Le Rouge, le blanc, le noir et Carrie
(Roland Ernould)
LE ROUGE :
La féroce bigoterie de la mère de Carrie l’a enfermée dans une ambiance confinée, dans un “cercle”, “ rouge” comme la couleur du lieu du supplice qui menace les pécheurs : “…sa mère avait raison,…le seul espoir de paix et de salut s’inscrivait à l’intérieur du cercle rouge” (34). Ce cercle est à la fois protection et prison. Protection : car à l’extérieur de ce cercle, les autres sont l’enfer sartrien : ils menacent Carrie, sont présentés par sa mère comme les forces du mal et forment un véritable “cercle de peste rouge” (33). Le monde extérieur, depuis qu’elle a quitté la maison pour aller à l’école, est devenu une menace permanente. Le rouge est la couleur démoniaque: un rêve de Carrie lui a montré le diable, “ses pieds fourchus faisant jaillir des étincelles rouges du ciment” (55). Le rouge est aussi lié au châtiment : quand, après l’épisode sanglant de la douche, Carrie se voit moquée dans la rue par un jeune garçon à vélo qu’elle fera tomber, la bicyclette est “rouge” (34).Prison maternelle : Carrie est jeune et “vivante” (54). L’étroitesse d’esprit de sa mère la prive de sensualité et exclut toute sexualité. Elle voudrait bien ressembler aux autres : “ je veux essayer d’être normale, d’être moi-même avant qu’il soit trop tard” (113). Elle voudrait bien “effacer le cercle de peste rouge” en cherchant à s’intégrer (33). Elle fait des travaux de couture pour participer à un camp de vacances des Jeunesses Chrétiennes, ce que sa mère considère comme un péché (33). Malgré la défense maternelle et sa propre honte, elle se douche avec les autres, dans l’espoir que “ le cercle dont elle était prisonnière se desserrerait un peu, juste un petit peu” (34).Mais peut-elle desserrer le cercle, à la fois protecteur et mutilant ? : malmenée, méprisée, honnie, vilipendée par ses pairs pour sa singularité, elle se rend compte que , malgré ses efforts, elle sera toujours exclue et qu’elle est incapable de lutter : “le cercle de peste rouge était comme une tache de sang. On pouvait frotter, frotter, frotter, il était toujours là, ineffaçable” (33).Prisonnière à la fois de sa mère et des autres: dans son désir de ressembler aux autres, elle a caché un tube de rouge à lèvres dans son sac (52), par crainte de sa mère évidemment . Un jour, dans les vestiaires, elle essuie son rouge à lèvres avec une serviette hygiénique, dont elle ignore l’usage et qu’elle a prise naïvement au distributeur de l’école; une camarade lui demande avec étonnement ce qu’elle fait; elle interroge : ce n’est pas bien? c’est défendu? (19) Un autre jour, elle procède de même dans la rue: elle se souvient “des coups d’œil intrigués” et “choqués des passants” (53). Dès lors, quand ses premières règles arrivent dans la douche collective du collège (où elle ne devrait pas se trouver, sa mère le lui ayant défendu (34), elle associe, dans son innocence, le rouge du sang menstruel au rouge à lèvres et la sensualité interdits . Quand ses compagnes lui jettent par dérision des serviettes hygiéniques, et qu’on lui dit qu’elle croit que ces serviettes servent pour le rouge aux lèvres (16), dans son esprit la boucle est bouclée : cette chose est mauvaise (55), et elle se déteste elle-même autant que les autres. Le délire de sa mère, qui la culpabilise, n’arrange rien : “ O Seigneur, …montre-lui que si elle était restée pure, la malédiction du sang ne se serait pas abattue sur elle. Peut-être a-t-elle commis le péché d’impudeur et de luxure en ses pensées… Montre-lui que c’est Ta main magnanime et vengeresse qui l’a punie”. (70)
LE BLANC :