 1977, Richard Bachman, éd. fr. Albin Michel 1990, p. 100.

2 In François Rabelais Gargantua, chap. 21. Cet ouvrage est « un des ramas des plus impertinentes et des plus grossières ordures qu’on puisse vomir », selon Voltaire…

3 Qu’ils avaient déjà largement censuré en supprimant: « fiantoit », « pissoyt » et « pettoyt ». Ce que les collégiens peu curieux n’ont jamais su, les auteurs ayant poussé la réserve jusqu’à ne pas signaler les mots honnis par des parenthèses ou des points de suspension. Voir XVIè Siècle, Bordas éd., p.43.

4 Le terme « vulgaire » devrait plutôt être réservé à la non-observation des usages sociaux, du « bon ton » et règles du savoir-vivre (pour lesquels il existe des manuels spéciaux…)

5 Et quand on les écrit (si on les écrit), c’est avec un curieux alphabet réduit où le point joue un rôle déconsidéré: « sale c…, tas de m… ».

6 En me relisant, bien que les temps aient beaucoup changé, je me demande s’il faut utiliser des verbes au passé, notamment pour ce qui se rapporte aux conversations familiales…

7 Les « gros mots » concerneraient le trivial, les « mots gras » l’obscène.

8 THE EYES OF THE DRAGON 1984, éd. fr. LES YEUX DU DRAGON, Albin Michel 1995. Les citations qui suivent sont extraites des pages 15 à 20.

9 « Rien dans les manières de table ne « va de soi », rien ne peut être considéré comme un sentiment de gêne naturel. Ni la cuiller, ni la fourchette, ni la serviette n’ont été inventées un jour, comme un outil technique, avec une finalité précise et un mode d’emploi détaillé: leur fonction s’est précisée peu à peu à travers les âges (…). in Norbert Elias, ÜBER DEN PROZESS DER ZIVILISATION, éd. fr. LA CIVILISATION DES MOEURS, Calmann-Lévy, édition 1991, p., 175. Voir aussi la monumentale HISTOIRE DE LA VIE PRIVÉE, ouvrage collectif en 5 tomes, éd. du Seuil, 1985-87.

10 In THE DARK HALF 1989, éd. fr. LA PART DES TÉNÈBRES, Albin Michel 1990, p., 201.

11 Le trivial est évidemment sexué: c’est non seulement pour les garçons le moyen le plus facile pour s’affirmer parmi ses pairs et contester les institutions, mais encore une occasion de parader devant les filles: les gros mots utilisés par les garçons déclenchent conditionnellement des réactions de rire ou de gêne chez les filles.

12 In PET SEMATARY 1983, éd. fr. SIMETIERRE, Albin Michel 1984, pages 36 et 185. Voir aussi IT 1986, éd. fr. ÇA, Albin Michel 1988, p., 342.

13 In GERALD’S GAME 1992, éd. fr. JESSIE, Albin Michel 1993, p., 90.

14 In PET SEMATARY, op. cit., p., 353.

15 In ‘SALEM’S LOT 1975, éd. fr. SALEM, Lattès 1981, p., 34.

16 In PET SEMATARY, op. cit., p., 35. Le rot, suivi du pet, semble être un rituel dans certains couples, par exemple dans THE TOMMYKNOCKERS 1987, éd. fr. LES TOMMYKNOCKERS, Albin Michel 1989, pages 141 et 170. Et on en rit toujours…

17 In THE TALISMAN 1984, Stephen King & Peter Straub, éd. fr. LE TALISMAN DES TERRITOIRES, Robert Laffont 1986, ch. 42, 8.

18 Pour certaines mères, il y a même les « Très Gros Mots », in IT, op. cit., p., 243.

19 In PET SEMATARY, op. cit., p., 210.

20 In THE STAND 1990, the Complete & Uncut Edition, éd. fr. LE FLÉAU, Lattès 1991, p., 334. Les citations suivantes sont extraites des pages 96 et 98.

21 In DIFFERENT SEASONS 1982, éd. fr DIFFÉRENTES SAISONS, Albin Michel 1986, in The Body, Le Corps, p., 422.

22 In THE DARK TOWER, 3. THE WASTELANDS 1991, éd. fr. TERRES PERDUES, J’ai Lu 1992, II, la clé et la rose.

23 In SKELETON CREW 1985, éd. fr. BRUME, Albin Michel 1987, Here They BeTygers, p., 166. King nous dit par ailleurs que sa première institutrice à Stradford, dans le Connecticut, était « drôlement impressionnante » et que si un tigre « était venu la boulotter », il n’aurait « pas été contre » (id. p., 639).

24 In SKELETON CREW, op. cit., Mrs Todd’s Shortcut, p., 246.

25 Idem, Notes, p., 640.

26 In THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., p., 68.

27 In THE RUNNING MAN 1982, Richard Bachman, éd. fr. RUNNING MAN, Albin Michel 1988, p., 164.

28 In THE EYES OF THE DRAGON, op. cit., p., 97.

29 In RAGE, op. cit., p., 17.

30 In THE STAND, op.cit., p., 92.

31 In THE SHINING 1977, éd. fr. SHINING L’ENFANT-LUMIERE, Lattès 1979, pages 22/23.

32 La lunette des vécés à lever ou à rabattre constitue un enjeu symbolique de l’autorité, difficile à ne pas contester par les enfants (voir § 1.7.) ou les adultes mâles, incités de diverses manières à « rabaisser le couvercle », in NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, 1993, éd. fr. RÊVES ET CAUCHEMARS Albin Michel 1994, The Moving Finger, p., 255. Certains sont si bien dressés par leur épouse, qu’ils pensent, comme Pete, qu’il « neigerait en août le jour où il irait pisser sans rabattre la lunette ensuite » , in NEEDFUL THINGS, 1991, éd. fr. BAZAAR, Albin Michel 1992, p., 138.

33 In DIFFERENT SEASONS, op. cit., The Body, p., 401.

34 In NIGHT SHIFT 1978, éd. fr. DANSE MACABRE, Lattès 1980, The Lawnmover Man, p., 267.

35 In NIGHT SHIFT, op. cit., The Boogeyman, p., 145.

36 Exemple à caractère sexuel: je n’en ai pas trouvé d’autre montrant le blocage mental d’un psy qui n’est plus isolé dans son cabinet, mais qui, comme son patient, doit se livrer à un regard extérieur, ici les élèves, auxquels, pris en groupe, on peut difficilement la faire.

37 In RAGE, op. cit., p., 19.

38 Le petit frère d’Ellie (§1.1.) est dans un état de totale innocence avant d’enregistrer les leçons de sa soeur.

39 La mort même peut être considérée comme triviale (voir § 3.3.): ainsi Rachel, pour qui « la mort était un secret, un affreux tabou dont il fallait à tout prix protéger les enfants, et accessoirement aussi les adultes; sur ce plan, l’attitude de Rachel évoquait fortement celle que les bourgeois victoriens avaient adoptée vis-à-vis des relations sexuelles et des mystérieux égouts de la libido », in PET SEMATARY, op. cit., p., 223. De même pendant longtemps, on n’a pas utilisé dans les journaux le mot « cancer »: on ne pouvait pâtir que d’une « longue maladie ».

40 « Je n’imagine pas une personne souffrant de malnutrition se plonger dans un livre tel que I’M OK-YOU’RE OK, in DANSE MACABRE 1981, éd. fr. tome.1. ANATOMIE DE L’HORREUR , éd. du Rocher 1995, p., 58. Allusion à un livre classique d’analyse transactionnelle: I’M OK-YOU’RE OK, de Thomas Harris, Pan 1973, trad. fr. D’ACCORD AVEC SOI ET LES AUTRES, EPI éd., 1974, repris par Desclée de Brouwerw, éd., 1984.

41 In CHRISTINE 1983, éd. fr. Albin Michel 1984, p., 49.

42 In ANATOMIE…, op. cit., p., 10.

43 La rédaction ou la composition française sont des genres convenus et les professeurs de lettres sont particulièrement chatouilleux à cet égard. Les enseignants connaissent pourtant bien les mots et expressions utilisés par les élèves lors des récréations ou dans les couloirs… mais ils ont des oreilles très sélectives. Heureusement d’ailleurs pour les chahutés, qui ont souvent l’occasion d’avoir directement le contact avec ce répertoire…

44 On lira avec intérêt le récent Que-sais-je? de Catherine Rouayrenc, portant ce titre. Professeur de linguistique à l’université de Toulouse, Catherine Rouayrenc limite honnêtement son étude: « le gros mot est certes l’affaire du linguiste puisqu’il est d’abord signe linguistique, mais celle aussi du psychologue et du sociologue, voire de l’anthropologue. En dépit de cela, faute de compétences dans ces divers domaines, je n’envisagerai le gros mot que sous son aspect linguistique », in LES GROS MOTS, n° 1597, P.U.F. 1996, p., 6. Comme on peut le constater en consultant la bibliographie p., 126, en dehors des dictionnaires spécialisés, il n’existe pratiquement rien sur la question.

45 J’avais d’abord commencé un relevé statistique: les dix pages suivant les centaines, de la p., 100 à la p., 110 par exemple. Mais cette méthode ne donne rien, le trivial n’étant pas systématique: King peut accumuler les trivialités en cataractes, comme il peut ne plus en écrire pendant des dizaines de pages.

46 Un « sale crachat » n’a pas la même charge émotive qu’un « mollard dégueulasse »…

47 Il y aurait un travail intéressant à faire pour un jeune angliciste sur l’évolution des mots et expressions triviales utilisées par King pendant presque trente ans, en parallèle avec les mots français correspondants. Jean-Pierre Goudailler a publié un intéressant dictionnaire du français contemporain des cités, COMMENT TU TCHATCHES!, Maisonneuve et Larose éd., 1997, préfacé par Claude Hagège, titulaire de la Chaire de Théorie Linguistique au Collège de France.

48 Les citations du livre I, GARGANTUA, de Rabelais comporte le n° du chapitre.

49 In ANATOMIE…, op. cit., p., 229.

50 In THE LONG WALK 1979, Richard Bachman, éd. fr. MARCHE OU CRÈVE, Albin Michel 1989, p., 144.

51 In THE STAND, op. cit., p., 335.

52 In THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., p., 198.

53 In DOLORES CLAIBORNE 1993, éd. fr. DOLORES CLAIBORNE Albin Michel 1993, pages 37 et 43.

54 In THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., pages 311 et 196.

55 Voir dans GARGANTUA le chapitre 13: Comment Grandgousier congneut l’esperit merveilleux de Gargantua à l’invention d’un torche-cul.

56 In THE DARK HALF, op. cit., p., 223.

57 Il semble y avoir en ce moment un certain déblocage concernant ces sujets habituellement considérés comme triviaux: voir Martin Monestier, HISTOIRE ET BIZARRERIES SOCIALES: DES EXCRÉMENTS DES ORIGINES À NOS JOURS, éd. Le Cherche-Midi, 1997; Roger-Henri Guerrand, LES LIEUX, HISTOIRE DES COMMODITÉS, éd. La Découverte/Poche, 1997.

58 In THE RUNNING MAN, op. cit., p., 107.

59 In THE LONG WALK, op. cit., p., 227.

60 In NEEDFUL THINGS, op.cit., p., 147.

61 « Puis je me suis penché pour laisser l’un d’entre vous m’introduire dans le cul le doigt le plus long du monde. Putain, si on parle de toucher rectal pour un examen de la prostate, là c’était un tringlage en règle. J’avais peur de baisser les yeux: je me disais que j’allais voir un ongle me sortir par le trou de pine », in THE DARK TOWER, 2 -THE DRAWING OF THE THREE , éd. fr. 2 -LES TROIS CARTES, J’ai lu 1991, I, 4.

62 Idem, I, 5.

63 In IT 1986, éd. fr. ÇA, Albin Michel 1988, p., 92.

64 In FOUR PAST MIDNIGHT 1990, éd. fr. MINUIT 2 MINUIT 4, Albin Michel 1991, Secret Window, Secret Garden, p., 390.

65 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., The Library Policeman, p., 20.

66 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., The Sun Dog, p., 274.

