Cette semaine, Stephen King a participé à une discussion sur Zoom en soutient à une bibliothèque locale du Maine.
Nous vous proposons de découvrir notre retranscription et traduction de cette discussion
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La vidéo de l’événement
Photo :
La vidéo :
(La discussion a été réalisée via Zoom, exclusivement aux personnes qui ont payées une contribution pour être membre de la bibliothèque du Maine. Ils ont enregistré l’événement et ont prévu de partager, dans les prochains jours, la vidéo)
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En synthèse, la discussion porte sur :
– Le Maine : pourquoi il écrit sur le Maine et pourquoi ses livres ne marcheraient pas si se déroulaient ailleurs
– Son enfance : Comment il a grandit dans une petite bourgade du Maine
– Une lecture de Salem : Stephen King a lu un extrait de « Salem »
– Les livres audios : et la difficulté de les enregistrer
– Le surnaturel : et les difficultés de croire au surnaturel
– La peur : la difficulté pour les auteurs de se faire peur
– Comment il écrit : il a une vague idée de l’histoire mais ne sait pas forcément tout
– Les enfants : pourquoi Stephen King arrive à bien écrire des enfants dans ses histoires
– Ce qui captive les enfants : Pourquoi les enfants arrivent à être captivés par des histoires macabres et sanglantes / violentes
– La Tour Sombre : Si Stephen King écrira un autre livre de « La Tour Sombre » (probablement pas)
– L’écriture d’un nouveau roman : Stephen King dévoile avoir commencé l’écriture d’un nouveau livre, depuis deux mois. Et qu’il sera probablement long
– Ses personnages : Il est question d’Holly Gibney, de Danny Torrance et de Charlie McGee (Charlie)
– S’il est féministe : et oui. Parce qu’il a été élevé par une mère seule, a grandit entouré de femmes et qu’il les juge moins dangereuses que les hommes. Alors qu’elles doivent faire face à de nombreux abus
– Ses conseils aux enfants modestes : il leur recommande d’apprendre à lire et écrire, car c’est indispensable de nos jours et leur ouvrira des opportunités
– Sa relation avec Tabitha : la confiance (et l’importance) que Stephen et Tabitha ont mutuellement l’un pour l’autre
– S’il était président : la priorité que donnerait Stephen King s’il était élu président des Etats-Unis. Principalement aider les plus pauvres (et non, il ne souhaite pas se lancer en politique, il y a trop d’emmerdes)
– Si il arrêtera un jour d’écrire : probablement pas, mais peut-être qu’un jour on lui dira, ou il verra par lui-même qu’il a besoin d’arrêter de publier ce qu’il écrit
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Notre retranscription et traduction :
Moira Yip : Il a écrit 65 romans et 5 essais. Il a écrit 19 scénarios, il y a au moins 50 adaptations en films de ses romans. Il a remporté la Médaille de la National Book Foundation, pour sa contribution distinguée à la littérature américaine en 2003, et la Médaille Nationale des Arts en 2014. (Découvrez notre liste des récompenses et nominations de Stephen King aux prix littéraires)
Selon mon compte, ses travaux ont remporté 75 prix littéraires dans le monde entier. Et bien trop de nominations pour pouvoir les compter.
Mais il est l’un des notres. Il est né, a grandit et vit toujours ici dans le Maine. On le connait comme étant un bon voisin, le type dans la file d’a coté dans les magasins, comme le mari depuis 50 ans cette année d’une autre formidable autre auteure, Tabitha King, et le père de Naomi, Joe et Owen, qui sont deux autres auteurs. On le connait comme un très généreux philanthrope à la ville de Lovell et a l’état du Maine, au travers d’une fondation qu’il a fondé avec sa femme Tabitha King.
C’est un plaisir et un honneur de le recevoir ici aujourd’hui.
Avant de le faire entrer, laissez-moi vous dire comment la soirée va se dérouler. Je vais l’introduire, je viens juste de le faire, et je vais discuter quelques minutes avec lui.
Ensuite il a choisi une lecture pour nous, et après ça on discutera encore un peu, lui et moi, et le reste de la soirée sera à vous.
Je sélectionnerai des questions parmi celles qui nous ont été soumises par email, parmi celles que vous nous proposerez maintenant et nous en poserons autant que nous le pourrons, mais j’ai bien peur que ce ne sera pas possible de toutes les poser. Mais nous ferons notre possible. Et notre objectif est de finir aux alentours de 20h
Donc, Stephen, est-ce que vous pouvez me rejoindre maintenant? Le voici
Stephen King : Oui, me voila.
Moira Yip : Bienvenue Stephen, et un grand merci de participer. C’est juste fantastique.
Stephen King : C’est un plaisir. Vraiment. J’aurais tellement espéré pouvoir être présent en personne, et que tout le monde puisse aussi l’être, mais ceux qui sont présents en pyjamas auraient dû s’habiller
Moira Yip : (Rires) C’est vrai. Et bien, je me suis dis que je devais enlever mon pyjama et je me suis meme fait un brushing et ai mis du rouge à lèvres, ce que je ne fais pas souvent. Donc. Quand vous et moi avions parlé de cette discussion, j’avais dis qu’une des choses que j’aimerai faire pour commencer serait de discuter sujet des lieux dans vos histoires. Et plus particulièrement du rôle du Maine. Un très grand pourcentage de vos livres se déroulent dans le Maine. Parfois même pour certains d’entres nous, habitants de Lovell, nous regardons autour de nous et nous demandons si telle partie est inspirée de Lovell, ou non.
Donc je me demande dans quelle mesure est-ce que vous écrivez ce que vous savez, dans quelle mesure vous décrivez les éléments du Nord, comme le froid, le noir, le vide, la solitude, les rumeurs d’une petite ville et ce genre de choses.
J’ai été très frappée par une phrase de « Sac d’os » (Bag of Bones), dans laquelle le narrateur dit ce qui suit au sujet des habitants du 19e siècle du Maine : « ce sont de petites vies, habitant aux abords de l’obscurité, c’est tout ».
Stephen King : Le noir, le froid et les frissons et tout ça, viennent avec le décor. J’ai grandis dans le maine. Le maine est ce que je connais. Et tu m’as volé ma meilleure phrase. « Ecris sur ce que tu sais » et c’est la manière dont j’ai commencé et ce que j’ai continué à faire à travers de nombreux livres.