67 In THE RUNNING MAN, op. cit., p., 87. Dans THE STAND, King ironise sur la pub à la télé: « Deux bouteilles de produits désinfectants (…) dansaient au-dessus de la cuvette de W.C. », op. cit., p., 27. La publicité des produits d’hygiène est à analyser pour les précautions de style prises pour faire passer, à mots couverts ou avec des images décalées, les choses « choquantes » dont on ne parle normalement pas. A noter aussi comment elle s’enhardit peu à peu quand l’évolution des moeurs décharge de leur charge émotive les sujets considérés naguère comme triviaux.

68 In ROADWORK 1981, Richard Bachman, éd. fr. CHANTIER, Albin Michel 1987, p., 214.

69 In THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., p., 237.

70 In THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., p., 328.

71 In THE REGULATORS 1996, Richard Bachman, éd. fr. LES RÉGULATEURS Albin Michel 1996, pages 351, 354 et 355. Un commentaire a été fait sur cet handicap de Tak, qui est à l’origine de son insuccès, dans Steve’s Rag n°14, avril-juin 1997, p., 22.

72 In CARRIE 1974, éd. fr. Albin Michel 1994, p., 34.

73 In IT, op. cit., p., 782.

74 In IT, op. cit., p., 227.

75 In THE DARK HALF, op. cit., p., 304.

76 In THE DARK TOWER, op. cit., 1- THE GUNSLINGER 1982, éd. fr. LE PISTOLERO, J’ai lu 1991, I. 1.

77 In IT, op. cit., p., 781.

78 In NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., The End of the Whole Mess, p., 80.

79 In IT, op. cit., p., 307.

80 In THE LONG WALK, op. cit., p., 314.

81 In IT, op. cit., p., 307.

82 In THE EYES OF THE DRAGON, op. cit., p., 98.

83 In THE LONG WALK, op. cit., p., 93. Dans IT, il y a une longue description circonstanciée d’une scène identique, vue par une fille, op. cit., pages 775 à 780.

84 In THINNER 1984, Richard Bachman, éd. fr. LA PEAU SUR LES OS, Albin Michel 1987, p., 45.

85 In CUJO 1981, éd. fr. Albin Michel 1982, pages 227/8.

86 In DIFFERENT SEASONS, op. cit., Rita Hayworth and Shawshank Redemption, p., 48.

87 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., Secret Window, Secret Garden, p., 364.

88 In RAGE, op. cit., p., 26.

89 In THE TALISMAN, op. cit., p., 269.

90 In NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., The Moving Finger, p., 259.

91 In ‘SALEM’S LOT 1975, op. cit., p., 131.

92 In THE TALISMAN, op. cit., p., 153.

93 In ROSE MADDER, op. cit., p., 392/3.

94 In THE STAND, op. cit., p., 486.

95 Il se représente sa prostate comme « un organe gonflé et crénelé ressemblant à un cerveau géant cuit aux radiations dans un film d’horreur », in THE REGULATORS 1996, Richard Bachman, éd. fr. LES RÉGULATEURS Albin Michel 1996, p., 67. Dans THE GREEN MILE, le gardien-chef a également des problèmes avec sa vessie et il est guéri par Caffey, in THE GREEN MILE 1996, éd. fr LA LIGNE VERTE, Librio 1996, I, p., 36, II, p., 78.

96 In THE REGULATORS , op. cit. pages 66/68. Où -avec l’âge, nouvelle obsession kingienne?- il y a au moins une demi-douzaine de notations sur la prostate -pages 65, 66, 243, 450, 456, 461- et un contremaître qui a un cancer de la prostate et qui pisse le sang. De même, dans INSOMNIA, Ralph est réveillé par « une prostate un peu plus grosse que la normale », 1994, éd. fr. INSOMNIE, Albin Michel 1995, pages 43 et 59.

97 In THE STAND, op. cit., p., 82.

98 In SKELETON CREW, op. cit., Uncle Otto’s Truck, p., 487.

99 In NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., The Night Flier, pages 143 à 145.

100 In ‘SALEM’S LOT, op. cit., p., 128.

101 In IT, op. cit., p., 690.

102 In IT, op. cit., p., 403.

103 In ROADWORK, op. cit., p., 63.

104 In IT, op. cit., p., 357.

105 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., The Library Policeman, p., 22.

106 In NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., The Moving Finger, p., 257.

107 In THE STAND, op. cit., p., 199.

108 In THE STAND, op. cit., p., 27.

109 In THINNER, op. cit., pages 229/30.

110 In IT, op. cit., p., 466.

111 In IT, op. cit., p., 749.

112 In RAGE, op. cit. , p., 135.

113 In THE STAND, op. cit., p., 299.

114 In RAGE, op. cit. , p., 135.

115 In THE DEAD ZONE 1979, éd. fr. L’ACCIDENT Lattès 1983, p., 42.

116 In NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., The Night Flier, p., 142.

117 In NIGHT SHIFT, op. cit., p., 93.

118 In NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., Chattery Teeth, p., 179.

119 In THE EYES OF THE DRAGON, op. cit., p., 97.

120 Idem, pages 287 et 288.

121 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., The Sun Dog, p., 280.

122 In DOLORES CLAIBORNE, op. cit., p., 15.

123 In THE TOMMYKNOCKERS 1987, éd. fr. LES TOMMYKNOCKERS, Albin Michel 1989, p., 96.

124 In THE STAND, op. cit., p., 69.

125 In THE DARK HALF 1989, éd. fr. LA PART DES TÉNÈBRES Albin Michel 1990, p., 72.

126 Quelquefois intégralement sexuel, sans éléments d’un autre ordre: « Si tu veux baiser quelqu’un, sors ta biroute et approche-toi, fantôme de mes deux. On verra qui baisera l’autre », in PET SEMATARY , op. cit., p., 442.

127 Le spécialiste kingien type semble être dans ce domaine le Kid, dans THE STAND, op. cit., chapitre 48. Dans son Introduction, King regrette d’avoir dû renoncer en partie au développement prévu pour le Kid…

128 In NEEDFUL THINGS, op. cit., p., 322. Citons aussi le chapelet réussi d’Arnie/LeBay dans CHRISTINE 1983, éd. fr. Albin Michel 1984, p., 228.

129 In ROADWORK, op. cit., p., 240.

130 Notamment dans CARRIE et à un degré moindre THE TOMMYKNOCKERS. Rappelons que ce sang a simultanément un caractère sacré et trivial. La publicité pour l’hygiène féminine à la télé est un bon exemple des précautions de style à prendre sur ce sujet.

131 In THE STAND, op. cit., p., 390.

132 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit, The Langoliers, p., 22.

133 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., Secret Window, Secret Garden, p., 274.

134 In ANATOMIE…, op. cit., p., 156.

135 In NEEDFUL THINGS, op. cit., pages 282 et 283.

136 In THE LONG WALK, op. cit., p., 213.

137 In THE RUNNING MAN, op. cit., pages 253 et 254.

138 In ROADWORK, op. cit. p., 213.

139 Les psychologues freudiens relient le goût des enfants pour les gros mots au stade anal. Sa persistance chez les adolescents proviendrait d’un besoin d’affirmation et exprimerait symboliquement le refus agressif des dressages subis. Pour l’adulte, ils parlent d’une fixation au stade anal pour ceux qui manifestent un goût particulier pour la scatologie et la grossièreté. Comme ils ajoutent que le désir d’accumuler des biens matériels provient de la même origine, leur diagnostic pour Steve serait vite fait… Mais Steve s’est vacciné: à de nombreuses reprises, il a mis en garde ses lecteurs contre de telles interprétations: « Toute cette démonstration est bien intentionnée, mais c’est quand même de la connerie pure, et on ne me fera jamais prendre des vessies pour des lanternes (…). Les écrivains de fantastique et d’horreur doivent fréquemment encaisser ce genre de conneries… le plus souvent du fait de personnes qui considèrent, ouvertement ou en secret, que les écrivains d’horreur ne sont pas tout à fait sains d’esprit. A leurs yeux, les romans d’horreur ne sont que des tests de Rorschach qui finront par leur révéler les fixations anales, orales ou génitales de leurs auteurs (…). L’écrivain d’horreur, lui, est toujours invité à s’allonger sur un divan », in PAGES NOIRES, op. cit., p., 150.

140 En prenant le contrepied de King dans DANSE MACABRE: « En d’autres termes, dès que le terrain commencera à être un peu bourbeux, j’ai l’intention de l’éviter plutôt que de chausser des bottes d’égoutier à la manière d’un prof de lettres », in ANATOMIE…, op. cit., p., 164.

 


 

KING TRIVIAL – Deuxième partie.

Les conclusions de la première partie de cette étude mettaient en évidence que les notations triviales de King sont de deux ordres. Les unes appartiennent à l’expression spontanée des enfants, des adolescents ou de diverses catégories d’adultes en situation et ont leur justification dans un désir de dépeindre aussi exactement que possible une réalité existante. Mais les autres dépassent les exigences de la seule description: elles sont l’expression de caractéristiques personnelles et la traduction du King profond qui vit masqué. Ce sont ces deux aspects que nous allons étudier successivement, en chaussant nos « bottes d’égoutier » sans éviter le terrain « un peu bourbeux » 1.

3. LA JUSTIFICATION DU TRIVIAL.

3.1. Les mots en c…

Dès ‘SALEM’S LOT, son deuxième livre publié, King, qui savait ce que contenaient ses manuscrits non encore édités2, a bien défini son problème. Ben, jeune romancier, parle de ses livres: « Avez-vous lu le dernier?

– Pas encore. Miss Gogan, la vendeuse du drugstore, dit que c’est plutôt salé.

– Quoi? C’est presque puritain, au contraire, dit Ben. Le langage est cru, mais quand on fait parler de jeunes paysans, on ne peut pas… » 3. La phrase n’est pas terminée, mais le sens est clair: il veut calquer la réalité. Pourtant, avec un certain lectorat, le malentendu est total: « Mabel dit que ce n’était pas de la littérature, mais de la pornographie pure et simple » 4.

De même, Annie se révolte contre la dernière production de l’écrivain Paul Sheldon: « Et tous ces gros mots! Pas une ligne sans un mot en c…! Ça manque…(…). Ça manque de noblesse! s’écria-t-elle soudain (…).

– En effet, répondit-il d’un ton patient. Je comprends ce que vous voulez dire, Annie. Il est exact que Tony Bonasaro est un être sans noblesse. C’est un môme sorti du bidonville qui s’efforce de s’arracher à son milieu, vous comprenez. Et ces termes… eh bien, tout le monde les utilise dans…

– C’est faux! s’exclama-t-elle en lui jetant un regard meurtrier. Comment croyez-vous que je fais quand je vais au magasin d’aliments pour bétail, en ville? Que pensez-vous que je dise? « Dis-donc, Tony, donne-moi un sac de cette c… de bouffe pour cochon et un sac de cette c… de maïs à vache » et ainsi de suite? (…). Et après, je descends la rue et je vais à la banque dire à Mme Bollinger, « Tenez voici un f… chèque et filez-moi cinquante c… de dollars et que ça saute » ».

Annie préfère l’eau de rose idéalisée5 de la série des Misery: « Vous n’avez pas besoin d’utiliser ce genre de mots dans les livres de Misery parce qu’ils n’existaient pas à l’époque. Ils n’étaient même pas inventés. Une époque bestiale exige un vocabulaire bestial, j’imagine. C’était mieux en ce temps-là » 6. Le jugement est sans appel: « C’est plein d’ordures. De toute façon, c’est un mauvais livre » 7.

King fait volontiers son auto-critique, d’abord par personnage interposé, quand un copain reproche au romancier William Denbrough d’avoir utilisé « le terme « enculer » deux cent six fois » dans son dernier roman8. Ou plus directement avec une allusion limpide concernant la romancière de THE TOMMYKNOCKERS: « Elle écrivait de bons livres sur le Far West, des livres vrais, pas de ces trucs pleins de monstres et de gros mots comme en écrivait ce type, à Bangor » 9. De même, la bibliothécaire de Castle Rock déclare qu’elle « n’a aucune envie » de lire « les romans de Stephen King » 10.

Faire parler des paysans ou un voyou de bidonville avec leur langage, c’est se vouloir réaliste. Mais existe aussi toute une tradition culturelle qui préfère voir représenter une réalité fictive qui fait rêver.

3.2. Dr Jekyll sur le trône.

Le téléphone sonne quand un écrivain est au vécé. Il « courut à menues enjambées de fille en jupe étroite, tenant son pantalon d’une main. Il était submergé par cette sensation pénible et embarrassante de ne pas avoir eu le temps de se torcher, et il se dit que de tels incidents devaient arriver à tout le monde. Mais tout d’un coup il songea que c’était le genre de choses dont on ne parlait jamais dans les romans -jamais, dans un livre, un personnage ne s’était trouvé dans une telle situation » 11. Mais pourquoi avoir retenu précisémént ce genre de situation insolite et inédite?

Il faut rappeler la distinction que King aime reprendre entre le Dionysiaque et l’Apollinien12. Analysant LE CAS ÉTRANGE DU DR JEKYLL ET DE M. HYDE de R. L. Stevenson, King explique: « Ce conflit éternel est la pierre de touche de la religion chrétienne, mais si l’on souhaite l’interpréter en termes mythiques, la dualité Jekyll/Hyde en suggère une autre: celle mentionnée entre l’Apollinien (la créature d’intellect, de sens moral et de noblesse, « la fleur même des convenances ») et le Dionysiaque (le dieu des réjouissances et le l’assouvissement des pulsions; le côté fêtard de la nature humaine). Et si l’on souhaite aller encore plus loin, on aboutit à une scission entre le corps et l’esprit… ce qui est exactement l’impression que Jekyll souhaite donner à ses proches: c’est en apparence un pur esprit, un être détaché des contingences matérielles. Il est difficile de l’imaginer lisant un journal assis sur le trône » 13.

Cette posture fait penser à la « parodie en céramique du Penseur de Rodin assis au bord d’un siège de toilettes » 14 que le dionysiaque copain de chambre Grosse Cloche, qui vit dans « un amas tourbillonnant à la dérive », a abandonné parmi d’autres épaves après ses examens universitaires. Garrish, son voisin psychopathe, est l’inverse; dans sa moitié de chambre, c’est l’ordre militaire. Ce spectacle le déprime: « Sur son siège de toilettes, le Penseur le regardait ». Garrish « balança l’objet à terre où il se brisa en morceaux ».

Symboliquement, l’attitude est la même que celle d’Annie quand elle brûle le manuscrit « plein d’ordures » de Paul Sheldon15. Elle détruit cette œuvre comme Garrish pulvérise la céramique d’un goût douteux, mais parfait témoignage de la dualité de l’être humain, mi-ange, mi-bête, pensant et chiant. Elle est, comme lui, incapable d’accepter la réalité telle qu’elle est et elle doit en évacuer mentalement la part bestiale16. Ils ne peuvent vivre qu’en fuyant la réalité ou en idéalisant les humains qui les entourent17.

Idéaliser, c’est se conformer à des idées plus qu’à des réalités, concrétisées ou vérifiées pourtant par les expériences vécues mais refusées comme telles. Pour les freudiens, c’est échanger un comportement d’ordre sexuel condamné contre un autre, dont l’apparence n’est plus sexuelle, tout en lui étant psychiquement apparentée. Exaltée mentalement et transposée sur un plan idéal, la nature primitive de la pulsion n’a cependant pas changé. On peut ainsi analyser les attitudes de Garrish et d’Annie, toutes deux formées réactionnellement.

Pour Garrish, le refus de la pulsion sexuelle et un blocage au stade anal se manifestent par une attitude de propreté maniaque qui lui fait rejeter des humains jugés laids -comme la réalité de l’excrétion anale- et il préfèrera les détruire plutôt que de subir une dégradation identique18. De même Annie masque provisoirement des tendances sadiques19 manifestes par des tentatives d’idéalisation d’une vie qui pourrait être vécue « autrement », sous des déguisement symboliques qui en masqueraient la vraie nature. D’où sa recherche d’une littérature sublimée, celle où se trouve la « vraie » vie, et elle détruit peu à peu l’écrivain qui peine à lui donner de quoi satisfaire son besoin.

Les formes de création sublimées sont ainsi l’objet d’une valorisation particulière pour ses amateurs, dues au fait qu’elles sont devenues individuellement ou socialement acceptables. Comme au théâtre antique, les acteurs évoluent sous un masque.

C’est cette hypocrisie dans la présentation émasculée des réalités qui a très tôt choqué King.

3.3. Pas de gros lard.

On sait qu’une bonne partie de la sensibilité esthétique de King a pour origine la fréquentation assidue des salles de cinéma20 et plus tard de la télévision. Il a constaté combien les films d’horreur, pourtant sortis à l’époque où le rock’n’roll bouleversait les mœurs américaines, étaient restés conventionnels: « On ne trouvait aucun gros lard; aucun gamin affligé de tics; aucune victime de l’acné; aucun gamin ayant l’habitude de se curer le nez puis d’essuyer son doigt sur le pare-brise de sa voiture (…); aucun gamin affligé d’une difformité visible 21 (même pas un handicap aussi banal qu’une mauvaise vue nécessitant le port de lunettes -tous les héros des films d’AIP 22, films d’horreur ou films de distraction, avaient 10/10 à chaque œil) » 23.

Il n’y a pas que les personnages principaux à être ainsi aseptisés: « Le lieu de l’action était toujours une petite ville américaine typique, le contexte le plus aisément identifié par le public… mais toutes ces versions de Notre Ville semblaient avoir reçu la visite de commandos d’eugénistes la veille du tournage, et on avait éliminé tous les citoyens souffrant d’un cheveu sur la langue, d’une tache de vin, d’une patte folle ou d’un ventre proéminent ». D’où un pseudo-réalisme, une transposition si académique qu’elle devient totale dégradation de la réalité.

Or, dit King, simultanément quelle idée les Américains se faisaient-ils de la réalité? « Tous les parents tremblaient devant le spectre de la délinquance juvénile: l’adolescent un peu vulgaire du mythe, adossé à la porte de l’épicerie de Notre Ville, les cheveux luisants de Vitalis ou de Brylcreem, un paquet de Lucky Strike glissé sous l’épaulette de son blouson noir, un comédon tout frais à la commissure des lèvres et un cran d’arrêt tout neuf dans la poche revolver de son blue-jean, dans l’attente d’un gosse à tabasser, d’un parent à harceler, d’une jeune fille à agresser, ou peut-être d’un chien à violer et à tuer… ou vice-versa » 24.

Deux univers de convention opposés, aussi faux l’un que l’autre. La réalité est différente: il n’y a pas que des gens jeunes, sains et beaux: le sale, l’ordure, le sordide, la décomposition, la mort sont aussi la réalité. King suggère même qu’il convient de donner aux enfants des écoles une conception plus vraie de la réalité: « Demandez-vous pourquoi on n’emmène pas les enfants des écoles visiter la morgue de leur quartier, alors qu’ils visitent le commissariat, la caserne des pompiers et le McDonald’s le plus proche -il m’arrive même d’imaginer (du moins quand je suis d’humeur morbide) que l’on pourrait fusionner la morgue et le McDonald’s; le point culminant de la visite serait alors l’exhibition du McCadavre » 25.

3.4. La censure.

La tradition réaliste est ancienne et s’est toujours accompagnée des mêmes difficultés. Comme Rabelais suivant son évêque dans ses déplacements à travers le Poitou, se mêlant aux artisans et aux paysans de l’époque, King, revenu à 11 ans à Durham dans le Maine où se trouve sa famille d’origine, s’imprègnera de quantité de notations sur la vie réelle de ses habitants, des enfants comme des adultes, en particulier ceux qu’il a connus dans les petits boulots qu’il a faits pendant plusieurs années. Comme Rabelais, il insérera mille détails de toutes sortes sur les habitudes et les mœurs de cet espace encore rural. Comme Rabelais encore, ses histoires fourmilleront de souvenirs personnels et d’allusions à de menus faits et sites de l’histoire locale. Comme Rabelais toujours, il se gargarisera des mots dont il connaît toutes les variantes et les excès possibles. Et comme Rabelais enfin, il encourra les foudres de la censure26…

Le précédent littéraire le plus proche de son cas est Zola, qui s’est vu surtout critiqué par la forme: « La forme seule a effaré. On s’est fâché contre les mots. Mon crime est d’avoir eu la curiosité littéraire de ramasser et de couler dans un moule très travaillé la langue du peuple. Ah! la forme, là est le grand crime! Des dictionnaires de cette langue existent pourtant, des lettrés l’étudient et jouissent de sa verdeur, de l’imprévu et de la force de ses images. Elle est un régal pour les grammairiens fureteurs » 27.

Leur façon de considérer la portée morale de leurs œuvres est aussi identique. Quand Ben, le jeune écrivain (voir § 3.1.) dit de son roman qu’il est « presque puritain », il exprime la même idée que Zola devant les réactions indignées d’un certain public: « L’Assommoir est le plus chaste de mes livres ». En dépeignant une famille ouvrière tombant par l’ivrognerie dans la déchéance et la mort, il n’a fait que de la « morale en action »: ses « personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu’ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent ». On aura l’occasion plus loin de montrer comment, dans The Body, cette prise de conscience a pu se faire très tôt et les conséquences probables pour la mentalité adulte de King.

A plusieurs reprises, King est intervenu publiquement pour expliquer et justifier son œuvre. Car, à divers endroits, dans les écoles américaines, ses livres sont mis au placard ou interdits28, les arguments les plus souvent avancés par les opposants étant les grossièretés29 ou l’obscénité30. King intervient en défendant ses livres dans des conférences, dans des termes plus modernes, mais dans un esprit identique à celui de Zola: « Un gamin devait réaliser une dissertation sur l’industrie métallurgique. Comme livre de référence, il avait choisi WORKING, par Studs Terkel.

La méthode de travail de Terkel est assez simple. Il entre dans un bar fréquenté par les métallurgistes et pose son enregistreur à cassettes sur le zinc. Il ne pose jamais une seule question. Evidemment (…) les métallurgistes n’utilisent pas des expressions dans le genre « Oh, flûte ». Ces gars utilisent un vocabulaire qui ressemble très fort à celui utilisé par les visiteurs du salon de coiffure, le samedi où la dame s’est absentée31.

La mère du gamin est tombée sur le livre, l’a lu et a été horrifiée par ce langage (…). La mère a exigé que le livre soit retiré de la bibliothèque des écoles 32 de Pittsburgh, parce qu’il risquait de semer le trouble dans l’esprit des adolescents. Ils auraient pu le lire et leurs yeux se seraient mis à couler hors de leurs orbites, ou alors, ils auraient eu des envies de meurtre, de viol, de zoophilie, que sais-je encore ».

Et King conclut ainsi cette partie de sa conférence: « En tant qu’étudiants, vous êtes là pour apprendre. Alors apprenez ceci: lorsqu’un livre est retiré de la bibliothèque de l’école, n’hésitez pas une seconde, courez et entrez dans la bibliothèque publique ou chez le libraire le plus proche et lisez ce que vos aînés tentent de vous interdire, parce qu’à coup sûr, ce sont des choses importantes à côté desquelles il ne faut pas passer. Ne les laissez pas vous rouler, ni dicter votre comportement. Parce qu’une fois que le mouvement s’amorce, on ne peut plus l’arrêter. Certains des leaders les plus connus de ce siècle étaient des spécialistes de la censure littéraire, Hitler, Staline, Idi Amin Dada… » 33.

3.5. Le naturalisme.

S’il y a un pays où il faut chercher une permanence du naturalisme français de la fin du XIXè siècle, c’est bien aux Etats-Unis. King a pratiqué Theodor Dreiser34, Frank Norris35, Sherwood Anderson36, comme les romanciers d’entre les deux guerres de la « lost generation »: Steinbeck, Faulkner, Caldwell, Hemingway, qui ss sont inspiré plus directement de Maupassant et de sa conception du récit objectif37. Certains sont des écrivains qui ont profondément marqué King durant ses années à l’Université38 et qu’il cite volontiers dans ses préfaces ou ses articles.

Il faut enfin citer, dans le domaine de l’horreur, Robert Bloch, un des six dédicataires de DANSE MACABRE: « Les romans de Bloch ont exercé sur la littérature américaine des années 50 une influence similaire à ceux de Caïn dans les années 30 (…). Tous deux examinent le mode de vie américain d’un œil naturaliste; tous deux exploitent à merveille le type de l’anti-héros; et tous deux traitent du conflit entre Apollon et Dionysos » 39.