Je ne dirais pas tous les livres, j’ai d’une certaine manière changé cela un certain nombre de fois. Tabby et moi avons été en Angleterre en réalité, nous avons habité dans une ville appelée Fleet pendant six mois parce que j’étais convaincu que j’entrerai dans le berceau des plus grandes histoires d’horreurs britanniques, que je trouverai quelque chose sur lequel écrire. Mais ça n’a jamais vraiment été le cas. J’ai écris une nouvelle intitulée « Crouch End » (dans le recueil Rêves et cauchemars, ndlr), et ça c’est arrêté là.
Mais le Maine est le lieu auquel je reviens toujours. J’ai écris sur le Colorado parce qu’on y a vécu et j’aimais les montagnes, et j’ai écris sur le Sud, parce que j’aime le Sud. J’ai écris un livre sur la Floride (« Duma Key« , ndlr)parce qu’on y passe du temps quand c’est l’hiver ici. Vous savez ce que c’est. On vieillit et ça la loi, il faut vivre en Floride une partie de l’année. Mais le Maine est le lieu auquel je reviens toujours parce que c’est l’endroit que j’aime.
« Le Maine est le lieu auquel je reviens toujours parce que c’est l’endroit que j’aime. »
Moira Yip: Donc dans un monde imaginaire, si vous preniez une de vos histoires se déroulant dans le Maine et l’inscriviez dans le Colorado, est-ce que ce serait un livre totalement différent?
Stephen King : Ça ne marcherai pas. Ce serait comme essayer de prendre un livre commme « Dôme » et le placer dans les Montagnes Rocheuses. Pour moi, ça ne marcherai pas.
Il y a deux ou trois livres dans lesquels j’ai essayé de les intégrer dans l’Amérique dans son ensemble, comme un canevas. « Le Fléau » est l’un d’entres eux. Il y a maintenant une version télévisée sur CBS All Access (la série « The Stand » est disponible en France sur Starzplay, ndlr) et l’épisode que j’ai manqué ce soir, a été écrit par mon fils Owen. Il me faudra le voir un peu plus tard, mais c’est un (des livres, ndlr) qui couvre le Maine, le Colorado, Las Vegas et tout ce qui se trouve entre eux. Parce que oui, je suis du Maine, mais ce que je suis vraiment est un américain et j’aime le pays. Le bon, le moins bon et le mauvais. J’essaie de voir tout cela et d’écrire sur ces choses.
» Je suis du Maine, mais ce que je suis vraiment est un américain et j’aime le pays. Le bon, le moins bon et le mauvais. J’essaie de voir tout cela et d’écrire sur ces choses. »
Moira Yip : Et ça se voit. Je trouve que c’est très intéressant que le Maine soit tellement central (dans vos histoires, ndlr), parce que si j’ai bien compris, vous êtes né dans le Maine mais jusqu’à l’âge de 11 ans, vous n’y avez pas vécu. Et après vous êtes revenu et y avez vécu pendant longtemps, la majeure partie de votre vie adulte. Et vous y habitez encore pour une grande partie de l’année.
Et je me demande s’il y a une période cruciale dans la vie de quelqu’un qui les façonne et détermine si ils se considèrent comme un habitant du Maine, ou du Connecticut ou autre. Une époque spécifique.
Stephen King : c’est une question intéressante, je ne crois pas qu’on me l’ai déjà posé. Je pense que ce qui m’a forgé est d’y’avoir fait mon école primaire, le lycée et la lac, tout cela dans l’état du maine. Et je dirai surtout le lycée et la fac, parce que nous sommes revenus dans le maine quand j’avais, je pense, neuf ans. Je suis en fait allé dans une école avec une seule classe à Durham.
(On vous invite à découvrir le documentaire « Shining in the Dark« ).
Il n’y avait pas d’eau courante sur place et les écoliers couraient à la ferme d’à coté pour boire de l’eau. Et il n’y avait qu’un professeur pour huit niveaux (exemple de la cours préparatoire à la troisième) et on passait l’un après l’autre pour les cours de math.
Ce genre de chose, et ensuite ils ont construis une école à Durham, qui est maintenant une école élémentaire de taille normale. D’une bonne taille, parce qu’elle est devenu une école dortoire pour Portland.
Mais c’était une petite bourgade quand j’ai grandi et j’ai été dans un petit lycée, et je pense que ces choses m’ont façonné. Mais bien entendu à cette époque, l’université du Maine était aussi une petite école.
L’école primaire où a été Stephen King, à Durham.
Photo du documentaire « Shining in the dark »
Moira Yip : Oui. Et bien je trouve que c’est sans doute le moment idéal pour vous demander de lire. Je ne suis pas sûre du livre que vous nous avez choisi mais on peut vous passer l’écran et vous pouvez nous dire ce que vous avez choisi, la raison et nous en lire un petit peu. Et ensuite, on rediscutera encore un peu plus.
Stephen King : Je serai content de le faire. Et je pense que notre réalisateur, Jo, peut probablement me mettre à l’écran.
Ce que je vais faire, c’est lire un extrait de « Salem » parce que c’est sur quoi nous parlions. C’est une ville fictive, mais c’est aussi inspiré par la ville où j’ai grandit.
Donc je vais lire un passage du chapitre 10, et je vais lire pendant 10-12 minutes ou quelque chose de ce genre et ensuite j’aimerai laisser du temps pour répondre à des questions. Mais… je ne suis pas retourné à ce livre depuis longtemps, et je l’ai regardé et je me suis dit. Tu sais, pour un gamin de 25 ans, c’est pas trop mal.
Donc voici le chapitre 10 qui s’intitule « Salem«
(Stephen King lit pendant une dizaine de minutes)
Stephen King : C’est moi qui ai écrit cela.
Moira Yip : Merci beaucoup. Merci vraiment beaucoup. C’était génial.
Stephen King : Vous diriez ça de toute façon, n’est-ce pas? rires
Moira Yip : Oui, je le dirai. c’est vrai. Mais je le dis très sincerement. Cela m’amène à une question.
J’ai regardé en ligne parce que je ne savais pas si vous lisiez vous-même vos livres audios. Pour de plus en plus de gens, c’est ainsi qu’ils lisent des livres. Au travers de livres audios. Et j’ai découvert que vous en avez lu un grand nombre, mais pas tous.