La matière d’un style, c’est un homme devant le monde, qui tire une jouissance de la vision de ce monde et qui est, en tant que créateur, en lutte avec ce monde dont il doit tirer la substance de son œuvre. On comprend dès lors qu’une bonne partie de l’origine du trivial de King provient de ce noyau de la population du Maine « pas vraiment arrivé classé dans la grande course au rêve américain » 40, des natures frustes dont il saisit le comportement extérieur et le langage, qu’il sténographie41 en voulant lui restituer l’intensité de la vie42 : « L’éducation et l’instruction sont chères, trop chères pour eux, ils sont des manuels et ils le resteront, ou alors petits fermiers, teneurs d’échoppes sans avenir. Certains, résignés, se font gloire d’un gros bide, de la bière qu’on écluse avant d’en écraser la boîte dans la main, de jurer, de suer, parler gras, et roter, se vanter d’exploits sexuels, et mépriser tout ce qui ne se complaît pas dans cet idéal. Et de cracher sur les livres, sauf peut-être la Bible (…). Cette humanité, peuple de fronts bas, avides de brimer et de brutaliser les plus faibles, ou seulement ces « pédés » coupables de préférer la lecture au rugby… ou simplement de se laver les mains » 43.

Le meilleur exemple en est sans doute l’étrange virée en voiture déglinguée de deux ouvriers travaillant dans une blanchisserie industrielle comme celle que King a connue comme manœuvre en 70, quand il faisait des petits boulots alimentaires. Rocky et Léo, « tous deux saouls comme des barriques », « la boîte de bière entre les jambes » 44, enfilent une quantité incroyable de gros mots et de propos orduriers. Dans une description d’entomologiste, tout y est: la déchéance sociale, l’abrutissement du comportement, l’anéantissement de l’esprit et un langage qui ne traduit que des préoccupations quasi animales45.

De même, dans cette tragédie à une voix qu’est le long monologue de Dolorès, femme intelligente, mais pauvre et inculte, « vieille garce à la langue bien pendue », comme elle se définit elle-même46, la narration s’exprime dans la langue du peuple, utilisée par une personnalité forte, décidée à survivre, qui n’a pas été écrasée par les malheurs et sait se défendre. Le langage de Dolorès n’est pas châtié: il suffit de comparer sa voix narrative au récit de sa mésaventure faite par Jessie à son ami Ruth47 pour se rendre compte de la différence entre les deux propos, l’un retenu, bridé, plein de réticences, langage académique propre à nuancer comme à masquer, l’autre vert, juteux, porteur de toute la sève et la vérité de ceux du peuple qui peinent, qui souffrent et n’ont connu que le pire de l’existence. Il faut bien admettre que le langage châtié est souvent un langage châtré.

Une autre partie des notations amassées viendra de l’école et du lycée: elle sera examinée plus loin.

Ainsi, King se pose en une sorte de transcripteur des mœurs de son époque: ces descriptions, qu’on lui reproche comme étant trop triviales, ne feraient que refléter une réalité elle-même triviale. Il serait un peintre fidèle seulement désireux de traduire au mieux la densité de ses personnages. L’explication paraît plutôt courte: car s’il use d’un trivial miroir des réalités sociales, il semble prendre du plaisir dans l’utilisation de ce trivial, beaucoup de plaisir…, comme remarque en était faite à la fin du § 2: après les justifications, tentons une explication et essayons de lever le masque.

4. L’EXPLICATION DU TRIVIAL.

4.1. Les grands principes littéraires…

Jacques Van Herp48 formule l’hypothèse suivante: à ses débuts, King pratiquait, comme dans ‘SALEM’S LOT ou les nouvelles de SKELETON CREW, « une écriture lisse, invisible, qui n’accroche pas le regard au détriment du récit ». Puis il aurait, désireux de ne pas être « un tâcheron » de la littérature populaire, « prêté l’oreille aux propos d’universitaires intellos »: « Est-il possible, de nos jours, d’écrire un roman de la sorte? (…). Rien de rare, d’inouï de recherché…cela ne rebute pas le lecteur, ne lui demande aucun effort. C’est ignorer la construction éclatée, l’héritage dadaïste, l’obscénité somptueuse de Joyce! Ulysse! Voilà le modèle à imiter »…

Le résultat en serait, suivant « les grands principes littéraires » proposés: « la spontanéité », le « jaillissement instinctif », la « libération du subconscient et de l’œuvre brute, non retouchée, non travaillée…avec l’inflation des textes, de plus en plus gros, de plus en plus gras. De plus en plus de jeunes garçons au vocabulaire systématiquement (et parfois laborieusement) obscène, un jaillissement terne (et artificiel) de gros mots et de jurons ».

Ainsi le trivial serait chez King un procédé par lequel il rechercherait moins l’approbation de son public que celle des raffinés se prétendant la « postérité vivante ».

Certes, on ne peut nier que King ait souffert de ne pas être reconnu par les esthètes de la littérature ou plus simplement par ses anciens professeurs49. Il sait qu’un grand nombre d’universitaires américains ne l’aiment pas50. Mais je doute fort que King se soit servi du trivial dans le but de les séduire. On peut remarquer que les premiers romans qu’il a écrits, publiés plus tard sous le pseudonyme de Bachman, sont bien plus triviaux que les premières œuvres publiées sous le nom de King. Je serais même tenté de croire l’inverse, qu’il pensait, en faisant la démonstration qu’il savait aussi écrire des œuvres épurées, arriver à toucher la sensibilité des défenseurs de la « grande » littérature51.

Et même, à diverses reprises, King ironise sur la trivialité affectée, le « trivial chic ». Par exemple ce conseiller en éducation: « Il était diplômé en psychologie pédagogique et pensait en son for intérieur être le meilleur orienteur scolaire qu’il ait jamais rencontré. Avec les gosses, il avait un rapport vrai. Il pouvait aller au fond des choses, bavasser avec eux ou garder un silence sympathique quand il fallait qu’ils gueulent un coup pour faire sortir la merde. Il pouvait se mettre dans leurs godasses parce qu’il comprenait combien c’était chiant d’avoir treize ans quand quelqu’un vous fait un numéro dans la tête et qu’on ne peut pas rassembler ses abattis » 52.

Rappelons-nous ce père qui met son fils dans une école aseptisée (§ 1.4.) et qui en parle à ses collègues avec les mots (« La Meilleure Putain d’Ecole du Pays pour un Gamin de son Age » 53 ) qu’il ne voudrait pas que son fils utilise… Les majuscules de King ne sont pas ici anodines.

Les explications sont donc à chercher ailleurs que dans l’utilisation laborieuse d’un trivial d’esthète.

4.2. Des années de violence…

On a déjà dit que King a eu une enfance pauvre et difficile54. Les difficultés financières de sa mère, à une époque où l’existence était pénible pour beaucoup, l’ont moins touché que ses problèmes personnels: il est gros, maladroit, empoté, objet de dérision. Sa vue est mauvaise.et il y a dans la plupart de ses romans un type qui porte sur le nez ses « cul-de-bouteille » Il est systématiquement rejeté lors du choix des partenaires dans les équipes de base-ball où il est pris le dernier et ridiculisé. Bref, sa vie psychologique d’enfant n’est pas drôle, suite de brimades, d’insultes et de remarques désobligeantes. L’enfance n’a qu’une apparence d’angélisme: les pédagogues modernes aux idées avancées n’en ont souvent retenu que ses aspects rousseauistes. Mais c’est surtout un mode cruel, calculateur, accapareur55, dur aux faibles, se méfiant des adultes, cherchant sans cesse à s’en démarquer56, qui apprend à juger et condamne ensuite sans concessions.

Autour de lui, le monde est aussi violent: « Mais si je leur [les adultes] disais quelque chose, ça serait qu’ils ont oublié ce que c’est que d’être gosse, de vivre joue contre joue avec la violence, avec les séances de boxe au gymnase, les bagarres du PAL, le dancing de Lewiston, la violence à la télévision, les meurtres au cinéma » 57. Cette dureté des enfants ruraux, que l’on trouve aussi dans LA GUERRE DES BOUTONS 58, où l’on n’apprend pas précisément l’aisance sociale, les bonnes manières et le langage des milieux « chics »,va marquer durablement le jeune King.

4.4. … mais aussi les vertes années.

Ce qui n’empêche pas, à l’âge adulte, de se souvenir aussi des autres aspects de l’enfance, des impressions d’émerveillement, d’évasion, de complicité, la communauté de copains. Il faut consacrer quelque temps à une novella fondamentale dans l’œuvre kingienne, The Body, en grande partie autobiographique, encore que les éléments aient été puisés à des souvenirs ou circonstances diverses.

La trivialité est partout présente: dès les premières pages, on relève: « bouquins de fesse » (page 306); « rien d’autre à branler », « personne n’avait ramassé trois pets dans son potager », « le jeu le plus chiant qui existe », « vous pisse à la raie » (page 307); « ces putains de gradés », « c’était le plus con », « tas de merde aux yeux tordus » (page 309); « va te branler, mec », « va chier dans le lac » (page 310). Soit 10 expressions interdites en classe59 en cinq pages: la novella fait 144 pages dans le même style60… Mais quelle extraordinaire démonstration de vérité!

La vitalité est éclatante: celle de gosses pleins de santé malgré les brimades familiales pour certains ou les handicaps physiques pour d’autres, qui apprennent les réalités de la vie dans un grand jeu qui a ses règles et son rituel comme une messe, avec ses répons imposés: « Pfou! Chris! laisse-moi respirer!

– Attends que je pète, a-t-il dit automatiquement » (page 340).

Comme au théâtre, toute bonne réplique est immédiatement applaudie61, avec les manifestations physiques concomittantes. Et souvent les gros mots servent à cacher l’émotion, dissimuler la compassion, masquer les sentiments, parce qu’il faut se comporter « comme des hommes » (page 447). Ce petit monde de chaleur, de complicité en dépit de ses duretés, est finalement merveilleux: « Je leur ai fait un bras d’honneur au passage. Jésus, je n’ai jamais eu des amis comme à douze ans, et vous? » (page 353).

Mais encore faut-il passer ce qui n’est qu’une étape momentanée, somme toute artificielle même si, devenu adulte, on la regrette interminablement. Le jeune narrateur de douze ans a des qualités d’écriture dont il fait bénéficier occasionnellement ses copains en leur racontant des histoires. Chris, qui est proche de lui, mûri prématurément par la vie, a compris ce que la narrateur, dans la joie partagée de cette communauté de l’enfance, ne voit pas clairement encore: « C’est trouduc quand tes copains te tirent vers le bas, a-t-il fini par dire » (page 393).

4.5. Trouduc ou pas.

Chris l’incite à progresser intellectuellement en suivant l’enseignement adéquat au collège: «  »Moi,Teddy et Vern ,on sera dans les classes de commerce, on fera des cendriers et des cages d’oiseaux (…). Tu vas rencontrer plein de nouveaux. Des mecs intelligents. C’est comme ça que ça se passe, Gordie. C’est comme ça que c’est fabriqué.

– Rencontrer plein de pédés 62, c’est ça que tu veux dire ».

Il m’a serré le bras. « Non, mec. Ne dis pas ça… Ils pigeront tes histoires. Pas comme Vern et Teddy 63.

– Au cul les histoires. Je ne veux pas aller avec une bande de pédés. Non, Monsieur.

– Si tu ne le fais pas, t’es un trouduc.

– Trouduc parce que je veux rester avec mes copains? », (page 393).

Jean-Paul Sartre a joliment appelé « bâtard » l’intellectuel ou celui qui sort de sa condition de classe et ne sait pas -comme beaucoup d’arrivistes arrivent à le faire- rompre définitivement les amarres avec son milieu primitif et à renier ses origines dans une apparente bonne foi réprobative, quand il ne les dissimule pas. Il reste définitivement marqué par sa condition originelle et ne saura jamais où est sa véritable place. Il ne peut plus être reconnu par les siens -il est devenu un « pédé »-, mais ne dispose pas non plus des moyens qui lui permettraient de se faire reconnaître et admettre par les autres, en feignant ce qu’il n’est pas, ce que Sartre encore appelle être un « salaud ».

« Ces histoires que tu racontes, elles ne valent rien pour personne sauf toi, Gordie. Si tu vas avec nous seulement parce que tu ne veux pas que la bande se sépare, tu vas te retrouver dans la troupe de ceux qui font C pour monter des équipes. Tu vas entrer au lycée, suivre les mêmes putains de cours commerciaux, lancer des gommes et traîner ta flemme avec le reste de la piétaille. T’auras des colles, des suspensions. Et au bout d’un temps, tout ce que tu voudras, c’est d’avoir une bagnole pour emmener une fendue au pince-fesses ou à cette putain de Taverne-des-Deux-Ponts. Ensuite tu la foutras en cloque et tu passeras le restant de ta vie à la filature, dans un putain de magasin de chaussures à Auburn ou peut-être même à Hillcrest en train de plumer des

poulets. Et cette histoire de tartes 64 ne sera jamais écrite. Rien ne sera jamais écrit. Parce que tu seras qu’un petit malin de plus avec la tête pleine de merde » (page 394).

Il suffit de considérer les grands frères des copains pour s’apercevoir que King l’a échappé belle: devenus des brutes épaisses réduites à des conduites et des propos élémentaires, des horizons bornés: prendre du bon temps, boire, baiser, roter ou brimer les plus faibles… Comme il est loin le temps de la verte enfance et de ses multiples possibles65… L’ambiguïté de la position de King est patente: sympathie du souvenir avec ce qu’il a vécu, qui l’a formé puisqu’une partie de lui-même est ainsi de manière indélébile; mais en même temps le refus d’être de ces adultes perdants, fruits pourris de l’enfance, que son évolution lui a permis d’éviter.

Triste situation du bâtard: comment savoir, quand il la dépeint avec les mots et le vocabulaire trivial appropriés, si King ne marque pas aussi ses distances à l’égard d’une portion d’humanité qu’il ne nous montrera jamais assez vile et laide parce qu’il pense qu’elle est effectivement dégradée et ne mérite que l’opprobre? Cette attitude serait-elle en correspondance avec la mentalité des « honnêtes » gens de la Nouvelle-Angleterre, dominée par l’idée calviniste que la réussite est une preuve de la grâce et de l’approbation divine? Et réciproquement, la déchéance et la misère morale sont la marque du péché66. Ou alors faut-il y trouver le témoignage de la sympathie profonde de quelqu’un qui comprend parce qu’il a été des leurs, et qu’il a subi comme eux la situation des pauvres ou des défavorisés? Comme dans IT, le garçon de onze ans, futur romancier spécialisé dans l’horreur et double de King, qui erre dans des friches pourries et pense à la plupart de ses copains d’école qui sont partis en vacances à Disneyland ou à des « distances inimaginables », ou à ceux qui sont « en colo, en camp d’été chez les scouts, en camp pour riches où l’on apprenait à jouer au golf ou au tennis, et à dire « Bien joué! » et non « Espèce d’enfoiré! » quand votre adversaire vous matraquait d’un service gagnant » 67. On ne peut complétement renier ses racines, ce qui ne veut pas dire faire preuve d’indulgence. Sympathie lucide de classe qui pourrait expliquer en partie un King contestataire68 dans certaines de ses œuvres? Sans nul doute: mais aussi -et surtout?-, plus fondamentalement, le trivial a chez lui une fonction thérapeutique.

4.5. Le pantalon tombe.

Cette fonction thérapeutique nous entraîne dans une toute autre direction. King est obsédé par le ridicule. Enfant, il a eu peur de se voir enlever son pantalon par ses condisciples69. Il continue à avoir peur de le perdre et cette obsession apparaît dans nombre de ses premiers romans. C’est un obsédé de la braguette et il en parle constamment: « Partant du principe que nous sommes tous des paranoïaques en puissance -il nous est tous arrivé de jeter un coup d’œil à notre braguette lors d’une réception pour nous assurer que ce n’était pas nous qui venions de dclencher l’hilarité générale »70. Dans THE LONG WALK, par exemple, il y a plusieurs références à ce sujet: une « braguette ouverte, la fermeture à glissière cassée » ; un marcheur,Garraty, note « avec amusement que sa braguette était à moitié ouverte » 71; et pendant le parcours plusieurs pantalons se baissent ou se relèvent incidemment selon les nécessités des marcheurs. De même dans THE RUNNING MAN, il cite un « gamin, à l’école primaire, dont le pantalon était tombé au moment de prêter serment » 72. Un chapitre est consacré au gros avocat qui maigrit et perd son pantalon au cours d’une plaidoirie pendant une séance du tribunal73. King en a des cauchemars: « I Was a Teenage Werewolf [un film] représente, d’un point de vue psychologique, l’expression ultime de ce célèbre rêve où votre pantalon vous tombe sur les chevilles alors que vous vous trouvez dans un lieu public » 74.

Les filles n’y échappent pas: « Je pensais à sa manie de toujours perdre ses boutons (…). A la boum de l’école, elle avait perdu le bouton de son Wrangler, c’est tout juste si son pantalon n’a pas dégringolé par terre. Avant qu’elle ait eu le temps de s’apercevoir de ce qui se passait, la fermeture Eclair s’est à moitié défaite, et on voyait un V de petite culotte blanche, bougrement excitante » 75.

Même dans ses conférences, King ne peut s’empêcher de parler de sa braguette: « Comment vous sentez-vous, maintenant que vous êtes célèbre? Pas vraiment différent du commun des mortels. C’est une situation étrange. Une des choses bizarres, c’est que vous pensez toujours à remonter votre braguette après être allé aux toilettes, autrement les gens vous hurlent: « Hé, regardez, c’est Stephen King… Et sa braguette est ouverte! » ».

Ainsi lancé, il ne dédaigne pas raconter des anecdotes sur les toilettes76. Bel exemple d’obsession infantile sublimée en truc médiatique77. Il est bien connu des psychologues que le meilleur moyen de dominer ses peurs, c’est d’en parler…

Il faudrait également rechercher ce qui ne relève pas d’une phobie, mais d’une influence extérieure marquante correspondant à un intérêt particulier. Ainsi, à quinze ans, King publie une parodie du journal du lycée, intitulé significativement Village Vomit, qui faillit lui attirer des ennuis78. Comment ne pas s’en souvenir quand il cite à diverses reprises le vomissement de la célèbre scène de L’EXORCISTE 79? « La plupart d’entre nous avaient déjà vu une gamine vomir sa soupe de pois sur un prêtre à l’écran du drive-in local » 80. King, avec ses problèmes de nourriture et de boisson, a dû suffisamment l’apprécier81, pour la traduire en connaisseur par les vomissements plus rabelaisiens et moins métaphysiques de Gros Lard82 ou ceux des participants à une réunion religieuse troublée83. Voilà qui confirme bien le plaisir personnel que King peut prendre dans le trivial et qu’il assume, comme lorsqu’il cite cette remarque « de Nils Lofgren: « Mon sale moi-même, voilà ce qu’il faut que je sois… sans chercher d’entourloupe » » 84.

4.6. Un dionysiaque buveur de bière…

Un lycéen parle de son livre d’hygiène, « ce merveilleux livre pour les terminales, un manuel moderne avec une couverture rouge sur laquelle on voyait un lycéen et une lycéenne; par décision unanime du lycée, le chapitre sur les maladies vénériennes avait été soigneusement découpé » 85.

King se moque de cette société castatrice qui camoufle les nécessités de la vie et refuse cette réalité que les hommes sont aussi des mammifères.

Pour King, le comportement vital pris dans sa globalité est signe de santé. Jugement sur un patron: « J’étais l’employé de Ray Tarkington.. Ray était une personne, une vraie (…). Tout en nous parlant,il lui arrivait de péter, de roter ou de se gratter les oreilles » 86.

Bill, le père de Susan, juge l’écrivain Ben que sa fille vient de lui présenter: « Ben but une gorgée et rota; encore un point en sa faveur ». Et plus tard: -« Vous êtes un garçon sérieux, à ce qu’il me semble, je ne me trompe pas? Ben sourit un peu tristement. -Oh! non, dit-il.

Bill fit un petit signe de tête satisfait » 87.

Car s’il y a la part d’animal en nous, sans doute la plus importante, pourquoi l’opposer à l’humain? Etre pleinement adulte, ne serait-ce pas l’acceptation authentique de notre part d’animalité ?

« C’était bon de partager son lit avec une autre personne, une personne bien réelle qui produisait des sons réels », pense le shériff Bill88. A quoi King oppose ironiquement l’illusion éthérée de ce fiancé planant qui croyait que « Sally lâchait des pets parfumés à la rose et chiait des pétunias » 89. La réalité authentique, ce sont ces hommes vrais, »lui et ses copains en bonne santé, bourrés de sang, de pisse et de sperme » 90. Position assez proche de celle d’Antonin Arthaud quand il affirme que « partout où ça sent la merde, ça sent l’être ».

Une bonne partie de sa vie, King a vécu dans l’excès, mangeant beaucoup, buvant trop, fumant sans pouvoir s’arrêter. Sa convivialité s’appuie sur le pack de bouteilles de bière -jamais moins de six… A la fac, déjà, son compagnon de chambrée se souvient de lui, lisant énormément, « une ribambelle de bouteilles de bière ouvertes autour de son lit » 91, à l’imitation de Grosse Cloche. Ainsi son amour de la vie se traduirait par le désir dionysiaque de peindre intensément les divers aspects les plus jouissifs de l’existence. « Ces sous-diacres autopromus de l’Eglise de la Littérature américaine réformée semblent considérer la générosité avec suspicion, la matière charnue avec dégoût » 92. La matière charnue: est-ce aussi simple?

4.7. Parti se faire une tasse de café…

King contrôle avec difficulté son écriture: pas seulement en longueur -sa « diarrhée verbale » 93, mais sa création même. Dans THE DARK HALF, un écrivain, double du couple King/Bachman, écrit des romans littéraires sous le nom de Beaumont et des policiers sous le peudonyme de Stark. Une de ses lectrices a eu vent de la dualité de son auteur populaire préféré et lit exceptionnellement un de ses romans littéraires: « Elle aurait trouvé difficile, sinon impossible, que les deux auteurs fussent un seul et même homme. Sauf… sauf que vers les trois quarts du livre, alors qu’elle était sur le point de le jeter au fond de la pièce tant il la barbait, il y avait une scène dans laquelle un fermier tuait un cheval. La bête avait deux pattes cassées et il n’y avait certes rien d’autre à faire, mais l’histoire présentait ceci de particulier que ce vieux paysan de John y avait pris plaisir. En fait, il avait posé le canon de son revolver sur la tête du cheval et s’était branlé -tirant au moment de l’éjaculation 94.

On aurait dit que Beaumont, à cet instant précis, avait été se faire une tasse de café…et que Stark était venu s’installer à sa place pour écrire la scène » 95. Le professeur-romancier Beaumont est ainsi double, habité par son héros assassin libre d’attaches. Comme le dit sa femme, « une partie de lui-même aime Stark (…), aime la noirceur de Stark » 96.

King a toujours éprouvé de la perplexité devant l’acte de création où se succèdent ou se superposent deux genres d’écriture. Et le lecteur avisé pourrait se demander si la véritable dualité n’est finalement pas King/Bachman, mais bien plutôt Apollon/Dionysos, avec une sorte de compromis entre les deux forces.

Ceci pour le créateur devant sa feuille blanche. Mais quand King affiche des manières décontractées, boit de la bière pendant ses conférences97, raconte des histoires de vécés, fait de la provocation, est-ce seulement pour dominer ses obsessions? N’y a-il pas aussi une attitude jubilatoire de mauvaise foi qui se transforme en obligation de se jouer soi-même, d’étaler en vue d’une sorte d’auto-amnistie publique ce qui n’est originellement que le fond même de sa constitution? Celle d’un grand gamin98 coprolalique, beaucoup plus excité par le désordre joyeux causé par des individus fouteurs de bordel que par des gens corrects99, mais constipés? par le fouteur de merde s’opposant à l’autorité ou aux personnes qui en sont investie? et qui pense que c’est d’autant plus drôle que c’est bien dégueu? Il y a chez King un réflexe de défense touchant, mais infantile, pour défendre la fantaisie juvénile et l’irrationnel, une sorte de permanence de l’enfance qui s’exprime par un désir de transgression des conventions des « grands », une résistance vis-à-vis du sérieux artificiel de l’adulte100. Même par procuration, même s’il ne pratique pas lui-même ces transgressions autant qu’il le voudrait…

Parce qu’il en a peur. Surtout quand il en a peur. Car Apollon, le raisonnable, veille.