(Nous avons une section dédiée aux livres audios lus par Stephen King, dans notre livre « Les adaptations de Stephen King », disponible gratuitement sur demande, ndlr)
Et je suis curieuse de savoir comment vous décidez ceux que vous voulez lire vous-même, et dans le cas inverse, si vous avez votre mot à dire sur le choix des narrateurs, parce que cela fait une grande différence à un livre audio, d’avoir un bon narrateur.
Stephen King : Oui, c’est vrai. et j’ai été très chanceux d’avoir un certain nombre de bons lecteurs pour mes livres. En ce qui concerne le choix de ceux que je lis, principalement… tout d’abord, s’il y a un protagoniste féminin ou un personnage principal féminin, je le lirai pas. Il faut que ce soit un livre auquel je tiens beaucoup.
La première fois que je l’ai fais, c’était « Bazaar » (en réalité, Stephen King avait auparavant lu les versions audios des trois premiers tomes de « La Tour Sombre », entre 1988 et 1991, cf la rubrique dédiée dans notre livre « Les adaptations de Stephen King », ndlr), qui est un livre assez long et j’ai alors découvert que lire des livres en audio n’est pas pour des feignants.
C’est d’une certaine manière comme faire un film. Les enregistrements se font même sur plusieurs prises. De manière à ce qu’à chaque fois qu’un mot est malmené, alors on recommence. L’enregistrement est coupé et il faut recommencer où on s’est arrêté.
C’est un travail difficile.
Mais il y a certains livres qui me sont personnels et que je voulais faire. Et l’autre chose, c’est que quand j’étais au lycée, en tant qu’enseignant, j’avais l’habitude de faire écouter aux enfants « The Waste Land » de T.S. Eliot (« La terre vaine », en français) et je trouvais que c’était merveilleux d’etre en mesure d’écouter sa vraie voix, parce que personne ne sait la manière dont les mots sont supposé résonner, l’accentuation, aussi bien que l’auteur qui les a écris, qui les a eu en premier dans sa tête. Donc beaucoup de gens le font (enregistrer des livres audios, ndlr) et le font bien bien mieux que moi.
(La version audio de cette histoire, lue par TS Eliot est disponible sur Youtube)
Moira Yip : Et bien je trouve…
(Le téléphone de Stephen King sonne)
Stephen King : Un instant… c’est ma femme… Tabby, je dois raccrocher, car je fais un truc sur Zoom
Moira Yip: Pourquoi est-ce que tabby ne vous regarde pas?
Stephen King : Je ne sais pas. c’est une bonne question.
Moira Yip : Et bien voila, vous allez devoir lui en toucher un mot plus tard
Stephen King : Je le ferai.
Moira Yip : Je vais vous dire un fait très étrange. Vous avez mentionné le poème de TS Eliot. Sa femme a été à la meme école que moi. Voilà.
Stephen King : Vraiment? je ne savais pas ça. C’est génial.
Moira Yip : Pourquoi est-ce que vous le sauriez? Elle était bien plus vieille que moi. Je ne l’ai jamais connu. Bref, désolé tout le monde, j’ai perdu le fil du sujet. Je voulais vous demander autre chose, avant de laisser notre audience poser des questions. Il y a quelque chose qui reste une énigme pour moi. Qu’il est possible de se considérer comme quelqu’un qui ne croit pas au surnaturel, et pourtant d’en avoir peur. Logiquement, si on n’y croit pas, pourquoi en avoir peur?
Stephen King : Et bien, je présume que cela dépend des circonstances dans lesquelles on est, de la situation dans laquelle on se trouve.
Je pense qu’il est très facile pour quelqu’un de ne pas croire au surnaturel, jusqu’à ce que l’on se retrouve dans une nuit hivernale, avec un vent qui souffle fort dehors, en étant seul et qu’il y a une coupure de courant. Il est alors beaucoup plus simple de croire au surnaturel.
Donc je pense que le travail de l’écrivain est d’essayer de vous faire croire. Je l’ai toujours perçu comme, presque comme pointer un pistolet. Il faut viser très loin, il faut que le lecteur soit submergé par le monde qu’on peut décrire comme surnaturel ou imaginaire sans s’en rendre compte. Et c’est très important que les personnages soient bons, pour qu’on les suive volontairement dans leur voyage.
« Je pense qu’il est très facile pour quelqu’un de ne pas croire au surnaturel, jusqu’à ce que l’on se retrouve dans une nuit hivernale, avec un vent qui souffle fort dehors, en étant seul et qu’il y a une coupure de courant. »
Moira Yip : Est-ce que les auteurs se font peur? Est-ce que vous vous êtes déjà fait peur, peut-etre jusqu’au point d’avoir arrêté d’écrire parce que vous ne vouliez pas aller où vous pensez que vos personnages allaient?
Stephen King : C’est dur. Ce n’est pas impossible, et je vais vous en dire plus, mais je dirai que c’est difficile parce que je suis celui qui tire les ficelles. Je sais ce qu’il va se passer. Où ça va aller. Donc, d’une manière, c’est le public qui ne sait pas cela.
Mais je vais vous avouer que je me suis effrayé une fois. J’écrivais un roman intitulé « Shining« , et il y a un petit garçon dans cette histoire. Il est dans un hotel hanté. Et je savais qu’il y avait quelque chose de méchant dans la chambre 217.
Je savais ce que c’était. C’était une femme morte qui était dans la baignoire, qui allait en sortir, et ça me faisait peur. Au point que je n’ai pas arreté d’écrire mais je me disais : « Oh, trois jours et ce sera la chambre 217 ». et puis « Deux jours » et finalement « C’est aujourd’hui! »
Et mon coeur battait la chamade et je n’avais aucun problème pour visualiser.
Puis j’ai écris la scène et j’étais dedans. Mais c’était une journée plutôt intense.
Moira Yip : C’est vraiment intéressant parce qu’un autre exemple pourrait être si vous retourniez dans un livre que vous avez écris il y a très longtemps… est-ce que vous pourriez le lire comme si vous n’en étiez pas l’auteur et ainsi vous faire peur?
Stephen King : (Il réfléchit quelques secondes) Je ne pense pas. Parce que l’on sait où ça va. On sait quand ça va arriver. Donc je ne pense pas. Je pense que c’est plus effrayant quand c’est en face.