4.8. Un dionysiaque prudent.

La part d’Apollon qui lui est propre l’a incité à se séparer sans trop de peine de ses copains devenus des brutes. Pas trouduc. Elle va aussi lui réprésenter les inconvénients variés des abus dionysiaques. Auparavant, Apollon, ça a été longtemps sa mère et plus tard, après onze ans, son entourage méthodiste de Durham, notamment une tante institutrice plutôt collet monté101. On peut penser que Tabitha a pris le relais102.

Contenir l’animal et si possible le maîtriser: « Il avait fini par découvrir peu à peu le grand principe qui fait tourner l’univers, au moins en ce qui concerne carrière et succès: débusquer le cinglé qui bat les buissons en soi et fout votre vie en l’air. L’acculer dans un coin, s’en emparer, mais surtout ne pas le tuer. Le harnacher, le sangler, et lui faire tirer la charrue. Le cinglé travaille comme un forcené quand il est dans la bonne voie » 103. Steve essaie d’être dans la bonne voie.

Les excès qu’il faisait jadis sans s’effrayer, maintenant il en craint les conséquences: il a trop bu, trop fumé, trop mangé104. Les peurs des Américains en cette fin de siècle sont grandes et King y est sensible: « C’est le seul pays au monde où on est devenu complètement obsédé par le problème de la cigarette… Le seul, probablement, où les citoyens s’imaginent -et ils le croient très profondément- que s’ils mangent exactement les bonnes combinaisons de vitamines (…) et se torchent le cul avec le bon papier-toilette, ils vivront éternellement en restant toujours sexuellement actifs » 105.

Il a aussi été profondément meurtri et marqué par la mort d’un cancer de sa mère à soixante ans, et cette obsession le poursuit: « Si vous mangez trop de beefsteak: cancer de l’intestin. Si vous buvez trop d’alcool: cancer de la gorge, alcoolisme, cancer de l’estomac (…). Nous sommes effrayés de fumer des cigarettes parce qu’elles donnent le cancer du poumon: nous sommes aussi effrayés de nous approcher des gens qui fument car nous pouvons attraper le cancer du poumon par leurs cigarettes ». L’état d’esprit actuel de King ne doit pas être très éloigné de celui de l’écrivain de DESPERATION: « Il était terrifié par la mort, c’était ça la vérité, et une vie passée à affûter son imagination lui permettait de la voir arriver de quatre douzaines de directions différentes à la fois », (page 69). Effectivement le recensement de ses peurs est accablant106.

King, tenté par par le vivant, mais bordélique Dionysos qui lève ses inhibitions, voit ainsi continuellement Apollon utiliser son inquiétude et sa prudence pour le censurer, le contrôler et lui interdire107. Cela nous donne une explication valable du grand nombre de personnages kingiens dialoguant avec eux-mêmes108, le raisonnable s’opposant au déraisonnable109, l’hémisphère gauche du cerveau au droit110 dans un conflit fondamental rationalité/irrationnel, pulsions et sentiments.

Quand l’inhibition l’emporte, il peut écrire des œuvres réalistes et vivantes, mais épurées. La bienséance n’est pas toujours la médiocrité. Les nouvelles de King sont généralement exemptes de trivialité (sauf l’exception notable de Milkman #2 ): il y a des joyaux, totalement retenus et contrôlés, qui montrent que King peut éviter le trivial, au prix sans doute d’un contrôle systématique111.

Mais quand Dionysos règne, c’est le trivial qui l’emporte. Il peut même, dans certains cas, aller jusqu’à la description apocalyptique d’agressions sanglantes, d’organes corporels divers dégoulinants de toutes sortes de sanies, de destructions flamboyantes dont le King dionysiaque jubilatoire raffole. Car « sous le masque de l’écrivain d’horreur moraliste (qui, tel Henry Jekyll, est « la fleur même des convenances ») se dissimule une créature d’une tout autre nature (…). C’est un nihiliste convaincu qui, pour prolonger cette métaphore Jekyll-Hyde, ne se contente pas de piétiner les os fragiles d’une fillette mais estime nécessaire de danser la gigue sur l’humanité tout entière. Oui, mes amis, LE FLÉAU m’a donné l’occasion d’annihiler l’espèce humaine et j’ai pris un pied d’enfer! » 112.

L’expression triviale chez King participe ainsi d’un comportement à la fois ludique, jouissif et libératoire et remplit, comme sa production d’horreur, une fonction thérapeutique113. Elle serait compensatrice d’un besoin de laisser-aller et de désordre114 qu’il ne peut satisfaire entièrement.

Un bilan…

Le trivial kingien est ainsi à la confluence de plusieurs courants:

– une enfance dans une famille populaire, milieu où il côtoie des enfants et des adolescents de son âge, ainsi que des adultes vivant surtout dans les petites villes du Maine;

– une insertion sociale un peu atypique dans sa jeunesse, due à un physique jugé insatisfaisant et à une maladresse marquée, dont il a gardé beaucoup de susceptibilité concernant les apparences, individuelles et sociales;

– un tempérament désordonné aux réactions caractérologiques marquées par la primarité115, tombant facilement dans les excès du moment; le tout compensé par une bonne dose de prudence.

– une hostilité latente à l’égard des conformismes, de la « bonne société » et des autorités.

– une défiance à l’égard de la rationalité, jugée réductrice, au profit du vécu, du senti et de l’insolite;

– l’influence au lycée et à l’université du romanesque réaliste américain, surtout de Steinbeck et Faulkner;

– dans une Nouvelle-Angleterre puritaine, une éducation plutôt stricte dans un contexte religieux méthodiste.

– et la peur…

Il lui a fallu trouver un équilibre entre toutes ces influences et il y est parvenu par l’écriture, soumise à l’opposition entre son côté naturel dionysiaque et des influences éducatives apolliniennes.

Cet équilibre instable fait que d’une œuvre l’autre, suivant que le contrôle l’emporte sur les pulsions, le trivial occupe une place plus ou moins importante, pour cet écrivain populaire capable d’écrire dans tous les registres.

 

Quant à l’écriture, il faut lui rendre cette grâce que King n’est pas une sorte de handicapé, d’obsédé comme Frédéric Dard, le père de San-Antonio, qui ne peut fonctionner qu’avec des cataractes de grossièretés, un trivial qu’il pousse à des extrêmes tels que ce n’est plus la crédibilité qui est recherchée, mais une sorte de parodie, mêlée d’un délire obsessionnel en forme d’auto-dérision.

Il n’écrit pas non plus comme Louis-Ferdinand Céline, poussé dans ses excès par la compassion envers les faiblesses humaines, la rage de trouver l’humanité aussi médiocre et l’impossibilité d’y remédier116.

Quand Apollon occupe toute la place, Dionysos s’efface. King est alors capable d’écrire des histoires sans l’ombre de l’ombre d’une trivialité ou d’un vulgaire quelconque. Il fait preuve de pudeur, n’utilise que les demi-mots117, qui font au lecteur l’honneur de suggérer, de le croire capable de faire preuve d’imagination et de poursuivre à son terme la pensée de l’auteur -et même aller au-delà quand cela en vaut la peine. Avec, malheureusement trop rarement, l’adéquation avec la poésie la plus légère qui soit.

Avec Zola, les différences ne sont plus du même ordre: Zola est un bourgeois, qui voudrait que « tous causent bien »: « le peuple est ainsi, mais parce que la société le veut bien », dit-il dans la préface de GERMINAL. Le socialisme permettrait d’y remédier, rêve totalement étranger à King, qui pense que c’est une cause perdue, le problème étant individuel et non social.

C’est enfin de Rabelais, avec son mélange de trivialité et de pensée profonde, dont King est peut-être le plus proche: mais il lui manque totalement cette truculence du vivant, ce fond de santé sans inquiétude et la solidité inébranlable qui sont le propre de Rabelais118.

Il y a dans la dernière page de la novela The Body, un passage nostalgique, où après avoir évoqué son enfance perdue, King fait son bilan: « Et je me demande si ce que je fais a vraiment un sens, ou bien ce que je dois penser d’un monde où on peut devenir riche en jouant à « faire semblant » » 119. La signification première paraît claire. Mais je suis loin d’avoir percé les implications cachées.

Armentières, le 22 août 1997.

 


 

1 En prenant le contrepied de King dans DANSE MACABRE: « En d’autres termes, dès que le terrain commencera à être un peu bourbeux, j’ai l’intention de l’éviter plutôt que de chausser des bottes d’égoutier à la manière d’un prof de lettres », in ANATOMIE…, op. cit., page 164.

2 Qui deviendront, après modification du titre et/ou du texte: RAGE, THE LONG WALK et THE RUNNING MAN. Ces romans, publiés par King sous le pseudonyme de Bachman, contiennent en effet des trivialités qui n’apparaissent pas aussi nettement dans les premiers romans édités sous son nom propre.

3 In’SALEM’S LOT, op. cit., page 25.

4 In ‘SALEM’S LOT, op. cit. page 37.

5 « Misery était la personne qu’elle aimait, et non pas cette espèce de voleur de voitures sorti du quartier hispano de Harlem et qui parlait comme un charretier », in MISERY 1987, éd. fr. Albin Michel 1989, page 43. Ou, comme pense la romantique Laurel: « Tout cela ressemblait beaucoup à un scénario de roman d’amour de la série Harlequin comme elle lisait parfois. Et alors? D’agréables histoires, pleines de rêves agréables et inoffensifs. Ça ne faisait pas de mal de rêver un peu, non? », in FOUR PAST MIDNIGHT, The Langoliers , op. cit., page 230.

6 In MISERY, op. cit., pages 35 à 37.

7 In MISERY, op. cit., page 58.

8 In IT, op. cit., page 505. Annie se sert « d’un marqueur noir pour faire disparaître les gros mots », in MISERY, op. cit., page 62. Voir plus loin la fin du § 4.5.

9 In THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., page 313.

10 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., The Library Policeman, page 40.

11 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., Secret Window, Secret Garden, page 402.

12 Ces distinctions ont été faites par Ruth Fulton Benedict († 1948), dans PATTERNS OF CULTURE , Boston, 1934, tr. fr. ECHANTILLONS DE CIVILISATIONS, Gallimard éd., 1950. Apollon, dieu du soleil, de la beauté et de l’harmonie est opposé à Dionysos représentant l’instinct et la violence.

13 In ANATOMIE…, op. cit., page 91.

14 In SKELETON CREW, op. cit., Caïn Rose Up, pages 214 à 216.

15 In MISERY 1987, op. cit., page 62.

16 Nombreux sont les personnages, comme la mère de CARRIE, qui lutteront contre leur propre « bestialité », souvent en brimant leur descendance.

17 La littérature féminine d’évasion faite de rêves uniformes, où il n’y a pas besoin de remettre en question un imaginaire frileux ou de troubler un équilibre psychique incertain, est en concurrence directe, par ses succès de librairie et ses tirages, avec la littérature d’horreur et doit correspondre à des tendances psychologiques opposées. Toujours le Dionysiaque et l’Apollinien…

18 C’est aussi le cas de Charlie, dans RAGE: voir le § 1.7.

19 Annie est un bon exemple du sadisme, dont la nature est ambivalente: détruire est le but visé, mais il faut maintenir en vie en le contrôlant et en le maîtrisant l’être à détruire pour prolonger le plus possible sa souffrance.

20 Les « matinée » du samedi après-midi, où sont projetés principalement des films populaires de fantastique ou de science-fiction, réalisés pour la plupart avec très peu de moyens. Voir notamment IT, op. cit., pages 17 et 222. Ce n’est que tardivement que la mère de Steve eut les moyens d’acheter un récepteur de télévision.