Moira Yip : D’accord, j’étais curieuse. On a encore un peu de temps, je vais poser une ou deux petites questions…
Stephen King : Je voudrais ajouter qu’il est possible de lire un lire plusieurs années après l’avoir écrit et c’est presque comme lire quelque chose que quelqu’un d’autre a écrit. Et pourquoi pas? Parce que l’espace des années est passé, on est une personne différente. Donc il est possible de redécouvrir ce livre. Malheureusement on découvre aussi de nombreuses choses, qu’on a changé aussi. Mais c’est la vie.
Moira Yip : C’est en quelque sorte ce que j’avais à l’esprit, je me demandais si cela se développerai au point de transformer quelque chose de manière à vous faire peur. Mais peut-être pas.
Stephen King : Ça peut vous faire grimacer. « Oh, j’arrive pas à croire que j’ai écris ça »
Moira Yip : (Rires)
Stephen King : Et je peux penser à des exemples. Mais je ne vais pas en dire plus
Moira Yip : Vous avez une fois décrit l’acte de l’écriture comme « la route sortante de mon imagination », ce que j’ai trouvé être une très belle tournure de phrase. C’était dans un contexte sur la page blanche de l’écrivain. Donc la route était bloquée. Je me demandais si vous pouviez parler un peu plus de ce sentiment? D’être une route, une rivière, je ne sais pas, et ce qu’il se passe quand elle ne coule plus.
Stephen King : Et bien vous savez… j’ai un bon ami, John Irving, qui… chaque romancier est différent. Il a écrit « Le monde selon Garp« , « Une prière pour Owen » et d’autres livres. De très bons livres, mais chaque auteur est différent. John avait l’habitude de dire que la première chose qu’il fait, quand il écrit un livre, est d’écrire la dernière ligne. Et pour moi c’est… « oh mon dieu »
Moira Yip : (rires)
Stephen King : John, quel intéret? Parce que tu sais comment ça va finir. Et il m’a répondu « Mais c’est la lumière vers laquelle j’écris », qui est une autre métaphore pour la route.
Voici ce à quoi j’ai pensé récemment. Je travaille sur un livre depuis probablement deux mois. Je l’ai commencé à une époque sombre quand Donald Trump était toujours le président des Etats-Unis d’Amérique et les choses étaient confuses et j’ai continué à travailler dessus.
Maintenant que les choses ont changé, les choses sont un peu plus réjouissantes, mais pour moi la métaphore dans cette histoire est que c’est un peu comme marcher dans une pièce sombre. Et c’est où je suis en ce moment. On illumine la pièce avec une lampe, et on commence à apercevoir des choses et on avance plus profondément dans la piece où on voit de plus en plus. Mais je suis dans un état où je peux voir plutot bien la pièce, mais il y a d’autres pieces un peu plus loin, qu’il faut explorer avant d’en avoir fini. Ce sera un long livre je pense. Donc je dois faire ça.
Et l’autre manière que je peux la décrire est… les gens me demandent si je sais où je vais. Et la réponse est : en quelques sortes. (rires)
Je sais un peu où je vais, mais c’est un peu comme si il y a assez de munitions dans une gigantesque arme dans la tête ; et si on la tire à une grande distance, cela n’importe pas vraiment si la cible n’est pas bien visée, car ça va toujours la détruire.
Donc oui, je sais généralement vers quoi je me dirige, mais je ne sais pas tout et il y a toujours des situations où il faut changer des choses et dans ce cas, il faut que ce soit le livre qui fait avancer l’histoire. Il ne faut jamais changer les choses pour son confort personnel. Il faut suivre la route de son imagination.
« Il faut que ce soit le livre qui fait avancer l’histoire. Il ne faut jamais changer les choses pour son confort personnel. Il faut suivre la route de son imagination. »
Moira Yip : Merci. Je pense qu’il est temps que laisse l’audience poser quelques questions. Je vais commencer avec celles qui m’ont été communiquées il y a quelques jours par email et ensuite je me pencherai sur celles qui ont été posées dans le chat durant cette conversation, lorsqu’on était « à l’antenne ». Est-ce que l’on dit « à l’antenne » pour une conversation sur zoom? Qu’importe
Stephen King : A l’antenne
Moira Yip : A l’antenne. Voilà. J’ai lu les questions, il y en avait beaucoup. Des questions très intéressantes. Je les ai organisé en thèmes.
Stephen King : Et tu m’as proposé de les voir avant, et j’ai refusé, parce que je préfère être surpris. On va les tenter, les gars.
Moira Yip : Et si quelqu’un doit se faire blamer parce qu’une question n’a pas été posée, c’est ma faute, pas Stephen, parce qu’il n’a pas choisi. C’est moi.
Stephen King : C’est vrai
Moira Yip : Faire des choix est quelque chose de très personnel. Commençons avec celle-ci. Au sujet de tes livres pour enfants, des enfants et de la lecture. Celle-ci a été posée par quelqu’un dont l’initial est P, donc je ne sais pas si c’est un homme ou une femme, qui demande : « La petite fille qui aimait Tom Gordon » (The girl who loved Tom Gordon) et « Marche ou crève » (The Long Walk) sont deux de mes livres préférés. Une des principales raisons est la très bonne écriture des jeunes personnages. Vous avez souvent écrit des personnages jeunes, comment capturez-vous aussi bien l’esprit de ces jeunes personnages et jeunes équipes?
Stephen King : Et je bien je présume parce que j’ai toujours cet enfant intérieur fébrile en moi. Tout d’abord, quand j’ai écris « Marche ou crève » j’étais au lycée et j’étais un adolescent. J’avais l’âge de ces enfants, ce n’était donc pas très difficile.
Avec « La petite fille qui aimait Tom Gordon », j’avais cette très bonne idée d’un enfant seul dans une forêt qui se voit forcée de survivre avec comme seul lien vers le reste du monde une radio qui diffuse un match des Red Sox. Ce n’est pas un livre sur le baseball. C’est un livre sur la survie. L’imagination est une magnifique chose flexible. Et l’idée de se mettre dans l’esprit d’une jeune personne est possible si l’on ne présume pas tout savoir. Il faut faire du mieux possible et avec de la chance les lecteurs s’y reconnaitront.
J’aime les enfants et j’aime l’idée des enfants qui sont immergés (dans une histoire, ndlr) au point de jurer. Je trouve que c’est très héroïque.
Moira Yip : La seconde question sur les enfants l’approche sur un angle différent et demande comment les enfants peuvent se retrouvés captivé par un livre.
« Nous lisons à notre petite-fille Tessa depuis sa naissance, elle a maintenant 10 ans. Il y a deux ans, on a commencé a lui lire « D’Aulaires Book of Greek Myths » à elle. Elle adore tous les détails gores, les créatures qui sortent des jambes, les Dieux qui se transforment en animaux etc. Nous sommes à notre troisième lecture, et les histoires continuent à la fasciner. Est-ce que vous avez eu cette expérience en tant qu’enfant? Que pensez-vous que la littérature doit comporter pour captiver un enfant?
Stephen King : Et bien je pense que le plus important est que les enfants doivent pouvoir réaliser cette expérience cathartique, dans laquelle on s’imagine être le personnage principal. Quand on peut s’injecter dans l’histoire et devenir une autre personne.
Maintenant, je comprends les enfants qui adorent la mythologie grecque. J’adorais les contes de fées quand j’étais petit, et j’adorais « Le Petit Chaperon rouge », des frères Grimm, avec le loup qui s’habille en grand-mère, avec une robe de nuit. Cela me donnait de délicieux frissons en y pensant. Et quand j’ai grandis, je suis allé au lycée de Lisbon Falls et j’ai découvert qu’il y avait des comics d’horreurs des années 50s (découvrez notre dossier sur les EC Comics), dont les couvertures avaient été enlevées pour cacher le prix de ceux qui ne s’étaient pas vendus. Et pour 5 centimes il était possible d’avoir « Tales from the crypt » qui était des contes de fées pour enfants avec des histoires d’horreur. J’adorais ça.
Je ne pense pas qu’il y ai de raisons de s’inquiéter si les enfants sont attirés par des histoires macabres. Si les enfants veulent se rassembler dans la salle de jeux et regarder « Scream » ou « Halloween 6 ». Je trouve que c’est naturel en grandissant. Et ca fait partie de ce qui permet de développer l’imagination. Je veux entendre davantage parler des anguilles qui sortent des jambes, parce que ça me semble être une bonne histoire. Il y a du potentiel.
« Je ne pense pas qu’il y ai de raisons de s’inquiéter si les enfants sont attirés par des histoires macabres. Si les enfants veulent se rassembler dans la salle de jeux et regarder « Scream » ou « Halloween 6″. Je trouve que c’est naturel en grandissant. Et ca fait partie de ce qui permet de développer l’imagination. Je veux entendre davantage parler des anguilles qui sortent des jambes, parce que ça me semble être une bonne histoire. Il y a du potentiel. »
Moira Yip : (Rires) Peut-être que je vous donnerai son email pour qu’elle vous en dise plus.
Stephen King : C’est marrant aussi, comment on adapte les histoires qu’on raconte aux enfants. Il y a une histoire intitulée « Rumpelstiltskin » (« Nain Tracassin » en français, voir l’article de Wikipedia ), qui raconte que la fille des Miller doit transformer des pailles en or pour le roi, ou sinon elle perdra sa vie. Et cette persone, ce nain, arrive et Rumpelstiltskin lui propose de l’aider.
D’abord il veut un collier, puis sa bague, et la dernière chose qu’il veut c’est son premier enfant. Elle lui dit « si je devine votre nom, est-ce que vous me laisserez tranquille? » et il répond « oui » parce que personne ne peut deviner son nom et une chouette l’entend dancer dans les bois et dire ‘elle ne devinera jamais que mon nom est Rumpelstiltskin ». La chouette revient et le dit à la fille.
Dans la version pour enfants, le dessin animé, parce qu’il y a toujours un dessin animé, Rumpelstiltskin est tellement en colère qu’il s’enfuit. Dans une version il s’envole sur une cuillère. Mais dans le livre des frères Grimm, de 1857, Rumpelstiltskin est tellement en colère qu’il s’enfonce un pied dans la terre, et se déchire en deux morceaux. Et ils donnaient ça aux enfants, qui l’adoraient.
Moira Yip : C’est comme l’autre, avec le garçon qui se brûle tout seul. Il y a des choses plutot violentes dedans.
Stephen King : J’adore cette histoire
Moira Yip : Donc je vais changer un peu, parce qu’il ne serait pas juste de ne pas poser des questions de certains de vos fans les plus dévoués qui ont posé de nombreuses questions sur les livres à venir. Je ne sais pas ce que vous voulez dévoiler, mais il y a dû y avoir trois ou quatre personnes qui ont demandé si on peut s’attendre a avoir, bientôt, une nouvelle histoire de « La Tour Sombre » ou une suite à « Territoires« ? Une autre personne a demandé si il y a une préquelle ou une suite à « L’outsider« ? Et il y a deux autres questions de ce genre
Stephen King : « La Tour Sombre » englobe en quelques sortes tout. Je n’ai pas de projets d’écrire un nouveau livre à proprement parler parce que je considère que ce récit est fini, en ce qui me concerne. Mais je suis de temps en temps attiré vers cet autre monde, donc je ne peux pas dire qu’il n’y en aura jamais.
Concernant la suite à « L’outsider », j’ai un livre de novellas intitulé « Si ça saigne » qui est disponible et la suite s’y trouve. Je me suis trouvé fasciné par le personnage Holly Gibney qui était un personnage secondaire du livre « Mr Mercedes« , mais petit à petit elle s’est développée et a volé mon coeur. Elle l’a vraiment fait. Et elle est donc un personnage plus important dans « Carnets noirs » ainsi que « Fin de ronde« .
Puis dans « L’outsider« , elle a pris les devants bien qu’elle travaille avec le détective Ralph Anderson. Si vous avez lu le livre vous le savez, et si vous avez vu la série cablée, vous le savez.
Mais j’ai toujours été curieux sur le passé d’Holly et ce qu’elle devient toute seule.
Donc j’ai écris ce court roman intitulé « Si ça saigne » (If It Bleeds, le roman sort le 10 février aux éditions Albin Michel) et c’est dans le livre du meme titre, avec trois autres histoires.
Je ne suis pas un grand fan des suites. Quelqu’un m’a un jour demandé comment je sais qu’un livre est fini. Et la réponse est « quand tu ne sais pas ce qui vient ensuite, alors tu écris FIN »
Moira Yip : Donc une autre question que je me dois de poser, pour des raisons qui vont devenir évidentes. Il y a dix ans, vous vous êtes demandé ce que devenait Danny Torrance et avez écris « Docteur Sleep » (Doctor Sleep). Y a t’il d’autres personnages sur lesquels vous vous interrogez et qui pourraient revenir dans d’autres histoires?