Dans DANSE MACABRE 1981, éd. fr. en deux tomes: ANATOMIE DE L’HORREUR et PAGES NOIRES, éd. du Rocher, 1995/96, King a fait l’analyse des films et séries TV. qui l’ont marqué avant les années 80.

21 King cite une conséquence, entre autres: « Et comme j’ai évoqué les soins dentaires, je me dois de préciser que la plupart des gosses qui ont dû porter un appareil durant ces années où la pression sociale était quasiment étouffante le vivaient souvent comme une difformité -on entendait parfois résonner dans la cour de l’école les mots: « Hé! gueule d’acier! » », ANATOMIE…, op. cit., page 59.

22 American International Pictures, firme de production cinématographique créée en 1954. Pour connaître l’influence exercée par ces films sur la mentalité de King enfant, voir ANATOMIE…, op. cit., pages 40 à 42.

23 In ANATOMIE…, op. cit., page 52.

24 In ANATOMIE…, op. cit., pages 53/4.

25 In ANATOMIE…, op. cit., page 158. King ajoute: « Dans une société où l’on accorde une telle importance à la jeunesse, à la santé et à la beauté (…), il est inévitable que la mort et la décomposition deviennent des sujets tabous », idem, page 159.

26 Sur un point, heureusement, les mœurs ont changé: King n’a pas eu à fuir sans cesse les orages des censeurs, comme cela a été le cas pour les novateurs non conformistes pendant des siècles.

27 Préface à L’ASSOMMOIR, éd. de la Pléiade, t. II, pages 373/4. Idem pour les citations suivantes.

28 Voir une liste dans George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, éd. Lefrancq 1996, pages 71 et suivantes. Ce livre est une sorte de compilation actualisée des précédents ouvrages américains de Beahm qui n’ont pas été traduits et ne le seront sans doute jamais

29 Certains protestataires iront jusqu’à compter le nombre de gros mots dans certains livres…

30 Nous évoquerons bien sûr le Référendum sur la censure de 1986 et la campagne qui l’a accompagné dans notre étude en projet King et le sexe. Voir sur le sujet George Beahm, THE STEPHEN KING STORY, Warner Books, éd. 1994, pages 170 à 174. Pas de traduction française à ce jour. Par contre il existe une traduction française de l’article de Christopher Bruce, parue naguère dans George Beahm, THE STEPHEN KING COMPANION, Warner Books, éd. 1993, in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 213.

31 Allusion à une anecdote racontée auparavant: « Une vieille dame d’à peu près 800 ans s’est levée et m’a demandé: « Pourquoi employez-vous un langage aussi vulgaire? Vous racontez de bonnes histoires, mais pourquoi toute cette grossièreté? ». Et je lui ai répondu: « Eh bien, imaginez… imaginez le langage des hommes réunis chez le coiffeur, le samedi matin ». Sur ce, elle me dit: « Je suis déjà allée chez un coiffeur, le samedi matin, et personne ne parle de la sorte… ». Ma réplique: « Madame, j’écris à propos du samedi où vous n’êtes pas venue! », in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., pages 73 à 75.

32 « L’obscénité grossière et continuelle des détails et des termes s’ajoute dans ce livre à l’immoralité des situations et des caractères: on peut dire, même, qu’elle l’aggrave dans une proportion considérable », justificatif du refus de l’autorisation de vendre L’ASSOMMOIR dans les gares, décision du 14 mai 1877, Zola, Œuvres, op. cit., II, page 1561.

33 In George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 77

34 « Je veux être Théodore Dreiser quand je serai grand, papy », déclare King enfant à son grand-père, in PAGES NOIRES, op. cit., page 119.

35 Mort à 32 ans en 1902. Son roman Mc TEAGUE, qui a inspiré le film LES RAPACES, est considéré comme le plus grand roman naturaliste américain. « Quand on lui demanda s’il n’avait pas eu honte du caractère cru de son roman (…), Norris répondit: « Pourquoi aurais-je honte? Je n’ai pas menti. Je n’ai pas fléchi. J’ai dit la vérité » », cité par King in PAGES NOIRES, op. cit., page 210.

36 « Le champion toutes catégories du naturalisme américain », in PAGES NOIRES, op. cit., page 120. Upton Sinclair et Sinclair Lewis semblent avoir moins intéressé King.

37 Une différence importante cependant. Ce réalisme américain transposait la technique cinématographique, à tendance behavioriste: la description des comportements et des gestes devait générer chez le lecteur la construction du mental et de la personnalité des personnages. King au contraire consacre une grande place à transcrire ce que ressentent et surtout pensent ses personnages (avec une double et quelquefois triple voix, voir plus loin § ).

38 De Burton Hatlen, un de ses professeurs: « We read Steinbeck’s IN DUBIOUS BATTLE, and I remember him being very struck with that. He might have started reading Steinbeck before the class -I don’t want to take credit. I believe Steinbeck has been a major influence on him. We also read Faulkner in that class -LIGHT IN AUGUST, though I don’t think Faulkner has been as strong force as Steinbeck on him », in George Beahm, THE STEPHEN KING STORY, op. cit., page 55. On sait que King collectionne les éditions originales de Faulkner.

39 In ANATOMIE…, op. cit., page 92.

40 In THE REGULATORS 1996, Richard Bachman, éd. fr. LES RÉGULATEURS Albin Michel 1996, page 121.

41 « Le langage a sa propre raison d’être », in PAGES NOIRES, op. cit., page 161. Le contraire de « ce dévidage harmonieux du langage que la plupart des professeurs d’écriture confondent avec le style », in ANATOMIE…, op. cit., page 96.

42 King n’est pas de ceux qui préféreraient « ranger le langage dans un bocal hermétiquement scellé (à la façon d’un cadavre pomponné placé dans un cercueil de verre) plutôt que de le laisser sortir dans la rue pour aller bavarder avec les gens », in PAGES NOIRES, op. cit., page 161.

43 Jacques Van Herp, Le Fantastique chez Stephen King, in KING, Les Dossiers de Phénix 2, Lefrancq éd., Bruxelles 1995, page 112.

44 Connotation à caractère phallique, qui apparaît plusieurs fois dans d’autres œuvres.

45 In SKELETON CREW, op. cit., Milkman #2, Big wheels : a tale of the laundry game, rescapé, avec un autre fragment, d’un roman inabouti.

46 In DOLORES CLAIBORNE, op. cit., page 166. Dolorès appelle son mari le « Grand Manitou de merde de la braguette ouverte », page 118.

47 In GERALD’S GAME 1992, éd. fr. JESSIE Albin Michel 1993, chapitres 35 et svts.

48 Dans son étude Stephen King et son jumeau, in KING, Phénix 2, op. cit., pages 262 à 264.

49 On peut être surpris que, célébrité de l’Université du Maine, King soit cependant loin d’être apprécié -et même lu- par nombre de professeurs. Voir à ce sujet l’article Le Maître de l’Horreur à l’Université, in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 48.

50 Dans un article Stephen King and the Art of Writing, l’universitaire et poète américain Michael R. Collings, le grand spécialiste de King, raconte en quels termes certains professeurs de son fils lui en ont parlé péjorativement, in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN King, op. cit., page 255. Dans un autre article, Collings reconnaît avoir été « gêné » dans sa carrière et s’être vu refuser une promotion universitaire, nonobstant les cinquante livres et les centaines de travaux qu’il avait publiés, non seulement sur King, mais aussi Card, Koontz, McCammon : »On avait l’impression que j’avais perdu mon temps » (…). J’aurais dû travailler sur une nouvelle interprétation pédante de Milton ou quelque chose dans le genre », idem, page 262.

51 Ce regret n’a pas cessé: « Après avoir passé vingt ans à écrire des œuvres de fiction dites grand public, et à être rejeté par les critiques les plus intellectuels comme un « pisse-copie » ( la définition d’un pisse-copie par un intellectuel semblant être « un artiste dont le travail est apprécié par trop de gens »)…etc., in Notes sur NIGHTMARES AND DREAMSCAPES 1993, éd. fr. RÊVES ET CAUCHEMARS, Albin Michel 1994, page 686. Ou encore le romancier Paul Sheldon, qui évoque le destin de son prochain livre, « sur lequel chiera Peter Prescott, de sa manière délicatement élégante, quand il en fera le compte-rendu pour le grand oracle littéraire Newsweek », in MISERY, op. cit., page 62. Dans le même roman, voir aussi les pages 333 et 334.

52 In DIFFERENT SEASONS, op. cit., Apt Pupil, page 174.

53 In THE DARK TOWER, 3. THE WASTELANDS, op. cit., II, la clé et la rose.

54 Voir l’étude sur deux de ses premiers romans Rage, Révolte, Désespoir, parue dans un précédent n° de Steve’s Rag.

55 Ceci n’est pas péjoratif: comme tout être vivant, le jeune enfant doit se constituer un territoire. King s’explique parfaitement sur ce sujet, montrant que, d’une certaine manière, il a intégré son enfance, peut-être depuis qu’il a été père: « Les gosses peuvent se montrer méchants, et quand on les voit dans cet état, on a souvent des doutes sur l’avenir de l’espèce humaine. Mais la méchanceté et la cruauté, quoique proches, sont deux choses fort différentes. Un acte cruel est un acte prémédité, réfléchi. La méchanceté par opposition, est souvent instinctive et irréfléchie. Les résultats sont peut-être identiques pour la victime -en général un autre enfant-, mais il me semble que, dans un société morale, l’intention ou l’absence d’intention est un élément à prendre en compte », in ANATOMIE…, op. cit., page 227.

56 Et si les adultes désapprouvent et vitupèrent, c’est encore meilleur…

57 In RAGE, op. cit., page 55.

58 On trouve dans cette magnifique épopée rurale de Louis Pergaud (1912) la même tendresse et le même sadisme que les romans d’enfants de King. Comme King, Pergaud a vécu ce qu’il a décrit. Rappelons qu’à sa parution, le livre de Pergaud ne fut guère apprécié par les critiques et les citadins, qui trouvèrent les situations trop gaillardes et le patois ordurier. Ne peuvent bien comprendre ce livre que ceux dont l’enfance campagnarde s’est épanouie en toute liberté.

59 Sans compter le double ou le triple de mots que les dictionnaires stigmatisent comme vulg. Sans compter aussi la « bonne » histoire « française »: « Comment sais-tu quand un Français est entré dans ta cour? Quand la poubelle est vide et la chienne enceinte », op. cit. page 307.

60 Une équipe de gosses du même âge se trouve dans le long roman IT, avec le même vocabulaire. A l’époque, un critique avait écrit que ce roman était « deux tonnes de merde dans une caisse de cinq tonnes », cité dans KING, Phénix 2, op. cit., page 370.

61 Quand Teddy a dit à Milo (un adulte responsable de la décharge) que « sa mère se branlait avec des rats morts, ils sont tombés en pleine crise d’hystérie et se sont roulés par terre en se tenant le ventre et en battant des pieds. « Arrêtez, a dit Chris d’une voix faible. Arrêtez, je vous en prie, Arrêtez, je jure sur Dieu que je vais éclater » », (ibid. page 360).

62 Voir § 3.5. Ou ce souvenir de King: « Je me souviens (…) que les cheveux longs étaient un fait de société explosif en 1968, quand j’avais vingt et un ans (…). Je me suis fait jeter du Stardust, un bar de la bonne ville de Brewster (Maine), par un ouvrier de bâtiment. Ce type, qui avait des muscles sur ses muscles, m’a déclaré que je pourrais revenir finir ma bière « quand tu te seras fait couper les tifs, espèce de tantouze pédé » », in ANATOMIE…, op. cit., page 183.

63 Comme Annie réclame de l’écrivain Paul Sheldon de belles histoires idéalisées (voir § 3.1), les copains du narrateur, futur écrivain, ne reconnaissent pas ses droits à l’imagination créatrice: ils éprouvent le besoin de se raccrocher à ce qu’ils connaissent et lui demandent de donner des fins conventionnelles à ses récits…

64 Cette histoire de concours de tartes gagné par un gros lard et se terminant par une hystérie de vomissements collectifs, The Revenge of Lard Ass Hogan, King l’écrira à l’université, la publiera une première fois dans la Maine Review en 1975 et la révisera pour l’inclure dans The Body. Comme le diront ses copains quand ils l’entendront la leur raconter: « Tout ce dégueulis était vraiment cool. -Ouais, c’était cool, vraiment dégueu », (page 390).