Si par chance cette question est sélectionnée, mon nom est Ariel et s’il vous plait mentionnez à Stephen que ce serait le meilleur anniversaire. Oui, c’est mon anniversaire !
Stephen King : Et bien Ariel, joyeux anniversaire! Et merci pour la question. Oui, je me suis toujours demandé ce que Danny allait devenir en grandissant. Et les gens me posaient occasionnellement cette question. Ils me questionnaient sur Danny Torrance de « Shining« , et me demandaient par la même occasion ce que devenait Charlie Mc Gee du livre « Charlie » (Firestarter).
Parfois, en faisant le malin je répondais que Danny et Charlie sont marriés, et leurs enfants ont des pouvoirs psychiques. Mais je n’ai jamais considéré sérieusement cette idée.
Mais j’étais très sérieusement curieux de Danny. Etant un enfant qui a vécu une expérience traumatisante, surtout un enfant avec un don psychique, un don puissant. Mais aussi parce qu’il avait un père alcoolique. Et à l’époque où j’ai écris Shining, j’étais un grand alcoolique. Je buvais tout le temps. Et je me rappelle penser à l’époque « Oui, je bois beaucoup mais c’est le personnage du roman que j’écris qui est le vrai alcoolique ». Finalement j’ai finis par arreter de boire, arrêté de me droguer, suis devenu sobre et naturellement à ce moment il m’est devenu intéressant de me demander ce qu’il adviendrai de Danny, l’enfant d’un alcoolique, ce que ceux des programmes de sobriété appellent un « co-dependant ».
Donc j’étais curieux à son sujet et j’ai écris « Docteur Sleep« . C’était culotté de le faire. Parce que « Shining » est considéré comme un des meilleurs livres de l’époque. Je pense que parfois, les gens auraient été parfaitement heureux si j’étais mort après « Le Fléau » parce qu’ils disaient que mes bons livres avaient déjà été publiés et le reste n’est pas terrible.
Mais je voulais vraiment écrire ce livre et par la suite Mike Flanagan est venu et en a fait un film. Un super film. Si vous ne l’avez pas vu, il est disponible en streaming.
« Je pense que parfois, les gens auraient été parfaitement heureux si j’étais mort après « Le Fléau » parce qu’ils disaient que mes bons livres avaient déjà été publiés et le reste n’est pas terrible. »
Moira Yip : Et bien on es très content que vous n’êtes pas mort. Que vous êtes toujours là.
Stephen King : J’en suis aussi content.
Moira Yip : Ça aurait donné un aspect plutot sinistre à cette soirée… Nous avons quelques questions qui sont plutot… profondes. Essayons celle-ci.
Stephen King : Essayons une réponse rapide pour répondre à un maximum de questions avant 20h.
Moira Yip : Essayons une question profonde avant d’en faire plutot légère. Non, en réalité elles ne sont pas légères, mais elles sont plus rapides.
Stephen King : Donnez-moi autant de questions profondes que vous le voulez, je m’en fiche.
Moira Yip : Vous seriez peut-être encore là à 22h. Donc celle-ci dit « Merci de m’avoir aidé à traverser ma vie. Je vous lis depuis mon enfance, et vos livres m’ont aidé à travers de nombreuses choses.
Ma question est : J’ai remarqué des thèmes féministes dans vos écrits. Vous avez des personnages féminins très forts, beaucoup d’entres eux ont soufferts des abus de la part des hommes. Pourquoi avez-vous choisi de mettre en avant ces sujets? Vous considérez-vous féministe? Parce que moi oui ». Mazeria, de Queens, New York. Désolé si j’ai mal prononcé votre nom Mazeria.
Ruth King, avec ses enfants David et Stephen King (bébé)
Stephen King : Bien sur que je suis féministe. Je me dois d’être féministe. J’ai été élevé par une mère seule. J’étais un de ces enfants à clé (les enfants qui se doivent de rentrer seuls à la maison et portent une clé avec eux, d’où le nom, ndlr) et on essayait de faire du mieux qu’on pouvait lorsqu’on étaient seuls avant que maman ne rentre à la maison. Elle nous a élevé seule. Il y avait beaucoup de fois qui n’étaient vraiment pas terribles, mais on avait toujours à manger. Elle avait un sens de l’humour et travaillait beaucoup de boulots que les femmes n’avaient pas l’habitude de faire à l’époque. Donc c’était difficile. C’était difficile pour elle, mais elle s’en est bien sortie et je l’ai toujours admiré pour cela. Et j’espère qu’elle le savait. Je pense qu’elle le savait. Mon frère (David King, ndlr) et moi, elle est restée dans notre mémoire. Elle était forte, à une époque où les femmes fortes n’étaient pas toujours appréciées.
Ma femme, Tabby (voir notre dossier sur Tabitha King), est une formidable femme avec beaucoup de force.
Elle est une bonne mère, une bonne femme, elle est dure, elle n’hésite pas à me recadrer lorsque je suis du mauvais coté et elle a cinq soeurs.
Donc j’ai grandi au milieu de femmes.
Et je n’ai jamais eu de problèmes avec ça.
J’ai toujours pensé que si les femmes avaient gouverné le monde, peut-être qu’il n’y aurait pas autant de compétition. Que ce ne serait pas une question de qui a la plus grosse. Je trouve qu’avoir les hommes responsables est quelque chose de dangereux. Je trouve que les femmes sont un peu moins dangereuses. Mais j’ai conscience, en l’ayant vu en personne, que pendant longtemps, et même aujourd’hui, les femmes sont considérées comme inférieures. Il y a beaucoup de façons au travers desquelles les hommes excercent du controle sur elles. Avoir un personnage féminin qui doit faire face à des abus, physiques ou psychologiques et bien au-delà de ça, des abus sexuels comme dans « Jessie » (Gerald’s Game), des abus physiques comme dans « Dolores Claiborne », les femmes qui surpassent cela sont héroiques. Et j’aime des personnages qui se battent et réussissent.
Je sais que ça sonne miévreux, mais c’est la vérité. Donc oui, je devrais dire que je suis féministe. Je n’en ai pas honte.
Moira Yip : Maintenant je vais vous poser une question qui est légèrement différente, une question de quelqu’un qui vient de la poser dans le chat, de quelqu’un qui écoute le programme, Steve Ulrick (?). Elle dit : « Je travaille avec des lycéens modestes de premiere génération, ici dans le Maine. Si vous leur parliez directement ici ce soir, quel conseil éducationnels ou de vie leur donneriez-vous? »
Stephen King : La chose la plus importante pour un lycéen, encore plus pour un lycéen d’une région modeste, le plus important est d’apprendre à lire et écrire. Parce qu’au 21e siècle, le monde appartient à ceux qui peuvent s’exprimer et qui peuvent lire les expressions des autres.
Il n’y a aucune chance de ne pas trouver d’emploi quand on est bon avec les mots, sachant lire… c’est juste pas possible, si vous êtes prêts à vous accrocher et faire le boulot.
Quand j’ai quitté la fac, j’ai d’abord travaillé dans une station service dans le Maine rural et ensuite dans une blanchisserie à Bangor dans le Maine. Et c’était les boulots que je pouvais obtenir, j’étais marié avec deux enfants. Donc je trouve que c’est très important d’avoir une éthique de travail. C’est très important.
Très important pour moi. Mais en l’associant à la lecture et l’écriture, je savais que j’allais m’en sortir parce que je pouvais faire ces choses. J’ai débuté en tant que professeur et puis j’ai pu continuer avec un travail que j’adore, en freelance, en travaillant pour moi. Donc lire et écrire sont les deux choses indispensables.
« Lire et écrire sont les deux choses indispensables. »
Moira Yip : Et au passage, je suis d’accord avec vous.
Stephen King : Et vous pouvez apprendre ces choses à votre bibliothèque locale.
Moira Yip : En effet. Et c’est ça. Vous pouvez apercevoir les livres derrière moi. Cette question provient de Dellio (?) qui est ici avec nous ce soir, il vit à Rome. Donc il doit être très tard à Rome, il devait vraiment vouloir rester debout pour vous écouter. Il demande (je pense que ça doit être un homme) : ne pensez-vous pas que les vilains de vos derniers livres sont plus humains et faillibles que ceux des romans précédents?
Je pense par exemple qu’Annie Wilkes est bien plus monstrueuse qu’El Cuco, qui pense et raisonne comme un humain qui cherche à survivre.
Stephen King : Je pense qu’il y a une part de réalité. J’aime l’imagination et je trouve que ce qui m’intéresse dans un livre comme « L’outsider » n’est pas dans le vilain El Cuco. Ce qui m’intéressait était l’incapacité de Ralph Anderson à croire en des choses autres que les choses rationnelles si vous voulez. Autres que les sens du toucher, de l’ouie, de la vue, de l’odeur plutot que de croire en un être surnaturel.
J’étais donc intéressé dans l’arc narratif de la croyance pour ce livre.
Bien entendu j’étais aussi intéressé par le fait de raconter une bonne histoire, parce que cela compte beaucoup pour moi.
Quelqu’un comme Annie Wilkes, dans le monde réel, ou Brady Harstfield, le type qui fonce dans une foule à un salon pour l’emploi, on sait qu’il y a des gens comme eux. Qu’il y a des fans fous. Mon dieu, l’un d’eux a tué John Lennon! Ils entrent dans les maisons des célébrités parce qu’ils les envient, parce qu’ils veulent être leur meilleur ami, être leur fan numéro un, comme Annie Wilkes. Ou Brady Hartsfield. Il y a des gens qui ont des difficultés, qui veulent avoir leur minute de gloire. On a vu un peu de cela avec le capitole américain il y a quelques semaines. Donc oui, ces gens sont vraiments effrayants parce qu’ils existent vraiment. Mais j’aime les deux.
» Il y a des gens qui ont des difficultés, qui veulent avoir leur minute de gloire. On a vu un peu de cela avec le capitole américain il y a quelques semaines. Donc oui, ces gens sont vraiments effrayants parce qu’ils existent vraiment »
Moira Yip : D’accord. Je pense qu’on peut traiter deux ou peut-être trois autres questions. Je vais donc devoir être très sélective. En voici une de Sean Weldon, qui nous écoute en ce moment.
Comment est-ce que vous et Tabitha vous aidez-vous dans le processus d’écriture?
Que diriez-vous a été sa plus grande contribution à votre oeuvre et la vôtre à la sienne?
Stephen King : La confiance. Pour l’un comme pour l’autre. La confiance. Et c’est aussi vrai pour les enfants. La confiance en eux, dans ce qu’ils font. Il n’y a pas besoin d’interférer avec eux parce qu’on a confiance envers eux et leurs capacités de faire le travail. Et en retrait, si on nous demande de participer, on le fait.
Je sais que Tabby a lu mes livres, a fait des suggestions. Il y a des fois où je l’appelle ou lui envoie un sms, ou me rend dans la pièce où elle se trouve, en train de lire ou travailler sur son livre à elle, ou autre, et lui dit : « J’ai un problème là. Dis moi quelque chose sur ça, ou sur ça ». Et les idées ne sont pas toujours des choses que je décide d’intégrer, mais elles apportent toujours de la lumière. Parce que (sinon) on est tout seul. Et c’est sympas d’avoir quelqu’un autour. Pas quelqu’un qui puisse s’asseoir au bureau et lire par-dessus mon épaule pour ce mot ou ce mot, mais quelqu’un qui peut le lire à la fin.
Et vous savez quoi? Un des meilleurs souvenirs de mon entière carrière d’écrivain, en tant qu’homme marié…. On vivait à Bridgetown. Et j’avais écris un livre intitulé « Le Fléau » (The Stand). Je l’avais écris sur une machine à écrire IBM, avec un interligne simple, avec probablement 600 ou 700 pages, et avec… je ne sais pas comment l’appeler. Avec une certaine appréhension, du trac, fright maybe?, je l’ai donné à ma femme et lui ai demandé deux ou trois fois ce qu’elle en pensait. Elle me répondait « Laisse moi seule, laisse moi seule ». Un jour, pendant que je travaillais probablement sur « Charlie » (Firestarter), j’étais passé à autre chose, elle a descendu les escaliers et m’a dit « Steve! Steve! C’est merveilleux! C’est génial! » Et ensuite elle a glissé dans les escaliers. Les pages se sont éparpillées partout! 500, 600, 700 pages. Et elle a dit « Oh, je suis désolée » et j’ai répondu « Je m’en fiche, tu viens de dire le plus important ».