65 On retrouve une réflexion semblable dans TERRES DES HOMMES de Saint-Exupéry. L’écrivain rencontre dans un train des ouvriers polonais congédiés de France qui regagnent la Pologne. Il considère un couple, avec un enfant adorable, « sorte de fruit doré ». Mais « l’homme était pareil à un tas de glaise. Ainsi, la nuit, des épaves qui n’ont plus de forme pèsent sur le banc des halles. Et je pensai: le problème ne réside pas en cette masse, dans cette saleté, ni dans cette laideur… Dans quel moule terrible ont-ils passé, marqués par lui comme par une machine à emboutir? ». Et il évoque plus loin « Mozart assassiné », éd. de la Pléiade, pages 259 et 260.

66 Pour approfondir, voir l’étude La Cosmogonie de King dans The Talisman, page 14, in Steve’s Rag, juillet/septembre 1997.

67 In IT, op. cit., page 690.

68 Sans aller jusqu’à Rabelais, qui dynamite certains pouvoirs établis: « Il existait ainsi, face à la doctrine officielle des puissants, une autre culture, populaire et donc non reconnue, qui trouvait son expression dans des divertissements grossiers ou obscènes, dans un comique verbal de bas étage (…), de suites absurdes et grotesques sur les torche-cul (…), bref, le monde à l’envers, où, grâce à la dérision, le « bas » (organique ou social) se trouve occuper une position plus élevée que le « haut » (têtes et chefs) », voir Jean-Yves Pouilloux, RABELAIS, RIRE EST LE PROPRE DE L’HOMME, Gallimard, Découvertes n° 181, 1993. Il y a beaucoup de cela chez King…

69 « La vengeance de Carrie a réjoui tous les lycéens qui se sont fait ôter de force leur short en cours de gym ou casser leurs lunettes en cours de récréation », in ANATOMIE…, op.cit., page 200.

70 In PAGES NOIRES, op. cit., page 105.

71 Op. cit., pages 158 et 107. Ou quantité de notations comme: « Un petit geyser de bière jaillit par le goulot de la bouteille (…) et vint auréoler son pantalon à hauteur de la braguette », in THE DARK HALF, op. cit., page 112.

72 In THE RUNNING MAN, op. cit., page 242.

73 In THINNER, op. cit., chapitre 8.

74 In ANATOMIE…, op. cit., page 57.

75 In RAGE, op. cit., page 16.

76 Comme celle-ci, dont il existe plusieurs versions: « Alors nous sommes allés dans un bar, situé tout en haut de la ville. C’est là que j’ai eu ce que l’on nomme poliment un petit ennui intestinal. Pour être honnête, j’avais l’impression que mon abdomen était secoué par le grand-père de tous les trermblements de terre. Je me suis excusé et j’ai filé vers les toilettes des hommes. C’était un endroit superbe, avec de l’or et du marbre dans tous les coins. Il y avait un gars à l’entrée (…) et une assiette pleine de pièces de monnaie était posée sur une petite table à ses côtés. Sans doute pour renseigner les illettrés… La seule chose que ces toilettes de luxe ne possédaient pas, c’était des portes pour les cabinets! Mais je n’en avais rien à cirer! La jauge était dans le rouge et la pression atteignait des sommets insoupçonnés. Alors, je me suis assis.

J’étais hors de chez moi depuis des semaines; j’avais le mal du pays, mal au ventre, les choses ne pouvaient pas être pires… Jusqu’à ce que le gars des toilettes apparaisse avec un stylo argenté entre les mains. « N’êtes-vous pas Stephen King? Ma mère (…) adore vos livres. Je peux vous demander un autographe? ». J’étais là, avec mon jeans sur les chevilles, le derrière en ébullition, et ce type me demandait un autographe. Un moment inoubliable. C’est cela être célèbre, mesdames et messieurs », propos tenus lors de la Conférence de Virginia Beach, in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 73.

77 Revoir le § 3.2., Dr Jekyll sur le trône. Ajoutons que la plus grande partie de la nouvelle Sneakers se passe dans diverses toilettes, avec de nombreuses notations sur les occupants et leur utilisation des lieux, in FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit.

78 Voir George Beahm, THE STEPHEN KING STORY, Warner Books, éd. 1994, page 41. Pas de traduction française à ce jour.

79 THE EXORCIST, Film célèbre de William Friedkin, 1973, d’après le roman de William Peter Blatty, 1971.

80 In RAGE, op. cit., page 55.

81 « Dans une scène du film, une petite fille vomissait sur un prêtre catholique. Il y eut des applaudissements dans la salle », in ROADWORK 1981, Richard Bachman, éd. fr. CHANTIER, Albin Michel 1987, page 315.

82 Voir la note du § précédent sur ce sujet.

83 In NEEDFUL THINGS , op. cit., pages 600 à 603.

84 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., note sur The Sun Dog, page 250.

85 In RAGE, op. cit., page 40.

86 In ROADWORK, op. cit., page 117.

87 SALEM’S LOT 1975, op. cit. page 73.

88 In THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., page 316.

89 In THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., page 367.

90 In THE RUNNING MAN, op. cit., page 254.

91 In George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 44.

92 In NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., introduction, page 13.

93 In Préface de THE STAND, op. cit., page VIII. Ou aussi: « J’ai un réel problème de gonflement -j’écris comme les grosses dames mangent », in SKELETON CREW , op. cit., page 15. Ou encore: « éléphantiasis littéraire », idem, in Notes, page 638.

94 Pour cet exemple à caractère sexuel, même remarque qu’au § 1.7.

95 In THE DARK HALFop. cit., page 81.

96 In THE DARK HALF, op. cit., page 454.

97 « Certains auditeurs étaient ennuyés par l’image négative véhiculée par King, buvant dela bière en public devant un parterre de jeunes et employant un langage adulte, dangereux pour de chastes oreilles », d’où le départ en pleine conférence de certains d’entre eux, in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 85.

98 Rappelons que le « mauvais goût » des enfants est noté par nombre d’éducateurs, l’enfant étant attiré par l’immédiat, le bruyant, le clinquant, l’excessif… et leur goût des gros mots (coprolalie).

99 King aime « feuilleter rapidement, en faisant la queue au supermarché », les journaux à sensation à la recherche de nouvelles et de photos « de mauvais goût », comme il le dit lui-même. In ANATOMIE…, op. cit., page 43.

100 Comme son opposition au costume-cravate, remplacé par le jean-chemise ou tee-shirt: tous ses personnages écrivains portent des jeans, et il est significatif que King précise souvent que ces vêtements sont propres…, la propreté lui paraissant supérieure à l’apparence. Somme toute une nouvelle hiérarchie: les bien-vêtus, snobinards; les propres, bien. Et les pas-propres… Chaque système fait ainsi ses parias.

101 Ethelyn, qui aurait fait disparaître la caisse de livres de son père qu’il avait, enfant, trouvée dans le grenier, voir ANATOMIE…, op. cit., page117.

102 Les informations précises nous manquent, mais les présomptions sont fortes. Dédicace de IT: « Ma mère et ma femme m’ont appris à être un homme ».

103 In IT, op. cit., page 557.

104 Voir les échos multiples sur ce sujet, notamment dans NIGHT SHIFT, op. cit., Quitters, Inc. et THINNER, op. cit., qui ont été autant de moyens de neutraliser les peurs du moment.

105 In NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., The Ten O’clock People, page 497.

106 L’énumération continue: l’eau et l’air sales; la couche d’ozone; le SIDA par transfusion; les gaz d’échappement produits par la circulation, l’amiante, etc., interview de Martin Cohen, in KING, Phénix 2, op. cit., page 43.

107 William Burroughs, qui vient de mourir, est dans ce domaine l’exact contraire de King, en ayant fait de son corps le siège de tous les excès dans la fantaisie la plus totale.

108 « Elle avait entendu des voix dans sa tête comme tout le monde, pensait-elle, sauf peut-être que les gens n’en parlent jamais, pas plus que du transit intestinal » in GERALD’S GAME, cit., page 15. Et quand les voix se taisent: « Qu’est-ce qu’on fait maintenant, bande d’ovnis squatters? », id., page 66.

109 Ce que King a tenté plusieurs fois d’expliquer, par exemple dans THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., page 37.

110 Par exemple: « Laisse tomber et tire-toi d’ici, se dit Hagan (…). Il allait suivre les bons conseils de son hémisphère cérébral gauche… puis il regarda le dentier claqueur dans l’étalage (…). Et ces guêtres blanches! C’était vraiment à en mourir… « Jack va adorer ça, lui fit observer son hémisphère droit (…). Et s’il s’avère que Jack n’en veut pas, toi, tu le veux » (…). C’est son hémisphère droit qu’il écouta ce jour-là… et tout le reste s’ensuivit », in NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., Chattery Teeth, page 178. King reprend ici et ailleurs cette distinction entre l’hémisphère cérébral gauche, qui régit les fonctions intellectuelles et rationnelles; et le droit, siège de la sensibilité, des sentiments et de la fantaisie (très grossièrement, le raisonnable à gauche et la fantaisie à droite, toujours Apollon et Dionysos).

111 Des exemples d’œuvres particulièrement épurées: NIGHT SHIFT, The Last Rung on the Ladder ou SKELETON CREW, The Reach (à noter que les nouvelles de son troisième recueil ont un caractère nettement plus trivial). Des romans aussi, comme THE DEAD ZONE 1979, éd. fr. L’ACCIDENT, Lattès 1983, roman contrôlé que l’on pourrait faire lire à Piper.

112 In PAGES NOIRES ,op. cit., page 208.

113 L’interdit, le tabou déclenche une attitude ambivalente: envie d’enfreindre une prohibition et crainte de le faire, conflit entre le désir et la puissance de l’interdit. Voir à ce sujet: Freud, TOTEM ET TABOU.

114 Il faut citer ce long passage de THE DARK HALF où Thad Beaumont réfléchit à ses rapports avec Stark: « N’y avait-il pas en lui un Thad aimant passionnément la nature simple et violente de George Stark? (…) Un Thad qui admirait George, un homme qui ne prenait jamais les pieds dans les tapis ni ne se cognait aux objets, un homme qui n’avait jamais l’air faible ou idiot, un homme qui n’aurait jamais besoin d’avoir peur des démons confinés derrière les portes fermées du bar, un homme qui n’avait à se soucier ni d’une femme, ni d’enfants, sans la moindre attache sentimentale risquant de le ligoter ou de le ralentir, un homme qui n’avait jamais pataugé dans un rapport merdique d’étudiant, (…) un homme qui disposait d’une réponse immédiate et efficace à toutes les questions les plus difficiles de l’existence… », page 354.

115 Voir le TRAITÉ DE CARACTÉROLOGIE de René Le Senne et de Gaston Berger, ou, plus abordable, le TRAITÉ PRATIQUE D’ANALYSE DU CARACTÈRE, de Gaston Berger, P.U.F. 1950.

116 Sont laissés de côté les rapprochements possibles avec Emile Boudard, François Cavanna, René Fallet par exemple. Profitons de l’occasion pour signaler qu’il n’y a pas qu’aux USA que la littérature dite populaire ignore ces auteurs: les sus-nommés ne figurent par exemple pas dans L’HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE, XXè , 1950/1990, rédigée par des universitaires, Hatier 1991, 448 pages.

117 Je ne peux résister à citer dans ce domaine la nouvelle de Maupassant La Toux, dans laquelle l’auteur réussit à se passer « du mot »: cette nouvelle, où on ne pète pas, mais on tousse, offre, d’après Louis Forestier qui a annoté l’édition de la Pléiade « si peu d’intérêt et de retenue que l’auteur s’est refusé à la recueillir dans un quelconque de ses ouvrages », in Maupassant CONTES ET NOUVELLES I, page 1509. Je chercherais volontiers une autre explication, la recherche par Maupassant des limites jusqu’où il pouvait aller.

118 Ces comparaisons ne concernent que des auteurs français: il y aurait des parallèles intéressants à faire par un bon connaisseur da la littérature américaine.

119 In DIFFERENT SEASONS, op. cit., The Body, page 451.

 


 

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