J’y ai mis beaucoup de temps, et avoir quelqu’un de présent qui te dis que c’est génial. Et quelqu’un qui te dis « Oh tu sais… tu as des problèmes ici… »
J’ai écris un livre intitulé « Dreamcatcher« . Et son titre de travail était « Cancer ». Et Tabby m’a dit « Tu ne vas PAS nommer ce livre ‘Cancer’! » J’ai répondu « C’est principalement une métaphore ». Elle a dit « Je m’en contrefiche que ce soit une métaphore, tu ne peux pas appeler un livre ‘Cancer’!
Donc c’est devenu ‘Dreamcatcher« .
Moira Yip : Un titre sympas, je trouve. Voici une question de Deborah Simpsons (?), on change complètement de sujet. Mais elle traite toujours de vous et de Tabitha en tant qu’équipe. Vous et Tabitha avez été très généreux aux habitants du Maine. (Voir notre dossier sur les fondations de Stephen et Tabitha King). Et je me demande, si vous étiez élu président des Etats-Unis, qu’elles seraient vos priorités pour les habitants de cet état?
Stephen King : Et bien. La première chose que je ferai, serait de faire en sorte que la Maison Blanche du Maine puisse bénéficier de l’afflux d’argent de la presse etc. J’aimerai avoir la Maison Blanche d’été dans un lieu tel que Millinocket ou Jonesport, un endroit commme ça, qui aurait bien besoin de l’argent. Mais concernant mes priorités… (Stephen King réfléchit)… donner à chacun un petit coup de pouce, faire du mieux possible et essayer de faire en sorte que chacun se parle et… je ne veux dire pas dire Cumbaya, prétendre être un monde idyllique, je ne pense pas que ce soit réaliste, mais je pense que j’essaierai de rassembler les gens et aider les plus pauvres. Mais bon dieu, que je suis content de ne pas avoir cette position. Parce qu’il faut amasser beaucoup d’emmerdes pour avoir cette position.
Moira Yip : Donc voici ma dernière question. A la fin de « Sac d’os » (Bag of Bones), le personnage central qui est un écrivain, dit « J’ai posé ma plume de préposé aux écritures ». Est-ce que c’est quelque chose que vous ferez un jour?
Stephen King : A la sortie de ce livre, beaucoup de gens m’ont demandé si cela voulait dire que je prenais ma retraite. Et non, c’est mon personnage, c’était Mike Noonan dans le livre « Sac d’os ».
Vous m’avez demandé si j’arrêterai. La réponse est… probablement pas.
Mais. Cela dit. Je pense qu’il y aura probablement un moment, dans ma vie, j’ai 73 ans, où mes enfants viendront me voir et me diront : « Papa, c’est l’heure de me donner tes clés de voiture. » Et il y aura peut-être un jour où les fans, ou les gens en qui j’ai confiance, lecteurs et auteurs en qui j’ai confiance, avec qui je suis devenu un bon ami au fil des années, viendront me voir et me diront : « Il est peut-etre venu le temps où il faut que tu arrêtes de publier (tes écris) ». Dans quel cas, je le ferai sans doute. Tu as envie de partir en sachant que tu es à ton sommet. Tu ne veux pas partir en sachant que tu as déçu des gens. Donc j’aimerai penser que je saurai quand le temps est venu. Et j’espère que je le saurai. Ce serait bien si la vie et le talent s’achevaient en même temps.
« Ce serait bien si la vie et le talent s’achevaient en même temps. »
Moira Yip: Il semble plutôt évident que, étant donné l’écho que l’on a eu en organisant cette soirée que vos lecteurs ne pensent pas que ce moment est arrivé, donc « ne posez pas votre crayon pour le moment » est, je pense, le message qui a transpiré de chacun d’entre nous.
Stephen King : Et bien c’est génial, merci.
Moira Yip : Je pense que c’est ainsi que j’aimerai mettre un terme à notre discussion. Stephen, merci beaucoup, c’est vraiment génial.
Stephen King : Merci, c’était vraiment très agréable et la prochaine fois on se verra réellement en personne. Je veux dire vous Moira Yip et vous Jo, merci à vous deux pour le travail que vous avez mis dans l’organisation de cet événement et un grand merci à chaque personne dans l’audience qui êtes venus passer du temps à m’écouter bavarder.
Moira Yip : Nous, ici, nous remercions toute l’audience qui supporte « Les amis de la bibliothèque Hobbs » (l’assocation organisatrice). On espère que vous resterez des amis de la bibliothèque pour toujours et que vous serez excité d’apprendre qu’en complément d’avoir passé une soirée avec nous, Stephen a généreusement accepté de donner une douzaine de livres dédicacés que nous allons offrir dans une lotterie un peu plus tard cette année. Probablement au début de l’été. Donc si vous êtes dans cette discussion Zoom ce soir, vous recevrez en temps voulu un email annonçant cette lotterie. Pensez-vous que ce sera votre nouveau livre?
Stephen King : Je pense que ça le sera probablement. « Later » sort en mars et « Billy Summers » arrive le 3 aout.
Moira Yip : Donc si vous êtes dans la lotterie, vous recevrez peut etre un exemplaire dédicacé du dernier livre de Stephen King. Si vous êtes dans la région (du Maine), essayez de soutenir nos librairies locales parce que ce sont de magnifiques petites librairies et on a besoin de les soutenir durant cette période.
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Découvrez aussi plusieurs autres de nos traductions d’interviews :
– Conversation avec James Lee Burke : Stephen King parle de l’écriture et de ses peurs
– Conversation Youtube entre Stephen King et John Grisham
– une interview de Stephen King pour CNN dans laquelle il critique l’inaction et les mauvais exemples du gouvernement américain face au coronavirus
– le discours de Joe Hill et de Stephen King, à l’occasion de la remise d’un Audie Award le récompensant pour l’ensemble de son oeuvre litéraire
– la discussion publique entre Joe Hill et son père, un échange riche en humour et humilité
– le podcast Post Mortem de Mick Garris avec Stephen King dans lequel ils dévoilent les secrets des téléfilms « Le Fléau » et « Shining, les couloirs de la peur »
– le podcast Post Mortem de Mick Garris avec Mike Flanagan
– Un essai d’Owen King dans lequel il évoque les lectures pour Stephen King, son père, et l’impact que cela a eu sur sa vie
– « Quand Stephen King est ton père, le monde est rempli de monstres », un essai de Joe Hill